Métrique en Ligne
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F = "e" féminin
| = césure
RIM_2/RIM33
Arthur RIMBAUD
POÉSIES II
1870-1872
Les Premières Communions
I
Vraiment, c’est bête, ces églises de villages 6−6 a
Où quinze laids marmots, encrassant les piliers, 6+6 b
Écoutent, grasseyant les divins babillages, 6+6 a
Un noir grotesque dont fermentent les souliers. 6+6 b
5 Mais le soleil éveille, à travers les feuillages, 6+6 a
Les vieilles couleurs des vitraux ensoleillés, 6−6 b
La pierre sent toujours la terre maternelle, 6+6 a
Vous verrez des monceaux de ces cailloux terreux 6+6 b
Dans la campagne en rut qui frémit, solennelle, 6+6 a
10 Portant, près des blés lourds, dans les sentiers séreux, 6+6 b
Ces arbrisseaux brûlés où bleuit la prunelle, 6+6 a
Des nœuds de mûriers noirs et de rosiers fuireux. 6+6 b
Tous les cent ans on rend ces granges respectables 6+6 a
Par un badigeon d’eau bleue et de lait caillé. 6+6 b
15 Si des mysticités grotesques sont notables 6+6 a
Près de la Notre-Dame ou du saint empaillé, 6+6 b
Des mouches sentant bon l’auberge et les étables 6+6 a
Se gorgent de cire au plancher ensoleillé. 6−6 b
L’enfant se doit surtout à la maison, famille 6+6 a
20 Des soins naïfs, des bons travaux abrutissants. 6+6 b
Ils sortent, oubliant que la peau leur fourmille 6+6 a
Où le Prêtre du Christ plaqua ses doigts puissants. 6+6 b
On paie au Prêtre un toit ombré d’une charmille 6+6 a
Pour qu’il laisse au soleil tous ces fronts bruissants. 6+6 b
25 Le premier habit noir, le plus beau jour de tartes 6+6 a
Sous le Napoléon ou le Petit Tambour, 6+6 b
Quelque enluminure où les Josephs et les Marthes 6+6 a
Tirent la langue avec un excessif amour 6+6 b
Et qui joindront aux jours de science deux cartes, 6+6 a
30 Ces deux seuls souvenirs lui restent du grand jour. 6+6 b
Les filles vont toujours à l’église, contentes 6+6 a
De s’entendre appeler garces par les garçons 6+6 b
Qui font du genre, après messe et vêpres chantantes, 6+6 a
Eux, qui sont destinés au chic des garnisons, 6+6 b
35 Ils narguent au café les maisons importantes, 6+6 a
Blousés neuf et gueulant d’effroyables chansons. 6+6 b
Cependant le curé choisit, pour les enfances, 6+6 a
Des dessins ; dans son clos, les vêpres dites, quand 6+6 b
L’air s’emplit du lointain nasillement des danses, 6+6 a
40 Il se sent, en dépit des célestes défenses. 6+6 a
Les doigts de pied ravis et le mollet marquant… 6+6 b
− La nuit vient, noir pirate aux ciel noir débarquant. 6+6 b
II
Le prêtre a distingué, parmi les catéchistes 6+6 a
Congrégés des faubourgs ou des riches quartiers, 6+6 b
45 Cette petite fille inconnue, aux yeux tristes, 6+6 a
Front jaune. Ses parents semblent de doux portiers. 6+6 b
Au grand jour, la marquant parmi les catéchistes, 6+6 a
Dieu fera, sur son front, neiger ses bénitiers. 6+6 b
La veille du grand jour, l’enfant se fait malade 6+6 a
50 Mieux qu’à l’église haute aux funèbres rumeurs. 6+6 b
D’abord le frisson vient, le lit n’étant pas fade, 6+6 a
Un frisson surhumain qui retourne : Je meurs… 6+6 b
Et, comme un vol d’amour fait à ses sœurs stupides, 6+6 a
Elle compte, abattue et les mains sur son cœur, 6+6 b
55 Ses Anges, ses Jésus et ses Vierges nitides, 6+6 a
Et, calmement, son âme a bu tout son vainqueur. 6+6 b
Adonaï !… − Dans les terminaisons latines 6−6 a
Des cieux moirés de vert baignent les Fronts vermeils 6+6 b
Et tachés du sang pur des célestes poitrines, 6+6 a
60 De grands linges neigeux tombent sur les soleils. 6+6 b
Pour ses virginités présentes et futures 6+6 a
Elle mord aux fraîcheurs de ta Rémission ; 6+6 b
Mais plus que les lys d’eau, plus que les confitures 6+6 a
Tes pardons sont glacés, ô Reine de Sion. 6+6 b
III
65 Puis la Vierge n’est plus que la Vierge du livre ; 6+6 a
Les mystiques élans se cassent quelquefois, 6+6 b
Et vient la pauvreté des images que cuivre 6+6 a
