Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
RIC_3/RIC256
Jean RICHEPIN
LA MER
1894
LES LITANIES DE LA MER
I
LES LITANIES DE LA MER
Sancta Maria ! Mers, | mers saintes, mers bénies. 6+6 a
Mers qui faites la mer, | c’est vers vous, vers toi. Mer, 6+6 b
Que veut s’épanouir | en riches litanies 6+6 a
Le jardin de mon âme | où le blasphème amer 6+6 b
5 Brûlait hier encor | pétales et corolles. 6+6 c
Au livre des chrétiens | j’ai choisi le même air, 6+6 b
Les mêmes oraisons | et les mêmes paroles 6+6 c
Qu’ils exhalent vers la | Mère de leur Sauveur. 6−6 a
Pour toi j’ai déroulé | l’or de ces banderoles, 6+6 c
10 Pour loi du vin dévot | j’ai goûté la saveur, 6+6 a
Je me suis enivré | de son bouquet mystique. 6+6 b
Et l’athée a connu | l’extase et la ferveur. 6+6 a
Ô mer, j’ai retrouvé | la foi, moi le sceptique. 6+6 b
J’ai retrouvé l’amour, | moi le cœur mécréant, 6+6 c
15 Moi le tueur de Dieux, | pour chanter ton cantique. 6+6 b
Déesse que je vois | sans relâche créant, 6+6 c
Et toujours pullulante | et jamais immobile, 6+6 a
Ordre et chaos, matière | et force, être et néant ! 6+6 c
Mais pour te célébrer | que je me sens débile ! 6+6 a
20 Rien que de le vouloir, | j’en ai les nerfs tordus. 6+6 b
Comme des flots de sang, | comme des jets de bile, 6+6 a
Comme un torrent de lave | et de métaux fondus, 6+6 b
Les mots en tourbillons | me montent à la bouche, 6+6 c
Pressés, tumultueux, | bouillonnants, éperdus. 6+6 b
25 Ô monstrueux enfants | dont il faut que j’accouche ! 6+6 c
Mon palais se déchire | à leurs fracas grondants, 6+6 a
Ma langue se dessèche | à leur souffle farouche, 6+6 c
Mes lèvres vont se fondre | à leurs charbons ardents. 6+6 a
Et ces escadrons fous | galopant ventre à terre 6+6 b
30 M’arrachent la poitrine | et me brisent les dents. 6+6 a
Ô mer, que dans tes eaux | leur feu se désaltère ! 6+6 b
Images, verbes, vers, | allez, prenez l’essor, 6+6 c
Ruez-vous dans son gouffre, | assaillez son mystère. 6+6 b
Et tâchez d’être aussi | brillants que son trésor, 6+6 c
35 Mots aux casques d’argent | lourds de joaillerie, 6+6 a
Mots caparaçonnés | de diamants et d’or ! 6+6 c
Sainte mère de Dieu, | car c’est toi la patrie 6+6 a
De l’homme, et Dieu naquit | dès que l’homme eut rêvé ; 6+6 b
C’est de ton horizon | et de sa rêverie 6+6 a
40 Que pour la prime fois | le spectre s’est levé. 6+6 b
Ô spectre vague, qui | d’abord des flots émerges, 6+6 c
Tu leur dois d’être au monde, | à nous d’être achevé. 6+6 b
Mer, église où la nuit | vient allumer des cierges, 6+6 c
Où le soir s’évapore | en nuages d’encens, 6+6 a
45 Où le chrétien le voit, | Sainte Vierge des Vierges, 6+6 c
Dans le magnificat | des Chérubins dansants 6+6 a
Qui te font un grand dais | de l’ombre de leurs ailes 6+6 b
Cependant que ton fils | sourit à leurs accents. 6+6 a
Mère du Christ, de moi | n’espère point ces zèles. 6+6 b
50 C’est la mer que je vois | dans la mer, et non pas 6+6 c
Ces images d’un culte | insipide sans elles, 6+6 b
La mer, azur et moire, | émeraude et lampas, 6+6 c
La mer aux flots sauteurs | comme un troupeau de zèbres. 6+6 a
La Mère de l’auteur | de la grâce, aux appas 6+6 c
55 Innombrables, divers, | gais ensemble et funèbres, 6+6 a
Car la grâce est la vie. | et l’onde en est l’auteur, 6+6 b
Et la clarté du jour | surgit de ses ténèbres. 6+6 a
Ô mer, déroule ici | tes flux avec lenteur, 6+6 b
Et fais voir à mes yeux | d’autres allégories 6+6 c
60 Que Mère du Sauveur, | Mère du Créateur. 6+6 b
Mère très-pure, ô mer | où les algues flétries, 6+6 c
Les éléments dissous, | les corps décomposés, 6+6 a
Les putréfactions | et les pouacreries, 6+6 c
Pour des êtres nouveaux | bientôt organisés 6+6 a
65 Retrouvent la jeunesse | et sa fleur d’innocence 6+6 b
Dans ta suave haleine | et tes vivants baisers ! 6+6 a
Mère très-pure en qui | la mort devient naissance, 6+6 b
Mère très-pure en qui | l’immonde s’abolit, 6+6 c
