Métrique en Ligne
RIC_3/RIC345
Jean RICHEPIN
LA MER
1894
LES GRANDES CHANSONS
VII
LA GLOIRE DE L’EAU
Comment dans cette vase aux clapotements mous 6+6 a
Où les derniers volcans soulevaient des remous, 6+6 a
Comment sous l’action et les forces amies 6+6 b
Du soleil, des foyers souterrains, des chimies, 6+6 b
5 Du temps, comment a pu s’opérer en un point 6+6 a
Cette genèse, c’est ce que l’un ne sait point. 6+6 a
Des corps simples à la cellule, à la monère, 6−6 b
Par quels chemins passa la substance ternaire, 6+6 b
Puis quaternaire, pour s’albuminoïder 6−6 a
10 Et s’agréger, vivante, on n’en peut décider. 6+6 a
Le carbone de l’air, alors en abondance 6+6 b
Dans l’atmosphère encore irrespirable et dense. 6+6 b
Avec les gaz de l’eau d’abord combina-t-il 6+6 a
Ou l’âcre ammoniaque ou l’azote subtil ? 6+6 a
15 Ou bien est-ce plutôt par le cyanogène 6+6 b
Que se noua l’anneau primitif de la chaîne, 6+6 b
Gaz instable, mobile et propice aux hymens ? 6+6 a
La science n’a pas éclairé ces chemins. 6+6 a
Mais un point lumineux dans cette ombre douteuse, 6+6 b
20 C’est que de ces hymens l’eau fut l’entremetteuse, 6+6 b
Et qu’il fallut son lit ouvert à tous les vents 6+6 a
Pour engendrer enfin les premiers corps vivants. 6+6 a
Aujourd’hui même encor, comme en ce temps antique, 6+6 b
On a pu la surprendre au fond de l’Atlantique 6+6 b
25 En pleine éclosion du germe originel 6+6 a
Ayant pour dernier fruit l’organisme charnel, 6+6 a
Embryon de ce qui plus tard doit être un homme. 6+6 b
Un être existe là, que la science nomme 6+6 b
Bathybius, un être informe, sans couleur, 6+6 a
30 Une larve plutôt qu’un être, une pâleur 6+6 a
Encor plus qu’une larve, une ombre clandestine, 6+6 b
Semblable à du blanc d’œuf, à de la gélatine, 6+6 b
Quelque chose de vague et d’indéterminé. 6+6 a
Ce presque rien, pourtant, il existe. Il est né, 6+6 a
35 Il se nourrit, respire, et marche et se contracte, 6+6 b
Et multiplie, et c’est de la matière en acte. 6+6 b
Sous le plus simple aspect, sans créments superflus. 6+6 a
C’est du protoplasma vivant, et rien de plus. 6+6 a
Qu’un fragment de ce corps s’en détache, et que l’onde 6+6 b
40 En transporte autre part la bribe vagabonde, 6+6 b
À ce nouveau milieu cet obscur ouvrier 6+6 a
D’une forme nouvelle ira s’approprier. 6+6 a
D’amorphe il deviendra fini. C’est une sphère. 6+6 b
De ce rien qu’il était, déjà comme il diffère ! 6+6 b
45 Il évolue encor, se centre, en même temps 6+6 a
Allonge autour de lui des filaments flottants. 6+6 a
Sont-ce des membres ? Oui. Mieux, même : des organes. 6+6 b
Et la vie à présent avec tous ses arcanes 6+6 b
Peut s’épandre, grandir, se différencier, 6+6 a
50 Et, partant de cet humble et vague devancier, 6+6 a
Racine d’où jaillit l’arbre de nos ancêtres, 6+6 b
Gravir tous les degrés de l’échelle des êtres. 6+6 b
Ô vie, ô flot montant et grondant, je te vois 6+6 a
Produire l’animal, plante et bête à la fois, 6+6 a
55 Te transformer sans fin depuis ces anciens types, 6+6 b
Devenir l’infusoire, entrer dans les polypes, 6+6 b
Monter toujours, des corps multiplier l’essaim. 6+6 a
Être, sans t’y fixer, l’astérie et l’oursin, 6+6 a
Pétrifiée un temps au lis de l’encrinite, 6+6 b
60 Repartir en nautile, évoquer l’ammonite. 6+6 b
Et du céphalopode évoluer devers 6+6 a
L’innombrable tribu d’anélides des vers. 6+6 a
Monter toujours, sans faire un seul pas inutile, 6+6 b
Jusqu’au plésiosaure engendré du reptile, 6+6 b
65 Lui donner du lézard le sternum cuirassé. 6+6 a
Dans ses pattes déjà rêver le cétacé, 6+6 a
Puis au ptérodactyle ouvrir l’essor d’une aile, 6+6 b
Monter, monter toujours dans l’onde maternelle, 6+6 b
Monter de cette ébauche au narval, au dauphin. 6+6 a
70 Au phoque, à la baleine, au mammifère enfin, 6+6 a
Et dans ce mammifère achever ton ouvrage 6+6 b
Par ces fils derniers nés qui jusques à notre âge 6+6 b
De rameaux en rameaux auront pour floraison 6+6 a
L’homme droit sur ses pieds et fort de sa raison. 6+6 a
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mètre profil métrique : 6−6
forme globale type : suite de distiques
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