Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
RIC_3/RIC299
Jean RICHEPIN
LA MER
1894
LES GAS
X
LES POUILLARDS
Où ça couche ? Le plus souvent 8 a
N’importe où. Quand le froid les traque, 8 b
Avec le suroit arrivant, 8 a
Ça couche dans une baraque 8 b
5 À l’abandon, qui se détraque, 8 b
Dont le toit bâille en se crevant 8 c
Sous l’averse, et dont le mur craque 8 b
À toutes les gifles du vent. 8 c
Ils s’entassent là pêle-mêle, 8 a
10 Comme un nœud de vers embrouillés, 8 b
Jeunes et vieux, mâle et femelle, 8 a
Haleurs, mendigots et mouliers. 8 b
Tous transis, grelottants, mouillés, 8 b
Les bras croisés sous la mamelle. 8 c
15 Et parfois, quoique sans souliers, 8 b
Forcés de battre la semelle. 8 c
Quand ils en sortent, les matins, 8 a
Alors que le soleil appuie 8 b
Ses pieds d’or sur de verts satins, 8 a
20 Eux, qu’en vain sa lumière essuie, 8 b
Avec leur crasse aux tons de suie 8 b
Où le jour plaque des étains, 8 c
Mal débarbouillés par la pluie 8 b
Ils ont l’air de nègres déteints. 8 c
25 De quoi ça s’habille ? De loques. 8 a
Fonds de culottes sans mollets, 8 b
Pan de veste qui t’effiloques, 8 a
Bourgerons veufs de vos collets, 8 b
Chapeau roux qui te décollais, 8 b
30 Cuirs débouillis gonflés de cloques, 8 c
De vous il se font des complets 8 b
Où leur morve met des breloques. 8 c
De quoi ça vit ? De noirs écots 8 a
Savoureux à leur faim qui dure : 8 b
35 Vagues détritus de fricots 8 a
Mijotés dans les tas d’ordure, 8 b
Trognons de choux, brins de verdure. 8 b
Mélancoliques haricots, 8 c
Bouts de pain dont la croûte dure 8 b
40 Ébrèche leurs derniers chicots. 8 c
Par-ci par-là, jours de fortune, 8 a
D’un pêcheur ils ont des poissons. 8 b
Ou bien, guettant l’heure opportune 8 a
Où nous, étrangers, nous passons, 8 b
45 Ils nous marmonnent des chansons 8 b
En nous disant que c’en est une 8 c
De mathurin, et nous glissons 8 b
Dans leur main sale un peu de thune. 8 c
Mais ces jours-là, ces bons instants, 8 a
50 On les compte au cours de l’année. 8 b
Les autres, les jours malcontents, 8 a
Se suivent comme à la fournée. 8 b
Longs mois de disette acharnée ! 8 b
De quoi ça vit ? De vieux restants 8 c
55 Raccrochés au jour la journée. 8 b
De quoi ça vit ? De l’air du temps. 8 c
Et cependant, ça vit, ça grouille. 8 a
Plus mal que bien, c’est entendu ! 8 b
Aucun n’a la panse en citrouille. 8 a
60 Le plus gras a l’air d’un pendu. 8 b
Mais chacun, à vivre assidu, 8 b
Résiste, lutte, et se débrouille. 8 c
Leur espoir n’est pas plus perdu 8 b
Que le fer n’est mort sous la rouille 8 c
65 Quel espoir ? Ils ne savent pas. 8 a
Pourtant, on voit qu’il les fait vivre, 8 b
Puisque, partout où vont leurs pas, 8 a
On peut lire comme en un livre 8 b
Dans leurs yeux la soif de le suivre. 8 b
70 Espoir de quoi ? D’un bon repas ? 8 c
D’un lit plus sûr ? D’un sommeil ivre ? 8 b
Espoir d’un tranquille trépas ? 8 c
Espoir de quoi ? Que leur importe ! 8 a
Ils vont vers lui, jamais lassés. 8 b
75 Hôtes du vieux hangar sans porte, 8 a
Mangeurs d’arlequins ramassés, 8 b
Rôdeurs des quais et des fossés 8 b
Hantés du rat et du cloporte, 8 c
Pas un ne dit que c’est assez 8 b
80 Et ne veut que la mort l’emporte. 8 c
Espoir de quoi ? Tout simplement 8 a
Espoir de vivre encore une heure, 8 b
L’heure qui va dans un moment 8 a
Sourire, et qui sera meilleure 8 b
85 Que celle d’à-présent qui pleure. 8 b
Espoir sans fin qui toujours ment, 8 c
Qui toujours accouche d’un leurre, 8 b
Et qu’on maudit, mais en l’aimant ! 8 c
C’est cet espoir qui les enivre, 8 a
90 Qui les chauffe de ses rayons 8 b
Contre le vent, la nuit, le givre, 8 a
Qui les revêt sous les haillons, 8 b
Les nourrit, et met des paillons 8 b
Superbes dans leurs yeux de cuivre. 8 c
95 De quoi ça vit, ces penaillons ? 8 b
De quoi ça vit ? De vouloir vivre. 8 c
mètre profil métrique : 8
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