Mère très-pure en qui | l’impur change d’essence ! 6+6 b
70 Mère très-chaste, nul | ne partage ton lit, 6+6 c
Ni le soleil royal | l’embrasant de son faste, 6+6 a
Ni l’homme qui de sa | vermine le salit, 6−6 c
Ni le vent qui s’y vautre | en rut et le dévaste. 6+6 a
Dans ce lit tout ouvert | ton corps s’offre tout nu ; 6+6 b
75 Mais il reste à jamais | sacré, Mère très-chaste. 6+6 a
Car, Mère toujours vierge, | aucun ne l’a tenu 6+6 b
Pantelant dans ses bras, | pâmé sous ses caresses. 6+6 c
Et l’homme vieillira, | le vent sera chenu, 6+6 b
Le soleil décrépit | perdra l’or de ses tresses, 6+6 c
80 Tous tes amants seront | dans la caducité, 6+6 a
Eux, vainqueurs qui comptaient | par milliers leurs maîtresses, 6+6 c
Eux, don Juans au désir | sans relâche excité, 6+6 a
Tous s’useront dans leur | concupiscence vaine, 6−6 b
Avant d’avoir fait brèche | à ta virginité. 6+6 a
85 Mère sans tache à qui | nul n’a mis dans les veines 6+6 b
Une goutte de sang | au germe adultérin ! 6+6 c
Cavale en liberté | qui mâches des verveines 6+6 b
D’une bouche où jamais | on n’a passé le frein ; 6+6 c
Amazone sauvage | et fièrement rebelle, 6+6 a
90 Aux flancs drapés d’hermine, | aux seins bardés d’airain, 6+6 c
Indomptable tigresse | aux yeux de colombelle 6+6 a
Toujours extasiés | et toujours langoureux ; 6+6 b
Mère sans tache et pour | cela d’autant plus belle. 6−6 a
Car les amants, plus forts | de ce qu’on fait contre eux, 6+6 b
95 À tes rebellions | doublent leurs convoitises, 6+6 c
Et les plus dédaignés | sont les plus amoureux. 6+6 b
Pourtant, sans le vouloir, | c’est toi qui les courtises, 6+6 c
Mère aimable et les feux | qui leur brûlent les reins, 6+6 a
Inextinguibles, fous, | c’est toi qui les attises ; 6+6 c
100 C’est toi, c’est ton regard | aux aimants souverains, 6+6 a
Tes cheveux dénoués | flottant en mèches vertes, 6+6 b
Tes membres alanguis, | onduleux, vipérins, 6+6 a
Qui promettent l’espoir | d’étranges découvertes : 6+6 b
Mère aimable, c’est toi | qui leur tends comme appâts 6+6 c
105 Tes seins alliciants, | tes lèvres entr’ouvertes. 6+6 b
Ah ! qui peut t’approcher | et ne te vouloir pas ? 6+6 c
Par toi toute abstinence | est muée en fringale 6+6 a
À la tentation | de semblables repas. 6+6 c
Mère admirable, grâce | et beauté sans égale, 6+6 a
110 Rien qu’à te contempler, | sûr de ne point t’avoir, 6+6 b
D’ambroisie à plein cœur | déjà l’on se régale. 6+6 a
Nectar des yeux, soma | des pensers, réservoir 6+6 b
Débordant de splendeurs, | de rêves, de féeries, 6+6 c
Pour être saoul d’amour | il suffit de te voir, 6+6 b
115 Mère admirable dont | les vagues sont fleuries 6+6 c
Quand le couchant ou l’aube | au rais papillotants 6+6 a
Sèment tous les métaux, | toutes les pierreries, 6+6 c
Tous les écrins du prisme | en reflets miroitants, 6+6 a
Tout l’arc-en-ciel dansant | sur ton sein qui chatoie, 6+6 b
120 Mère admirable ayant | chaque jour deux printemps ! 6+6 a
Mère admirable quand, | tel qu’un oiseau de proie, 6+6 b
Sur toi plane à midi | le féroce soleil 6+6 c
Dont le vol immobile | et dont l’œil qui flamboie 6+6 b
Silencieusement | fascinent ton sommeil, 6+6 c
125 Tandis qu’une pudeur | trouble ta chair, et semble 6+6 a
Y faire à fleur de peau | monter un sang vermeil ! 6+6 c
Mère admirable où dans | la nuit palpite et tremble 6−6 a
Le triste et doux visage | en pleurs du firmament ; 6+6 b
Ruche où, le soir venu, | se retrouvent ensemble 6+6 a
130 Les abeilles du ciel | à l’aurore essaimant ; 6+6 b
Hôtellerie où las | de leur course orageuse 6+6 c
Les coureurs d’infini | reposent en s’aimant ; 6+6 b
Couche d’Aldébaran | et lit de Bételgeuse, 6+6 c
Mère admirable dont | le giron complaisant 6+6 a
135 Unit ce voyageur | et cette voyageuse ! 6+6 c
Mère admirable et qui | de ton cœur fais présent 6+6 a
Aussi bien aux petits, | aux humbles, qu’aux étoiles, 6+6 b
Et qui ne t’appauvris | jamais en le faisant, 6+6 a
