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RIC_3/RIC350
Jean RICHEPIN
LA MER
1894
LES GRANDES CHANSONS
VII
LA GLOIRE DE L’EAU
De la mer nourricière, ô terre inassouvie, 6+6 a
Je t’apporte le lait dont s’entretient ta vie. 6+6 a
À tes brûlantes soifs qu’elle sait apaiser 6+6 a
J’apporte la frcheur de son divin baiser. 6+6 a
5 Ce baiser qu’en ton sein, pieuse, tu renfermes, 6+6 a
Y fait s’épanouir l’éclosion des germes. 6+6 a
À tous les éléments de ce sein ténébreux 6+6 a
Il se mêle et les force à se mêler entre eux. 6+6 a
Ainsi naissent tes prés aux herbes pullulantes 6+6 a
10 Où les troupeaux joyeux paissent le suc des plantes. 6+6 a
Ainsi naissent les champs dorés par les moissons 6+6 a
Et tes bois pleins de fleurs, de nids et de chansons. 6+6 a
Ainsi, te bénissant, toute ta géniture 6+6 a
Trouve dans ton giron le gîte et la pâture. 6+6 a
15 Ainsi le plus ai de tous tes Benjamins, 6+6 a
L’homme, dans tes trésors peut prendre à pleines mains. 6+6 a
Que d’autres soins encor j’ai pour lui, plus vulgaires, 6+6 a
Mais sans quoi, lui qui s’en croit tant, ne serait guères ! 6+6 a
N’est-ce pas moi qui fais de mon poids rassemblé 6+6 a
20 Se mouvoir les moulins qui farinent son blé ? 6+6 a
Plus forte que cent bras brandis par cent échines, 6+6 a
N’est-ce pas ma vapeur qui trime en ses machines ? 6+6 a
Mais de ces bienfaits-là tes regards sont témoins. 6+6 a
Il en est d’autres, plus secrets, que tu sais moins. 6+6 a
25 Mes brumes, que le vent roule de son haleine, 6+6 a
Enveloppent ton corps comme un manteau de laine. 6+6 a
Grâce à lui, la chaleur indispensable au sol 6+6 a
Vers l’espace attirant ne peut prendre son vol. 6+6 a
Grâce à lui, le soleil de son feu qui t’accable 6+6 a
30 Modère, tamisé, l’incendie implacable. 6+6 a
Je t’emprisonne ainsi dans un tiède cachot 6+6 a
Où tu n’as à la fois ni trop froid ni trop chaud. 6+6 a
Si j’ôtais cet écran qui court de place en place, 6+6 a
Tu serais tour à tour ou de braise ou de glace. 6+6 a
35 De l’équateur ardent aux pôles refroidis 6+6 a
Je mène en deux courants la douceur des midis. 6+6 a
Puis des pôles gelés aux tropiques en flamme 6+6 a
Je ramène l’air frais que ce brasier réclame. 6+6 a
J’arrache aux flancs des rocs et j’entraîne à la mer 6+6 a
40 Les sels qui rendent sain son élixir amer. 6+6 a
Sans eux, malgré les vents, sa liqueur corrompue 6+6 a
Ne serait qu’un marais croupissant et qui pue. 6+6 a
Si je ne lui portais ce tribut précieux, 6+6 a
Le souffle de la peste emplirait tous vos cieux. 6+6 a
45 Mais à quoi bon compter ce que je fais encore 6+6 a
Pour toi que je nourris, et protège, et décore ? 6+6 a
Tous tes honneurs, c’est moi qui les ai mérités, 6+6 a
Terre ; car tu ne vis que de mes charités. 6+6 a
Pour que tu sois la terre, ô roc, il faut qu’il pleuve ; 6+6 a
50 Il te faut l’eau, nuage, et pluie, et source, et fleuve. 6+6 a
Si je te refusais mes larmes que tu bois, 6+6 a
Ton pauvre front tout nu serait chauve de bois ; 6+6 a
Sur tes flancs racornis tes mamelles arides 6+6 a
Se ratatineraient aux crevasses des rides ; 6+6 a
55 Ta chair s’effiloquant ainsi qu’un oripeau, 6+6 a
Ton squelette en granit viendrait trouer ta peau ; 6+6 a
Et tu ne serais plus, dans la mort endormie, 6+6 a
Que le corps desséché d’une vieille momie. 6+6 a
Mais ne crains rien : je l’aime et tu ne mourras pas. 6+6 a
60 Le travail que je fais a pour moi trop d’appas ! 6+6 a
M’exhaler de la mer, m’envoler vers la nue, 6+6 a
Te baiser, puis rentrer là d’où je suis venue, 6+6 a
C’est plaisir toujours vierge et toujours renaissant 6+6 a
Pour mon âme sans fin qui monte et redescend. 6+6 a
65 Quand je t’ai pénétrée ainsi par chaque pore, 6+6 a
Je m’écoule, ruisseau ; brouillard, je m’évapore ; 6+6 a
Puis, pour recommencer, ou brouillard, ou ruisseau, 6+6 a
Je retourne avec joie à la mer, mon berceau. 6+6 a
Car tout ce que j’ai dit de moi, c’est d’elle seule 6+6 a
70 Qu’il faut le dire. Elle est la mère. Elle est l’aïeule. 6+6 a
Elle est la mère où tout revient incessamment, 6+6 a
La mère où tout retrouve un rajeunissement. 6+6 a
Même ton souffle et ta parole, ô bouche humaine. 6−6 a
L’air qui les vaporise à la mer les ramène. 6+6 a
75 Toutes les eaux, coulants ou voltigeants essaims. 6+6 a
Au bout de leur voyage ont pour ruche ses seins. 6+6 a
Elles y font le miel délicieux et monde 6+6 a
Dont fleurit chaque jour le renouveau du monde. 6+6 a
Ô ruche merveilleuse ! ô seins que je gonflais ! 6+6 a
80 C’est eux qu’il faut chanter. Terre, homme, chantez-les ! 6+6 a
Chantez la mer qui fut votre génératrice ! 6+6 a
Chantez son eau qui reste encor votre nourrice ! 6+6 a
Chantez sa gloire, vous qui faites des chansons 6+6 a
Dont le verbe est parlant mieux que mes vagues sons ! 6+6 a
85 Chantez, vous, les humains, dont les lèvres décloses 6+6 a
Savent dire l’essence et la marche des choses ! 6+6 a
Chantez pour vous, et pour l’animal impuissant 6−6 a
Qui n’a pas le secret d’exprimer ce qu’il sent ! 6+6 a
Chantez la mer, chantez son hosanna de reine ! 6+6 a
90 Chantez, et qu’en passant mon tourbillon l’entraîne. 6+6 a
Afin que je redise en accents triomphants 6+6 a
À son cœur maternel le cœur de ses enfants ! 6+6 a
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mètre profil métrique : 6−6
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