Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
RIM_1/RIM1
Arthur RIMBAUD
POÉSIES I
1869-1870
Les Étrennes des orphelins
I
La chambre est pleine d’ombre ; on entend vaguement 6+6 a
De deux enfants le triste et doux chuchotement. 6+6 a
Leur front se penche, encor alourdi par le rêve, 6+6 b
Sous le long rideau blanc qui tremble et se soulève 6+6 b
5 Au dehors les oiseaux se rapprochent frileux ; 6+6 a
Leur aile s’engourdit sous le ton gris des cieux ; 6+6 a
Et la nouvelle année, à la suite brumeuse, 6+6 b
Laissant trner les plis de sa robe neigeuse, 6+6 b
Sourit avec des pleurs, et chante en grelottant… 6+6 a
II
10 Or les petits enfants, sous le rideau flottant, 6+6 a
Parlent bas comme on fait dans une nuit obscure. 6+6 b
Ils écoutent, pensifs, comme un lointain murmure 6+6 b
Ils tressaillent souvent à la claire voix d’or 6+6 a
Du timbre matinal, qui frappe et frappe encor 6+6 a
15 Son refrain métallique en son globe de verre 6+6 b
− Puis, la chambre est glacée… on voit trner à terre, 6+6 b
Épars autour des lits, des vêtements de deuil : 6+6 a
L’âpre bise d’hiver qui se lamente au seuil 6+6 a
Souffle dans le logis son haleine morose ! 6+6 b
20 On sent, dans tout cela, qu’il manque quelque chose 6+6 b
Il n’est donc point de mère à ces petits enfants, 6+6 a
De mère au frais sourire, aux regards triomphants ? 6+6 a
Elle a donc oublié, le soir, seule et penchée, 6+6 b
D’exciter une flamme à la cendre arrachée, 6+6 b
25 D’amonceler sur eux la laine et l’édredon 6+6 a
Avant de les quitter en leur criant : pardon. 6+6 a
Elle n’a point prévu la froideur matinale, 6+6 b
Ni bien fermé le seuil à la bise hivernale ?… 6+6 b
− Le rêve maternel, c’est le tiède tapis, 6+6 a
30 C’est le nid cotonneux où les enfants tapis, 6+6 a
Comme de beaux oiseaux que balancent les branches, 6+6 b
Dorment leur doux sommeil plein de visions blanches. 6+6 b
− Et là, − c’est comme un nid sans plumes, sans chaleur, 6+6 a
Où les petits ont froid, ne dorment pas, ont peur ; 6+6 a
35 Un nid que doit avoir glacé la bise amère 6+6 b
III
Votre cœur l’a compris : − ces enfants sont sans mère. 6+6 b
Plus de mère au logis ! − et le père est bien loin !… 6+6 a
− Une vieille servante, alors, en a pris soin. 6+6 a
Les petits sont tout seuls en la maison glae ; 6+6 b
40 Orphelins de quatre ans, voilà qu’en leur pene 6+6 b
S’éveille, par degrés, un souvenir riant… 6+6 a
C’est comme un chapelet qu’on égrène en priant : 6+6 a
− Ah! quel beau matin, que ce matin des étrennes ! 6+6 b
Chacun, pendant la nuit, avait rêvé des siennes 6+6 b
45 Dans quelque songe étrange où l’on voyait joujoux, 6+6 a
Bonbons habillés d’or, étincelants bijoux, 6+6 a
Tourbillonner, danser une danse sonore, 6+6 b
Puis fuir sous les rideaux, puis reparaître encore ! 6+6 b
On s’éveillait matin, on se levait joyeux, 6+6 a
50 La lèvre affriandée, en se frottant les yeux… 6+6 a
On allait, les cheveux emmêlés sur la tête, 6+6 b
Les yeux tout rayonnants, comme aux grands jours de fête, 6+6 b
Et les petits pieds nus effleurant le plancher, 6+6 a
Aux portes des parents tout doucement toucher… 6+6 a
55 On entrait !… Puis alors les souhaits,… en chemise, 6+6 b
Les baisers répétés, et la gté permise ? 6+6 b
IV
Ah ! c’était si charmant, ces mots dits tant de fois ! 6+6 a
− Mais comme il est changé, le logis d’autrefois : 6+6 a
Un grand feu pétillait, clair, dans la chemie, 6+6 b
60 Toute la vieille chambre était illumie ; 6+6 b
Et les reflets vermeils, sortis du grand foyer, 6+6 a
Sur les meubles vernis aimaient à tournoyer… 6+6 a
− L’armoire était sans clefs !… sans clefs, la grand armoire ! 6+6 b
On regardait souvent sa porte brune et noire 6+6 b
65 Sans clefs !… c’était étrange !on rêvait bien des fois 6+6 a
Aux mystères dormant entre ses flancs de bois, 6+6 a
Et l’on croyait ouïr, au fond de la serrure 6+6 b
Béante, un bruit lointain, vague et joyeux murmure 6+6 b
− La chambre des parents est bien vide, aujourd’hui : 6+6 a
70 Aucun reflet vermeil sous la porte n’a lui ; 6+6 a
Il n’est point de parents, de foyer, de clefs prises : 6+6 b
Partant, point de baisers, point de douces surprises ! 6+6 b
Oh ! que le jour de l’an sera triste pour eux ! 6+6 a
− Et, tout pensifs, tandis que de leurs grands yeux bleus, 6+6 a
75 Silencieusement tombe une larme amère, 6+6 b
Ils murmurent : « Quand donc reviendra notre mère ? » 6+6 b
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
V
Maintenant, les petits sommeillent tristement : 6+6 a
Vous diriez, à les voir, qu’ils pleurent en dormant, 6+6 a
Tant leurs yeux sont gonflés et leur souffle pénible ! 6+6 b
80 Les tout petits enfants ont le cœur si sensible ! 6+6 b
− Mais l’ange des berceaux vient essuyer leurs yeux, 6+6 a
Et dans ce lourd sommeil met un rêve joyeux, 6+6 a
Un rêve si joyeux, que leur lèvre mi-close, 6+6 b
Souriante, semblait murmurer quelque chose 6+6 b
85 Ils rêvent que, penchés sur leur petit bras rond, 6+6 a
Doux geste du réveil, ils avancent le front, 6+6 a
Et leur vague regard tout autour d’eux repose 6+6 b
Ils se croient endormis dans un paradis rose 6+6 b
Au foyer plein d’éclairs chante gment le feu… 6+6 a
90 Par la fenêtre on voit là-bas un beau ciel bleu ; 6+6 a
La nature s’éveille et de rayons s’enivre 6+6 b
La terre, demi-nue, heureuse de revivre, 6+6 b
A des frissons de joie aux baisers du soleil… 6+6 a
Et dans le vieux logis tout est tiède et vermeil : 6+6 a
95 Les sombres vêtements ne jonchent plus la terre, 6+6 b
La bise sous le seuil a fini par se taire 6+6 b
On dirait qu’une fée a passé dans cela !… 6+6 a
− Les enfants, tout joyeux, ont jeté deux cris… Là, 6+6 a
Près du lit maternel, sous un beau rayon rose, 6+6 b
100 Là, sur le grand tapis, resplendit quelque chose 6+6 b
Ce sont des médaillons argentés, noirs et blancs, 6+6 a
De la nacre et du jais aux reflets scintillants ; 6+6 a
Des petits cadres noirs, des couronnes de verre, 6+6 b
Ayant trois mots gravés en or: « À NOTRE MÈRE ! » 6+6 b
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mètre profil métrique : 6+6
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