Mère aux seins toujours pleins, | toujours nus et sans voile ; 6+6 b
140 Où plantes, animaux, | hommes, tous nous suçons 6+6 c
L’intarissable lait | qui réjouit nos moelles. 6+6 b
Vierge vénérable, oh ! | chère à tes nourrissons, 6+6 c
Bonne aïeule par qui | notre terre est bercée 6+6 a
Aux ronrons endormeurs | de lointaines chansons ! 6+6 c
145 Plus vénérable encor | depuis que la pensée 6+6 a
A mieux su ta grandeur | en sondant tes secrets, 6+6 b
En apprenant comment | par toi fut dispensée 6+6 a
L’originelle vie | alors qu’en tes retraits 6+6 b
Bouillait obscurément | le plus antique germe 6+6 c
150 Gros de tous les futurs | épanouis après ; 6+6 b
Toi qui marques notre heure, | au début comme au terme ; 6+6 c
Car le cycle complet | des terrestres instants, 6+6 a
S’il fut ouvert par toi, | c’est par toi qu’il se ferme ; 6+6 c
Toi qui connus le globe | encor sans habitants, 6+6 a
155 Et qui le reverras | sans un animalcule, 6+6 b
Dépouillé de ses bois, | les membres grelottants, 6+6 a
Vide de la chaleur | qui dans ses flancs circule : 6+6 b
Ô mer qui reflétas | l’aube des premiers jours 6+6 c
Et qui dois refléter | le dernier crépuscule ! 6+6 b
160 Vierge puissante, aux pas | si légers et si lourds, 6+6 c
Guerrière dont les bras | à l’étreinte mouvante 6+6 a
Sont plus durs que le fer, | plus doux que le velours. 6+6 c
Toi qui, lasse parfois | d’être notre servante, 6+6 a
Veux montrer que tu sais | rugir et que tu mords, 6+6 b
165 Et qui surgis alors, | le front ceint d’épouvante, 6+6 a
Terrible, crins épars, | sans pitié, sans remords. 6+6 b
Parmi l’effondrement | des flots et des orages 6+6 c
Portant dans chaque main | une gerbe de morts. 6+6 b
Vierge puissante, aux cris | de haine, aux pâles rages. 6+6 c
170 Qui vas soufflant dans un | tempétueux buccin 6−6 a
Déracineur de mâts | et semeur de naufrages. 6+6 c
Qui de tes ongles verts | te lacères le sein 6+6 a
En crachant jusqu’au ciel | ta bave jaillissante. 6+6 b
Avec des gestes fous | et des yeux d’assassin. 6+6 a
175 Tueuse de ton fils, | que ton fils innocente ; 6+6 b
Car, lui donnant le jour, | le lui prendre est ton droit, 6+6 c
Puits d’existence et puits | de mort, Vierge puissante ! 6+6 b
Vierge clémente, grâce ! | Il fait nuit, il fait froid. 6+6 c
Sur sa nef en cercueil | ouvrant sa voile en aile, 6+6 a
180 Le matelot s’embarque. | En ta clémence il croit. 6+6 c
Et pour prix de sa foi | te voilà maternelle. 6+6 a
Hélas ! sans cette mer | que deviendraient les siens ? 6+6 b
Sa femme et ses petits, | leur pâture est en elle. 6+6 a
Aussi pour lui tes flots | se font magiciens : 6+6 b
185 Plus il prend de poisson, | plus le poisson augmente. 6+6 c
Tu rends aux pauvres gueux | les miracles anciens, 6+6 b
Multipliant le pain | dont leur faim s’alimente, 6+6 c
Changeant ton eau salée | en des pichets de vin, 6+6 a
Ô sorcière qui les | nourris, Vierge clémente. 6−6 c
190 Vierge fidèle, ceux | qui vers ton cœur divin 6+6 a
Ont exhalé leur deuil, | leur joie ou leurs chimères, 6+6 b
On n’en connaît pas un | qui t’ait priée en vain. 6+6 a
Au triste, avec ses pleurs | tes larmes sont amères. 6+6 b
Au joyeux tu souris. | À tous tu sais payer 6+6 c
195 En immortel amour | leurs amours éphémères. 6+6 b
Vierge fidèle, ainsi | quand revient au foyer 6+6 c
L’exilé moribond | qui sentant fuir sa vie 6+6 a
Veut râler dans le nid | qui l’a vu bégayer. 6+6 c
Il l’entre, et le foyer | de sa flamme ravie 6+6 a
200 Tend vers lui ses rayons | aux baisers réchauffants, 6+6 b
Heureux de contenter | cette suprême envie ; 6+6 a
Ainsi tu gardes, toi, | pour les vieux, les enfants, 6+6 b
L’irrésistible attrait | d’une patrie, et douce 6+6 c
Ta tendresse leur fait | des trépas triomphants. 6+6 b
205 Ils ont connu pourtant | ta voix qui se courrouce ; 6+6 c
Ils ont eu contre toi | des luttes sans quartier ; 6+6 a
Depuis l’âge où l’on part | en pleurant, pauvre mousse, 6+6 c
Jusqu’à l’âge où, fourbu, | l’on quitte le métier, 6+6 a
