Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
RIC_3/RIC337
Jean RICHEPIN
LA MER
1894
LES GRANDES CHANSONS
I
LA VIEILLE
Ah ! la vieille, la vieille, la vieille,
 Qui croyait avoir quinze ans !
*
Elle est plus vieille que la terre. 8 a
Elle a le corps flasque et flottant. 8 b
5 Elle râle. C’est un mystère, 8 a
Qu’étant pareille, on l’aime autant. 8 b
Elle est la grande inassouvie 8 a
Dont les désirs inapaisés 8 b
Au feu d’une éternelle envie 8 a
10 Renaissent de tous les baisers. 8 b
Elle a des balafres, des rides, 8 a
Les cheveux et les poils tout blancs. 8 b
On meurt sur des tétons arides 8 a
Sans pouvoir engrosser ses flancs. 8 b
15 Elle est la vieille et folle gueuse 8 a
Qui raccroche les pubertés 8 b
Aux coups de sa croupe fougueuse, 8 a
Entre ses genoux écartés. 8 b
Elle est la gouge aux dents cruelles 8 a
20 Qui dévore tous ses amants, 8 b
Et dont la couche a pour ruelles 8 a
Des gouffres remplis d’ossements. 8 b
Quand, tout visqueux de sa peau glauque. 8 a
On sort épuisé de ses bras, 8 b
25 Elle vous dit d’une voix rauque : 8 a
J’en veux encor. Tu reviendras. 8 b
Et l’on revient à l’amoureuse 8 a
Malgré ses éreintants assauts 8 b
Qui vous font la poitrine creuse 8 a
30 Et qui vous démoellent les os. 8 b
Elle est plus vieille que la terre, 8 a
Et pourtant on l’aime encor mieux. 8 b
Jamais on ne se désaltère 8 a
De la jeunesse de ses yeux. 8 b
*
35 Ah ! la vieille, la vieille, la vieille,
 Qui paraît avoir quinze ans !
*
Pourquoi dire qu’elle est morose ? 8 a
Elle rit au ciel du matin 8 b
Qui fait chatoyer un feu rose 8 a
40 Sur sa robe de vert satin. 8 b
Pourquoi dire qu’elle est colère ? 8 a
La voici calme, sans brisants, 8 b
Obéissante, et qui tolère 8 a
Les coups d’un mousse de dix ans. 8 b
45 Pourquoi dire qu’elle est méchante ? 8 a
À flots menus et gringalets 8 b
Je la vois qui court, danse et chante 8 a
En jonglant avec les galets. 8 b
Pourquoi dire qu’elle est amère ? 8 a
50 C’est la plus douce aux indigents. 8 b
Deux fois par jour elle est la mère 8 a
Nourricière des pauvres gens. 8 b
Pourquoi dire qu’elle est sournoise ? 8 a
Elle n’a de sursauts nerveux 8 b
55 Que si le vent lui cherche noise, 8 a
La gifle et la prend aux cheveux. 8 b
Pourquoi dire qu’elle est traîtresse ? 8 a
Vieux mathurin qui l’aimas tant. 8 b
Tu l’eus cinquante ans pour maîtresse 8 a
60 Et c’est elle encor qui t’attend. 8 b
Pourquoi dire qu’elle est féline ? 8 a
Barques légères, bateaux lourds, 8 b
Sans griffer elle vous câline 8 a
Entre ses pattes de velours. 8 b
65 Pourquoi dire qu’elle est funèbre ? 8 a
Au soleil, c’est un diamant ; 8 b
Et quand sa face s’enténèbre, 8 a
C’est le miroir du firmament. 8 b
*
Ah ! la vieille, la vieille, la vieille,
70  Qui n’a pas plus de quinze ans.
*
Pourquoi dire qu’elle est jolie 8 a
Et fidèle à ses amoureux, 8 b
Et sans colère et sans folie 8 a
Et sans amertume pour eux ? 8 b
75 Pourquoi dire qu’elle est charmante, 8 a
Rose en robe de vert satin, 8 b
Et rieuse comme une amante, 8 a
Et claire, et douce, la catin ? 8 b
La voici sle, échevelée, 8 a
80 Qui griffe, grince, cogne et mord, 8 b
Et hurle ainsi qu’une mêlée 8 a
tout le monde crie : À mort ! 8 b
Ses vagues sont des langues vertes 8 a
Dardant leur bave vers le ciel, 8 b
85 Puis bâillent en gueules ouvertes 8 a
Aux babines couleur de fiel. 8 b
Ses galets qui roulent sans trêve 8 a
Au bord de son gosierant 8 b
Font cataracter sur la grève 8 a
90 Des vomissures deant. 8 b
Ses roches aux dents carnassières 8 a
s’étripent les matelots 8 b
Ont l’air de lubriques sorcières 8 a
Retroussant leurs jupons de flots. 8 b
95 Elle, la vieille au regard torve, 8 a
Aux crachats d’écume, aux seins mous. 8 b
Elle tord, tout gluant de morve, 8 a
Son ventre plissé de remous, 8 b
Et se rue au chenal des havres, 8 a
100 Son flux drapé comme un linceul, 8 b
En jonglant avec des cadavres 8 a
Dans un hideux cavalier seul. 8 b
*
Ah ! la vieille, la vieille, la vieille,
 Qu’a des ans, des ans, des ans !
*
105 Et puis après ? Pourtant, je t’aime, 8 a
Ô vieille enjôleuse, et je veux 8 b
T’avoir malgré mon anathème, 8 a
Et me rouler dans tes cheveux. 8 b
Sur ce lit d’algue tu te vautres, 8 a
110 Avec toi je veux me vautrer. 8 b
À mon tour, même après tant d’autres. 8 a
Je veux te prendre et t’éventrer. 8 b
Sûr que tu seras la plus forte, 8 a
Je veux te coucher sur les reins. 8 b
115 Tu me boiras aussi. Qu’importe, 8 a
Si d’abord sous moi je t’étreins ! 8 b
Je veux ta chair enveloppante, 8 a
Tes baisers chatouillants et longs, 8 b
Ta caresse qui vous serpente 8 a
120 De la nuque jusqu’aux talons. 8 b
Je veux sentir mon corps en flamme 8 a
Froidir entre tes seins visqueux ; 8 b
Je veux que mon être s’y pâme, 8 a
Et coule, et se fonde avec eux. 8 b
125 Je te veux, fantôme, chimère, 8 a
Corps fluide et tumultueux, 8 b
Ô mtresse, ô mère, ô grand’mère, 8 a
Rêve d’un rut incestueux, 8 b
Ô divine génératrice 8 a
130 De qui tous nous sommes sortis, 8 b
Et qui nous rouvres ta matrice 8 a
Amoureuse de ses petits, 8 b
Ô vieille, vieille, d’ ruisselle 8 a
Toute jeunesse incessamment, 8 b
135 Vieille catin toujours pucelle 8 a
Dont l’homme est le fils et l’amant ! 8 b
*
Ah ! la vieille, la vieille, la vieille,
 Qui toujours aura quinze ans !
mètre profil métrique : 8
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