Métrique en Ligne
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Arthur RIMBAUD
POÉSIES I
1869-1870
Soleil et Chair
I
Le Soleil, le foyer de tendresse et de vie, 6+6 a
Verse l’amour brûlant à la terre ravie, 6+6 a
Et, quand on est couché sur la vallée, on sent 6+6 a
Que la terre est nubile et déborde de sang ; 6+6 a
5 Que son immense sein, soulevé par une âme, 6+6 a
Est d’amour comme dieu, de chair comme la femme, 6+6 a
Et qu’il renferme, gros de sève et de rayons, 6+6 a
Le grand fourmillement de tous les embryons ! 6+6 a
Et tout croît, et tout monte !
Ô Vénus, ô Déesse ! 6+6 a
10 Je regrette les temps de l’antique jeunesse, 6+6 a
Des satyres lascifs, des faunes animaux, 6+6 a
Dieux qui mordaient d’amour l’écorce des rameaux 6+6 a
Et dans les nénufars baisaient la Nymphe blonde ! 6+6 a
Je regrette les temps où la sève du monde, 6+6 a
15 L’eau du fleuve, le sang rose des arbres verts 6+6 a
Dans les veines de Pan mettaient un univers ! 6+6 a
Où le sol palpitait, vert, sous ses pieds de chèvre ; 6+6 a
Où, baisant mollement le clair syrinx, sa lèvre 6+6 a
Modulait sous le ciel le grand hymne d’amour ; 6+6 a
20 Où, debout sur la plaine, il entendait autour 6+6 a
Répondre à son appel la Nature vivante ; 6+6 a
Où les arbres muets, berçant l’oiseau qui chante, 6+6 a
La terre berçant l’homme, et tout l’Océan bleu 6+6 a
Et tous les animaux aimaient, aimaient en Dieu ! 6+6 a
25 Je regrette les temps de la grande Cybèle 6+6 a
Qu’on disait parcourir, gigantesquement belle, 6+6 a
Sur un grand char d’airain, les splendides cités ; 6+6 a
Son double sein versait dans les immensités 6+6 a
Le pur ruissellement de la vie infinie. 6+6 a
30 L’Homme suçait, heureux, sa mamelle bénie, 6+6 a
Comme un petit enfant, jouant sur ses genoux. 6+6 a
— Parce qu’il était fort, l’Homme était chaste et doux. 6+6 a
Misère ! Maintenant il dit : Je sais les choses, 6+6 a
Et va, les yeux fermés et les oreilles closes : 6+6 a
35 — Et pourtant, plus de dieux ! plus de dieux ! l’Homme est Roi, 6+6 a
L’Homme est Dieu ! Mais l’Amour, voilà la grande Foi ! 6+6 a
Oh ! si l’homme puisait encore à ta mamelle, 6+6 a
Grande mère des dieux et des hommes, Cybèle ; 6+6 a
S’il n’avait pas laissé l’immortelle Astarté 6+6 a
40 Qui jadis, émergeant dans l’immense clarté 6+6 a
Des flots bleus, fleur de chair que la vague parfume, 6+6 a
Montra son nombril rose où vint neiger l’écume, 6+6 a
Et fit chanter, Déesse aux grands yeux noirs vainqueurs, 6+6 a
Le rossignol aux bois et l’amour dans les cœurs ! 6+6 a
II
45 Je crois en toi ! je crois en toi ! Divine mère, 6+6 a
Aphrodité marine ! — Oh ! la route est amère 6+6 a
Depuis que l’autre Dieu nous attelle à sa croix ; 6+6 a
Chair, Marbre, Fleur, Vénus, c’est en toi que je crois ! 6+6 a
— Oui, l’Homme est triste et laid, triste sous le ciel vaste, 6+6 a
50 Il a des vêtements, parce qu’il n’est plus chaste, 6+6 a
Parce qu’il a sali son fier buste de dieu, 6+6 a
Et qu’il a rabougri, comme une idole au feu, 6+6 a
Son corps olympien aux servitudes sales ! 6+6 a
Oui, même après la mort, dans les squelettes pâles 6+6 a
55 Il veut vivre, insultant la première beauté ! 6+6 a
— Et l’Idole où tu mis tant de virginité, 6+6 a
Où tu divinisas notre argile, la Femme, 6+6 a
Afin que l’Homme pût éclairer sa pauvre âme 6+6 a
Et monter lentement, dans un immense amour, 6+6 a
60 De la prison terrestre à la beauté du jour, 6+6 a
La femme ne sait plus même être courtisane ! 6+6 a
— C’est une bonne farce ! et le monde ricane 6+6 a
Au nom doux et sacré de la grande Vénus ! 6+6 a
III
Si les temps revenaient, les temps qui sont venus ! 6+6 a