Ils ont peiné sur toi | durement et sans trêves, 6+6 b
210 De dix à soixante ans, | un demi-siècle entier ; 6+6 a
Et ce qui reste encor | d’huile à leurs lampes brèves 6+6 b
Au lieu de l’abriter | dans la paix des maisons, 6+6 c
Ils viennent jusqu’au bout | l’user au vent des grèves. 6+6 b
Il leur faut ton haleine | et tes grands horizons, 6+6 c
215 La mouette effleurant | les vagues d’un coup d’aile, 6+6 a
Les moutons écumeux | secouant leurs toisons, 6+6 c
Et ton âme enfin, car | leur âme est faite d’elle, 6+6 a
Âme d’enfants, cristal | aussi clair que leurs yeux, 6+6 b
Aussi pur que ton cœur, | cœur d’or, Vierge fidèle ! 6+6 a
220 Miroir de la justice, | exact et spacieux, 6+6 b
Devant qui tout défile, | en qui rien ne demeure, 6+6 c
Où l’on peut de sa main | toucher le fond des cieux, 6+6 b
Où l’homme épouvanté | qui sombre, avant qu’il meure 6+6 c
Revoit comme un éclair | sa vie en un moment ! 6+6 a
225 Miroir impartial | où sont à la même heure 6+6 c
Tous les matins levés, | toutes les nuits dormant, 6+6 a
Tous les rayons, tous les | fantômes de la nue, 6−6 b
Tout le fourmillement | sans fin du firmament. 6+6 a
Et jusqu’aux gouffres noirs | pleins d’une ombre inconnue 6+6 b
230 Où roulent radieux | des astres si lointains 6+6 c
Que leur lumière à nous | n’est pas encor venue. 6+6 b
Miroir de la justice, | où nos futurs destins 6+6 c
Sont écrits près de notre | existence passée, 6−6 a
Réglés fatalement | par des arrêts certains, 6+6 c
235 Miroir où l’infini | regarde sa pensée, 6+6 a
Pèse le mal, le bien, | et, les équilibrant, 6+6 b
La trouve aux deux plateaux | strictement balancée. 6+6 a
Miroir de la justice, | où l’homme injuste apprend 6+6 b
Que ce mal et ce bien | ne sont rien qu’apparences : 6+6 c
240 Car ce que prend un jour, | un autre nous le rend. 6+6 b
Trône de la sagesse | aux tendres remontrances, 6+6 c
Nous enseignant ainsi | par ta sérénité 6+6 a
L’oubli des vains espoirs, | des regrets et des transes ; 6+6 c
Trône où notre regard | se connaît limité, 6+6 a
245 Et revenu du rêve | et des apothéoses, 6+6 b
À conscience enfin | de notre humilité. 6+6 a
Mais trône dont l’épine | aussi porte des roses ; 6+6 b
Parfum d’où monte au cœur | le légitime orgueil 6+6 c
De gravir jusqu’à toi | par l’escalier des causes, 6+6 b
250 De voir le fond du temple | en en baisant le seuil, 6+6 c
Et d’y trouver la grande | Isis qui, dévoilée, 6+6 a
Nous prendra par la main | pour nous y faire accueil. 6+6 c
Trône de la sagesse | aux pieds de mausolée, 6+6 a
Mais au dais triomphal | où flambe un ostensoir, 6+6 b
255 Ô science, ô tombeau | de la foi désolée, 6+6 a
Berceau de l’espérance, | aube qui nais du soir, 6+6 b
Ô mer qui nous montras | nos fins, notre origine, 6+6 c
Trône de la sagesse | où l’homme va s’asseoir ! 6+6 b
Cause de notre joie, | où la Grèce imagine, 6+6 c
260 Parmi les rires frais | et les cris éclatants 6+6 a
Des trois Grâces, Thalie, | Aglaé, Euphrosyne, 6+6 c
Dans les zéphyrs fleuris | d’un matin de printemps, 6+6 a
Kypris Aphroditè | qui jaillit d’une vague, 6+6 b
Le corps vêtu d’écume | et les cheveux flottants ! 6+6 a
265 Déesse, ô rêve éteint, | mais que moi qui divague 6+6 b
Je rêve encor parfois, | fils des anciens chanteurs, 6+6 c
Déesse dont j’ai vu | l’apparition vague, 6+6 b
Le soir, quand l’air traînait | de troublantes senteurs 6+6 c
Tandis qu’à l’horizon | se gonflaient ta poitrine 6+6 a
270 Et ton ventre où buvaient | mes yeux profanateurs ; 6+6 c
Cause de notre joie, | Aphroditè marine, 6+6 a
J’eusse aimé vivre à l’heure | où sur ses noirs chevaux 6+6 b
Emportés et ronflant | du feu par la narine 6+6 a
Arès te promenait | devant les Dieux nouveaux. 6+6 b
275 Quand Héphaistos tout seul | blâmait ton adultère, 6+6 c
Quand tes crimes d’amour | n’avaient que des dévots. 6+6 b
Alors d’une voix forte | et sans jamais me taire, 6+6 c
Prêtre, aède exalté, | j’aurais chanté le los 6+6 a