L’ennui, l’enluminure atroce et les vieux bois. 6+6 b
Des curiosités vaguement impudiques 6+6 a
70 Épouvantent le rêve aux chastes bleuités 6+6 b
Qui sont surpris autour des célestes tuniques 6+6 a
Du linge dont Jésus voile ses nudités. 6+6 b
Elle veut, elle veut pourtant, l’âme en détresse, 6+6 a
Le front dans l’oreiller creusé par les cris sourds, 6+6 b
75 Prolonger les éclairs suprêmes de tendresse 6+6 a
Et bave… − L’ombre emplit les maisons et les cours, 6+6 b
Et l’enfant ne peut plus. Elle s’agite et cambre 6+6 a
Les reins, et d’une main ouvre le rideau bleu 6+6 b
Pour amener un peu la fraîcheur de la chambre 6+6 a
80 Sous le drap, vers son ventre et sa poitrine en feu. 6+6 b
IV
A son réveil, − minuit, − la fenêtre était blanche 6+6 a
Devant le soleil bleu des rideaux illunés ; 6+6 b
La vision la prit des langueurs du Dimanche, 6+6 a
Elle avait rêvé rouge. Elle saigna du nez, 6+6 b
85 Et se sentant bien chaste et pleine de faiblesse, 6+6 a
Pour savourer en Dieu son amour revenant, 6+6 b
Elle eut soif de la nuit où s’exalte et s’abaisse 6+6 a
Le cœur, sous l’œil des cieux doux, en les devinant ; 6+6 b
De la nuit, Vierge-Mère impalpable, qui baigne 6+6 a
90 Tous les jeunes émois de ses silences gris ; 6+6 b
Elle eut soif de la nuit forte où le cœur qui saigne 6+6 a
Écoute sans témoin sa révolte sans cris. 6+6 b
Et, faisant la victime et la petite épouse, 6+6 a
Son étoile la vit, une chandelle aux doigts, 6+6 b
95 Descendre dans la cour où séchait une blouse, 6+6 a
Spectre blanc, et lever les spectres noirs des toits. 6+6 b
V
Elle passa sa nuit Sainte dans des latrines. 6+6 a
Vers la chandelle, aux trous du toit, coulait l’air blanc, 6+6 b
Et quelque vigne folle aux noirceurs purpurines 6+6 a
100 En deçà d’une cour voisine s’écroulant. 6+6 b
La lucarne faisait un cœur de lueur vive 6+6 a
Dans la cour où les cieux bas plaquaient d’ors vermeils 6+6 b
Les vitres ; les pavés puant l’eau de lessive 6+6 a
Souffraient l’ombre des toits bordés de noirs sommeils. 6+6 b
VI
105 Qui dira ces langueurs et ces pitiés immondes 6+6 a
Et ce qu’il lui viendra de haine, ô sales fous, 6+6 b
Dont le travail divin déforme encor les mondes 6+6 a
Quand la lèpre, à la fin, rongera ce corps doux, 6+6 b
VI
Et quand, ayant rentré tous ces nœuds d’hystéries 6+6 a
110 Elle verra, sous les tristesses du bonheur, 6−6 b
L’amant rêver au blanc million des Maries 6+6 a
Au matin de la nuit d’amour, avec douleur ! 6+6 b
Sais-tu que je t’ai fait mourir ? J’ai pris ta bouche, 6+6 a
Ton cœur, tout ce qu’on a, tout ce que vous avez, 6+6 b
115 Et moi je suis malade. Oh ! je veux qu’on me couche 6+6 a
Parmi les Morts des eaux nocturnes abreuvés ! 6+6 b
J’étais bien jeune, et Christ a souillé mes haleines, 6+6 a
Il me bonda jusqu’à la gorge de dégoûts ; 6−6 b
Tu baisais mes cheveux profonds comme les laines, 6+6 a
120 Et je me laissais faire !… Oh ! va… c’est bon pour vous, 6+6 b
Hommes ! qui songez peu que la plus amoureuse 6+6 a
Est, dans sa conscience, aux ignobles terreurs 6+6 b
La plus prostituée et la plus douloureuse 6+6 a
Et que tous nos élans vers vous sont des erreurs. 6+6 b
125 Car ma communion première est bien passée ! 6+6 a
Tes baisers, je ne puis jamais les avoir bus. 6+6 b
Et mon cœur et ma chair par ta chair embrassée 6+6 a
Fourmillent du baiser putride de Jésus… 6+6 b
VII
Alors l’âme pourrie et l’âme désolée 6+6 a
130 Sentiront ruisseler tes malédictions. 6+6 b
− Ils avaient couché sur ta haine inviolée, 6−6 a
Échappés, pour la mort, des justes passions. 6+6 b
Christ, ô Christ, éternel voleur des énergies, 6+6 a
Dieu qui, pour deux mille ans, vouas, à ta pâleur, 6+6 b
135 Cloués au sol, de honte et de céphalalgies, 6+6 a
Ou renversés, les fronts des Femmes de douleur. 6+6 b
mètre profil métrique : 6−6
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