Métrique en Ligne
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F = "e" féminin
| = césure
RIM_2/RIM37
Arthur RIMBAUD
POÉSIES II
1870-1872
Bateau ivre
Comme je descendais des Fleuves impassibles, 6+6 a
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs ; 6+6 b
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles, 6+6 a
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs. 6+6 b
5 J’étais insoucieux de tous les équipages, 6+6 a
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais. 6+6 b
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages, 6+6 a
Les Fleuves m’ont laissé descendre où je voulais. 6+6 b
Dans les clapotements furieux des marées, 6+6 a
10 Moi, l’autre hiver, plus sourd que les cerveaux d’enfants, 6+6 b
Je courus ! Et les Péninsules démarrées, 4+4+4 a
N’ont pas subi tohu-bohus plus triomphants. 6−6 b
La tempête a béni mes éveils maritimes. 6+6 a
Plus léger qu’un bouchon j’ai dansé sur les flots 6+6 b
15 Qu’on appelle rouleurs éternels de victimes, 6+6 a
Dix nuits, sans regretter l’œil niais des falots. 6+6 b
Plus douce qu’aux enfants la chair des pommes sures, 6+6 a
L’eau verte pénétra ma coque de sapin 6+6 b
Et des taches de vins bleus et des vomissures 6+6 a
20 Me lava, dispersant gouvernail et grappin. 6+6 b
Et dès lors, je me suis baigné dans le poème 6+6 a
De la mer, infu d’astres, et latescent, 6+6 b
Dévorant les azurs verts où, flottait son blême 6+6 a
Et ravie, un no pensif parfois descend, 6+6 b
25 Où, teignant tout à coup les bleuités, délires 6+6 a
Et rythmes lents sous les rutilements du jour, 6−6 b
Plus fortes que l’alcool, plus vastes que nos lyres, 6+6 a
Fermentent les rousseurs amères de l’amour. 6+6 b
Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes, 6+6 a
30 Et les ressacs, et les courants, je sais le soir, 6−6 b
L’aube exaltée ainsi qu’un peuple de colombes, 6+6 a
Et j’ai vu quelquefois ce que l’homme a cru voir. 6+6 b
J’ai vu le soleil bas taché d’horreurs mystiques 6+6 a
Illuminant de longs figements violets, 6+6 b
35 Pareils à des acteurs de drames très antiques, 6+6 a
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets ; 6+6 b
J’ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies, 6+6 a
Baisers montant aux yeux des mers avec lenteur, 6+6 b
La circulation des sèves inouïes 6+6 a
40 Et l’éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs. 6+6 b
J’ai suivi des mois pleins, pareille aux vacheries 6+6 a
Hystériques, la houle à l’assaut des récifs, 6+6 b
Sans songer que les pieds lumineux des Maries 6+6 a
Pussent forcer le muffle aux Océans poussifs ; 6+6 b
45 J’ai heurté, savez-vous ? d’incroyables Florides, 6+6 a
Mêlant aux fleurs des yeux de panthères, aux peaux 6+6 b
D’hommes, des arcs-en-ciel tendus comme des brides, 6+6 a
Sous l’horizon des mers, à de glauques troupeaux ; 6+6 b
J’ai vu fermenter les marais énormes, nasses 6−6 a
50 Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan, 6+6 b
Des écroulements d’eaux au milieu des bonaces, 6+6 a
Et les lointains vers les gouffres cataractant ! 6−6 b
Glaciers, soleils d’argent, flots nacreux, cieux de braises. 6+6 a
Échouages hideux au fond des golfes bruns 6+6 b
55 Où les serpents géants dévorés des punaises 6+6 a
Choient des arbres tordus, avec de noirs parfums. 6+6 b
J’aurais voulu montrer aux enfants ces dorades 6+6 a
Du flot bleu, ces poissons d’or, ces poissons chantants. 6+6 b
Des écumes de fleurs ont béni mes dérades 6+6 a
60 Et d’ineffables vents m’ont ailé par instants. 6+6 b
Parfois, martyr lassé des pôles et des zones, 6+6 a
La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux 6+6 b
Montait vers moi ses fleurs d’ombre aux ventouses jaunes 6+6 a
Et je restais, ainsi qu’une femme à genoux, 6+6 b
65 Presqu’île, ballottant sur mes bords les querelles 6+6 a
Et les fientes d’oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds, 6+6 b
Et je voguais, lorsqu’à travers mes liens frêles 6−6 a
Des noyés descendaient dormir, à reculons. 6+6 b
Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses, 6+6 a
70 Jeté par l’ouragan dans l’éther sans oiseau, 6+6 b
Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses 6+6 a
N’auraient pas repêché la carcasse ivre d’eau, 6+6 b
Libre, fumant, mon de brumes violettes, 6+6 a
Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur 6+6 b
75 Qui porte, confiture exquise aux bons poètes, 6+6 a
Des lichens de soleil et des morves d’azur, 6+6 b
Qui courais taché de lunules électriques, 6−6 a
Plante folle, escorté des hippocampes noirs, 6+6 b
Quand les Juillets faisaient crouler à coups de triques 6+6 a
80 Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs, 6+6 b
Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues 6+6 a
Le rut des Béhémots et les Maelstroms épais, 6+6 b
Fileur éternel des immobilités bleues, 6−6 a
Je regrette l’Europe aux anciens parapets. 6+6 b
85 J’ai vu des archipels sidéraux ! Et des îles 6+6 a
Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur : 6+6 b
— Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t’exiles, 6+6 a
Million d’oiseaux d’or, ô future Vigueur ? 6+6 b
Mais, vrai, j’ai trop pleuré ! Les aubes sont navrantes, 6+6 a
90 Toute lune est atroce et tout soleil amer. 6+6 b
L’âcre amour m’a gonflé de torpeurs enivrantes. 6+6 a
Oh ! que ma quille éclate ! Oh ! que j’aille à la mer ! 6+6 b
Si je désire une eau d’Europe, c’est la flache 6+6 a
Noire et froide où, vers le crépuscule embaumé, 6−6 b
95 Un enfant accroupi, plein de tristesse, lâche 6+6 a
Un bateau frêle comme un papillon de mai. 6+6 b
Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames, 6+6 a
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons, 6+6 b
Ni traverser l’orgueil des drapeaux et des flammes, 6+6 a
100 Ni nager sous les yeux horribles des pontons ! 6+6 b
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