De ta religion, | jeunesse de la terre. 6+6 c
280 Vase rempli des dons | du Saint-Esprit, ô flots, 6+6 a
Flots de l’abîme sur | lesquels, dit la Genèse, 6−6 b
Était porté, devant | que rien ne fût éclos. 6+6 a
L’esprit de Dieu ! Flots noirs | où roulait à son aise 6+6 b
Le chaos dont ce globe | allait sortir vivant, 6+6 c
285 Statue informe encor, | bronze dans la fournaise. 6+6 b
Vase, ce saint Esprit, | ce Dieu, n’étaient que vent. 6+6 c
Ce qui te remplissait | à cette heure, ô fantôme, 6+6 a
C'est ce qui te remplit | toujours, après, avant. 6+6 c
De toute éternité, | conclusion, symptôme ; 6+6 a
290 Le rut des éléments | en marche vers le rien 6+6 b
Se cherchant dans la nuit | pour engendrer l’atome. 6+6 a
Vase d’honneur, nombril | du monde assyrien, 6+6 b
Où l’antique Oannès, | dieu-poisson, se révèle, 6+6 c
Créant tout, de ses yeux | l’espace aérien, 6+6 b
295 La terre de son cœur, | le ciel de sa cervelle, 6+6 c
Mais ne le créant pas, | toi son prédécesseur. 6+6 a
En qui lui-même il rentre | et prend forme nouvelle. 6+6 c
Vase insigne, versant | la paix et la douceur, 6+6 a
Vase aux parois d’argent, | aux fines ciselures, 6+6 b
300 Et dont la lèvre pour | la nôtre est une sœur, 6−6 a
Ton breuvage est doré | comme des chevelures, 6+6 b
Vert comme l’émeraude | et bleu comme le ciel, 6+6 c
Plein d’étranges fraîcheurs | et d’étranges brûlures. 6+6 b
Mieux fleurant que la menthe | et l’anis et le miel, 6+6 c
305 Et vous laisse à la fin | un goût saumâtre et rêche. 6+6 a
Plus fade que du sang, | plus amer que du fiel. 6+6 c
Vase insigne, car tes | vapeurs sont une crèche 6−6 a
Où les troupeaux errants | des vaches de l’azur 6+6 b
Paissent sans l’épuiser | une herbe toujours fraîche, 6+6 a
310 Et se gonflent le pis | d’un lait crémeux et pur 6+6 b
Pour le verser en pluie | et faire dans la plaine 6+6 c
La chair des fruits, le sang | du vin, l’or du blé mûr. 6+6 b
Rose mystique, rose | à l’odorante haleine, 6+6 c
Ô rose dont le cœur | s’entr’ouvre en souriant, 6+6 a
315 Ô rose, fleur d’Hélène | et fleur de Madeleine, 6+6 c
Fleur de la volupté, | mer qui vas charriant 6+6 a
Tant d’embryons épars | accouplés pêle-mêle, 6+6 b
Rose rose au couchant | et rose à l’Orient, 6+6 a
Rose dont le calice | ardent sent la femelle, 6+6 b
320 Rose que rien ne fane | à l’éternel rosier, 6+6 c
Rose mystique, rose | idéale et formelle ; 6+6 b
Formelle, quand sur toi | le soleil en brasier 6+6 c
Verse à tes flots sa pourpre | et les change en pétales 6+6 a
Que tout son rouge sang | ne peut rassasier ; 6+6 c
325 Formelle, quand alors | au loin tu les étales 6+6 a
Ainsi qu’une corbeille | effeuillée à l’autel 6+6 b
Et qu’arrangent en lit | des mains sacerdotales ; 6+6 a
Idéale, car sous | l’aspect accidentel 6−6 b
Que te donnent ainsi | ces lueurs passagères 6+6 c
330 Nos périssables yeux | perçoivent l’immortel ! 6+6 b
Les rêves d’infini, | c’est toi qui les suggères, 6+6 c
Rose mystique, rose | idéale ; et mon cœur 6+6 a
A bien pu blasphémer | leurs splendeurs mensongères. 6+6 c
Dire qu’à ces désirs | éclot notre rancœur, 6+6 a
335 Et crier qu’on est sage | en détournant sa bouche 6+6 b
De cette ténébreuse | et soûlante liqueur, 6+6 a
Ô rose, malgré tout | ton mystère me touche, 6+6 b
Et je ne vois jamais | au fond de l’horizon 6+6 c
Dans ton immensité | le soleil qui se couche, 6+6 b
340 Sans regretter le temps | où ton divin poison 6+6 c
Guérissait le vieux mal | qui ronge nos entrailles, 6+6 a
Le vieux mal de douter | dont meurt notre raison. 6+6 c
Tour d’ivoire du haut | de laquelle tu railles, 6+6 a
Ô foi, tranquille foi, | nos doutes angoissés, 6+6 b
345 Tour d’ivoire, tour blanche | aux solides murailles, 6+6 a
Tour de la certitude | où vous vous prélassez, 6+6 b
Croyants dont rien n’abat | la croyance vivace, 6+6 c
Croyants dans la prière | et l’espoir cuirassés. 6+6 b
Tour d’ivoire, redoute | aux remparts sans crevasse ; 6+6 c