65 — Car l’Homme a fini ! l’Homme a joué tous les rôles ! 6+6 a
Au grand jour, fatigué de briser des idoles 6+6 a
Il ressuscitera, libre de tous ses Dieux, 6+6 a
Et, comme il est du ciel, il scrutera les cieux ! 6+6 a
L’Idéal, la pensée invincible, éternelle, 6+6 a
70 Tout le dieu qui vit, sous son argile charnelle, 6−6 a
Montera, montera, brûlera sous son front ! 6+6 a
Et quand tu le verras sonder tout l’horizon, 6+6 a
Contempteur des vieux jougs, libre de toute crainte, 6+6 a
Tu viendras lui donner la Rédemption sainte ! 6+6 a
75 — Splendide, radieuse, au sein des grandes mers 6+6 a
Tu surgiras, jetant sur le vaste Univers 6+6 a
L’Amour infini dans un infini sourire ! 6−6 a
Le Monde vibrera comme une immense lyre 6+6 a
Dans le frémissement d’un immense baiser : 6+6 a
80 — Le Monde a soif d’amour : tu viendras l’apaiser. 6+6 a
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
IV
O splendeur de la chair ! ô splendeur idéale ! 6+6 a
O renouveau d’amour, aurore triomphale 6+6 a
Où, courbant à leurs pieds les Dieux et les Héros, 6+6 a
Kallipige la blanche et le petit Éros 6+6 a
85 Effleureront, couverts de la neige des roses, 6+6 a
Les femmes et les fleurs sous leurs beaux pieds écloses ! 6+6 a
— O grande Ariadné, qui jettes tes sanglots 6+6 a
Sur la rive, en voyant fuir là-bas sur les flots, 6+6 a
Blanche sous le soleil, la voile de Thésée, 6+6 a
90 O douce vierge enfant qu’une nuit a brisée, 6+6 a
Tais-toi ! Sur son char d’or brodé de noirs raisins, 6+6 a
Lysios, promené dans les champs Phrygiens 6+6 a
Par les tigres lascifs et les panthères rousses, 6+6 a
Le long des fleuves bleus rougit les sombres mousses. 6+6 a
95 — Zeus, Taureau, sur son cou berce comme un enfant 6+6 a
Le corps nu d’Europé, qui jette son bras blanc 6+6 a
Au cou nerveux du Dieu frissonnant dans la vague. 6+6 a
Il tourne lentement vers elle son œil vague ; 6+6 a
Elle, laisse traîner sa pâle joue en fleur 6+6 a
100 Au front de Zeus ; ses yeux sont fermés ; elle meurt 6+6 a
Dans un divin baiser, et le flot qui murmure 6+6 a
De son écume d’or fleurit sa chevelure. 6+6 a
— Entre le laurier-rose et le lotus jaseur 6+6 a
Glisse amoureusement le grand Cygne rêveur 6+6 a
105 Embrassant la Léda des blancheurs de son aile ; 6+6 a
— Et tandis que Cypris passe, étrangement belle, 6+6 a
Et, cambrant les rondeurs splendides de ses reins, 6+6 a
Étale fièrement l’or de ses larges seins 6+6 a
Et son ventre neigeux brodé de mousse noire, 6+6 a
110 — Héraclès, le Dompteur, qui comme d’une gloire 6+6 a
Fort, ceint son vaste corps de la peau du lion, 6+6 a
S’avance, front terrible et doux, à l’horizon ! 6+6 a
Par la lune d’été vaguement éclairée, 6+6 a
Debout, nue, et rêvant dans sa pâleur dorée 6+6 a
115 Que tache le flot lourd de ses longs cheveux bleus, 6+6 a
Dans la clairière sombre où la mousse s’étoile, 6+6 b
La Dryade regarde au ciel silencieux 6+6 a
— La blanche Séléné laisse flotter son voile, 6+6 b
Craintive, sur les pieds du bel Endymion, 6+6 a
120 Et lui jette un baiser dans un pâle rayon 6+6 a
— La Source pleure au loin dans une longue extase 6+6 a
C’est la Nymphe qui rêve, un coude sur son vase, 6+6 a
Au beau jeune homme blanc que son onde a pressé. 6+6 a
— Une brise d’amour dans la nuit a passé, 6+6 a
125 Et, dans les bois sacrés, dans l’horreur des grands arbres, 6+6 a
Majestueusement debout, les sombres Marbres, 6+6 a
Les Dieux, au front desquels le Bouvreuil fait son nid, 6+6 a
— Les Dieux écoutent l’Homme et le Monde infini ! 6+6 a
mètre profil métrique : 6−6
forme globale type : suite de strophes
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