350 Au sommet de laquelle | en contemplation 6+6 a
Les fidèles pieux | voient leur Dieu face à face ! 6+6 c
Tour d’ivoire où le Christ | parle à sa nation. 6+6 a
Et donne à ses élus | les clefs adamantines 6+6 b
De la porte qui clôt | la céleste Sion, 6+6 a
355 Tour d’ivoire, lieu saint | dont j’ai fait des sentines, 6+6 b
Renonçant à ma part | du délice promis, 6+6 c
Volontaire exilé | des fausses Palestines ! 6+6 b
Tour d’ivoire d’où les | mécréants sont vomis ! 6−6 c
Mais Tour d’ivoire aussi | de la science obscure 6+6 a
360 Qui doit mieux que la foi | consoler ses amis. 6+6 c
Maison d’or où se tient, | les mains sur la figure, 6+6 a
Celle dont Héraclite | a vu l’œil caverneux, 6+6 b
Celle dont le sourire | éclairait Épicure, 6+6 a
Celle dont le baiser | s’épanouit en eux, 6+6 b
365 Celle que les chrétiens | ont cru mettre au suaire 6+6 c
Et qui le déchira | de ses doigts lumineux, 6+6 b
La Nature, l’informe, | à qui nul statuaire 6+6 c
Ne peut forger un corps | et qui vit cependant, 6+6 a
Dernière déité | du dernier sanctuaire ! 6+6 c
370 Maison d’or où nous la | verrons ! En attendant 6−6 a
Que nous ayons conquis | les suprêmes sagesses 6+6 b
Et que de l’infini | l’homme soit confident, 6+6 a
Maison d’or, ô palais | regorgeant de richesses, 6+6 b
Ô toi qui nous promets | le pain de nos esprits, 6+6 c
375 Pour le pain de nos corps | tu répands tes largesses. 6+6 b
Sans doute il sera beau | d’avoir enfin compris ; 6+6 c
Mais pour toucher au but | de ce pèlerinage, 6+6 a
Il faut vivre d’abord : | l’étape est à ce prix. 6+6 c
Et comment vivons-nous, | marcheurs qui d’âge en âge 6+6 a
380 Allons en nous disant | qu’on arrive demain, 6+6 b
Marcheurs infatigués | malgré nos fronts en nage ? 6+6 a
Nous vivons de l’aumône | offerte à notre main 6+6 b
Par toi, mer charitable, | en qui se vivifie 6+6 c
L’air que nous respirons | tout le long du chemin. 6+6 b
385 Par loi, sans qui la terre | exsangue, en atrophie, 6+6 c
Ne serait bientôt plus | qu’un squelette sans chair, 6+6 a
Par toi qui nous en fais | une table servie, 6+6 c
Maison d’or dont le maître | au pauvre n’est pas fier 6+6 a
Où les grains prodigués | sont à qui les picore, 6+6 b
390 Et grande ouverte à tous | sous ton vitrage clair. 6+6 a
Et nul ne sait pourtant | quelle splendeur décore 6+6 b
Les creux inexplorés | où tes gouffres roulants, 6+6 c
Qui donnent tant de biens, | en cachent plus encore, 6+6 b
Maison d’or où depuis | des mille et des mille ans, 6+6 c
395 Entraînant le meilleur | du sol, tombent les fleuves. 6+6 a
Maison d’or où s’exhausse | en monceaux opulents 6+6 c
La poudre dont naîtront | plus tard des îles neuves, 6+6 a
Maison d’or où se fait | un tas de millions 6+6 b
Du sou des orphelins, | de l’obole des veuves, 6+6 a
400 Et du lourd chargement | des riches galions, 6+6 b
Tout sombrant pêle-mêle | au fond de tes royaumes 6+6 c
Dont jamais moissonneur | n’a fauché les sillons. 6+6 b
Maison d’or, le cristal | mobile de tes dômes 6+6 c
Est cependant la route | où sans peur du danger 6+6 a
405 Va l’homme curieux | des mœurs, des idiomes, 6+6 c
Chercher au loin la main | de son frère étranger ; 6+6 a
Et grâce à cette route, | Arche de l’alliance, 6+6 b
Tous les peuples épars | ont pu se mélanger. 6+6 a
L’amorce de l’obstacle | offerte à leur vaillance 6+6 b
410 Aiguisa l’appétit | des efforts généreux ; 6+6 c
Et mettant tout, bonheur, | patrie, en oubliance, 6+6 b
Ils prirent vers le large | un vol aventureux 6+6 c
Pour qu’un jour tous les fils | rapprochés par tes ondes 6+6 a
Pussent se reconnaître | et se bénir entre eux. 6+6 c
415 Arche de l’alliance, | aux promesses fécondes, 6+6 a
C’est par toi que plus tard | les races se fondront ; 6+6 b
Les mondes séparés | ne seront plus deux mondes ; 6+6 a
Le globe n’aura plus | qu’un seul cœur, un seul front : 6+6 b
Sainte communion | de la famille humaine 6+6 c
420 Autour d’un fraternel | banquet assise en rond ! 6+6 b
Porte du ciel ouvrant | ce radieux domaine 6+6 c
Où tous seront élus, | nuls ne seront maudits. 6+6 a
Repos dominical | de la longue semaine, 6+6 c
Sûre abolition | des antiques édits 6+6 a
425 Qui nous ont condamnés | à combattre pour vivre, 6+6 b
Porte du ciel, ô seuil | des futurs Paradis ! 6+6 a
Porte dont au couchant | on voit les gonds de cuivre ! 6+6 b
Beau ciel en qui je n’ai | pas foi, ciel du progrès, 6+6 c
Souvent je sens en moi | sourdre un désir de suivre 6+6 b
430 Ceux qui marchent vers toi, | qui te disent tout près ; 6+6 c
Et j’ai beau m’assurer | que ton aube est menteuse, 6+6 a
Si je ne m’y rends pas, | ce n’est point sans regrets. 6+6 c
Étoile du matin, | divine entremetteuse, 6+6 a
Pardonne si mon cœur | résiste à tes clins d’yeux, 6+6 b
435 Aux ensorcèlements | de ta voix chuchoteuse, 6+6 a
Et si, rebelle à ton | sourire insidieux, 6−6 b
Je refuse d’entrer | au temple où l’on redresse 6+6 c
Pour ce Dieu nouveau-né | l’autel des anciens Dieux. 6+6 b
Étoile du matin, | ah ! je comprends l’ivresse 6+6 c
440 De ceux à qui ta vue | a troublé la raison, 6+6 a
Et qui, t’aimant ainsi | qu’on aime une maîtresse, 6+6 c
Abandonnent pour toi | leur mère et leur maison, 6+6 a
Sans pouvoir se douter | qu’au bout de leur folie 6+6 b
Le prix de tant d’amour | sera ta trahison. 6+6 a
445 Toi que ta cruauté | rend encor plus jolie, 6+6 b
Que de fois ton regard | dans ma gorge planté 6+6 c
Y laissa le venin | de la mélancolie ! 6+6 b
Par bonheur il ressemble | à ce fer enchanté, 6+6 c
Remède autant que mal, | qui guérit ceux qu’il blesse. 6+6 a
450 Étoile du matin | trompeuse, mais Santé 6+6 c
Des infirmes, ô mer, | recours de la faiblesse, 6+6 a
Baume énergique et sûr | en qui se retrempant 6+6 b
Le corps reprend sa sève | et l’esprit sa noblesse ; 6+6 a
Bain de vigueur, étreinte | aux anneaux de serpent, 6+6 b
455 Lutte contre la vague | et le souffle du large, 6+6 c
Grains d’iode et de sel | que le poudrain répand ; 6+6 b
Rien qu’à humer l’embrun | dont s’argente ta marge, 6+6 c
Ô mer, rien qu’à courir | parmi tes goëmons, 6+6 a
Notre sang ressuscite | et bat le pas de charge, 6+6 c
460 Nos enfants délicats | redeviennent démons, 6+6 a
Le soleil se rallume | à leur face blémie ; 6+6 b
Et, retrouvant l’Avril, | celles que nous aimons 6+6 a
Voient éclore à leur joue | une rose endormie. 6+6 b
Si bien qu’un ton vermeil | empourpre les lis blancs 6+6 c
465 Qui tristes s’y fanaient | hier dans l’anémie. 6+6 b
Ô mer, vin des petits, | lait des vieillards tremblants, 6+6 c
En même temps Santé | des infirmes de l’âme ; 6+6 a
Car l’âme à ton aspect | ranime ses élans 6+6 c
Et repart plus allègre | au but qui la réclame, 6+6 a
470 Travaux, rêves, pensers, | amours, ambitions, 6+6 b
Pareille au chevalier | qui voyait l’oriflamme. 6+6 a
Las du combat, blessés, | vaincus, nous languissions. 6+6 b
Mais te voilà, Santé | des infirmes. Alerte ! 6+6 c
Plus de lâches repos ! | Plus d’hésitations ! 6+6 b
475 Recommençons la lutte, | et, fût-ce à notre perte, 6+6 c
Marchons ! S’il faut périr, | nous périrons debout. 6+6 a
On entend le clairon | et la lice est ouverte. 6+6 c
L’espoir gonfle mon cœur. | Mon œil luit. Mon sang bout. 6+6 a
Parmi les rangs épais | je taillerai ma route. 6+6 b
480 Le combat sera long ; | mais la gloire est au bout. 6+6 a
Et si la gloire doit | me faire banqueroute, 6+6 b
Si le but se dérobe | à mes assauts chercheurs, 6+6 c
C’est près de toi qu’ira | mon orgueil en déroute ; 6+6 b
Près de toi, pour calmer | sa fièvre à tes fraîcheurs, 6+6 c
485 Pour pouvoir de ton sel | panser sa cicatrice, 6+6 a
Près de toi, près de toi, | Refuge des pécheurs, 6+6 c
Solitude pour les | vaincus réparatrice, 6−6 a
Béquille soutenant | les espoirs sans ressort. 6+6 b
Mort des remords, tombeau | des pleurs, Consolatrice 6+6 a
490 Des affligés, retraite | à l’éclopé qui sort 6+6 b
De la bataille après | la dernière trouée, 6+6 c
Ligne de sauvetage | aux naufragés du sort 6+6 b
Dont la barque ne peut | plus être renflouée 6+6 c
Et qui, juste au moment | de sombrer sous les flots, 6+6 a
495 Peuvent se raccrocher | des doigts à ta bouée. 6+6 c
Refuge des pécheurs, | tu connus mes poings clos 6+6 a
Frappant sur ma poitrine | au jour des repentances ; 6+6 b
Tu connus mes remords | qui crevaient de sanglots. 6+6 a
Mon équité rendant | contre moi des sentences, 6+6 b
500 Et mon cœur indigné | du mal qu’il avait fait 6+6 c
S’infligeant en retour | de rudes pénitences. 6+6 b
Mais alors qu’au plus fort | du deuil il étouffait, 6+6 c
Ô mer, c’est toi qui vins | apaiser ses alarmes, 6+6 a
Consolatrice des | affligés en effet, 6−6 c
505 Consolatrice aux mots | profonds et pleins de charmes 6+6 a
Qui sais ce qu’il faut dire | aux plus désespérés, 6+6 b
Consolatrice dont | la main sèche leurs larmes ! 6+6 a
Ô vous qui comme moi | près d’elle souffrirez, 6+6 b
Ô vous qui comme nous | avez souffert près d’elle, 6+6 c
510 Lamentable troupeau | de fous et de navrés 6+6 b
Dont la consolatrice | est l’amante fidèle, 6+6 c
Ô vous tous qu’elle endort, | malades enfançons 6+6 a
Puisant le lait d’oubli | dans ses seins d’asphodèle. 6+6 c
Unissez votre voix | à la mienne et lançons 6+6 a
515 Vers son trône encensé | du feu de nos louanges 6+6 b
L’hosanna de nos plus | triomphales chansons ! 6+6 a
Salut, pleine de grâce | en fleurs, Reine des anges 6+6 b
Au manteau d’émeraude | ourlé de vif-argent, 6+6 c
Ô mer qui bois nos pleurs, | qui déterges nos fanges, 6+6 b
520 Qui laves sans dégoût | les pieds de l’indigent, 6+6 c
Reine qui fais éclore | aux vagues où tu marches 6+6 a
Un jardin de joyaux | et d’oiseaux ramageant, 6+6 c
Reine dont l’auréole | est le grand pont sans arches 6+6 a
De l’arc-en-ciel ouvrant | ses bras aux malheureux ; 6+6 b
525 Reine douce aux vieillards, | Reine des patriarches, 6+6 a
Qui redeviens servante | et nourrice pour eux. 6+6 b
Et parfumes leurs jours | derniers de longues fêtes, 6+6 c
Soufflant à leurs poumons | ton souffle généreux ; 6+6 b
Reine de poésie | et Reine des prophètes ; 6+6 c
530 Car ceux qui vont portant | des ombres dans leurs yeux, 6+6 a
C’est de ton infini | que leurs ombres sont faites ; 6+6 c
Et ceux qui vont criant | de grands mots vers les cieux, 6+6 a
Et dont le cœur s’épuise | à réchauffer les nôtres, 6+6 b
Ces grands mots exaltés | au vol audacieux 6+6 a
535 C’est toi qui les leur dis | pour les redire aux autres. 6+6 b
Ô toi, langue de feu | qui viens les embraser, 6+6 c
Ô Reine des martyrs | et Reine des apôtres, 6+6 b
Ô reine qui leur mets | aux lèvres ton baiser. 6+6 c
Ta palme dans la main, | ta foi dans les prunelle, 6+6 a
540 Et les forces d’aller | et d’évangéliser ! 6+6 c
Ô Reine, ô Mer, j’irai ! | Sur tes vagues, en elles, 6+6 a
J’ai passé bien des jours | et bien des nuits, rêvant 6+6 b
Pour tâcher d’entrevoir | les splendeurs éternelles 6+6 a
Des symboles cachés | sous ton voile mouvant, 6+6 b
545 Miroir incessamment | agité qui reflètes 6+6 c
Les tourbillons sans but | de l’univers vivant. 6+6 b
Et je t’ai vue, Isis | aux phrases incomplètes, 6+6 c
Kypris Aphroditè | fantôme à l’horizon, 6+6 a
Nature dont le corps | étreint de bandelettes 6+6 c
550 Reste toujours informe | et sans terminaison, 6+6 a
Conscience qui veux | vainement le connaître, 6+6 b
Âme du monde dont | le monde est la prison, 6+6 a
Toi qui nais pour mourir | et qui meurs pour renaître. 6+6 b
Sans pouvoir te fixer, | te saisir un instant. 6+6 c
555 Être qui n’es jamais, | néant sûr de ton être, 6+6 b
Déesse, je t’ai vue | au visage flottant 6+6 c
De la mer qui ruisselle | et roule à ton exemple, 6+6 a
Impuissante à trouver | le niveau qu’elle attend. 6+6 c
Ô toi dont l’infini | dans ses flots se contemple, 6+6 a
560 Déesse, pour louer | tes charmes souverains, 6+6 b
J’ai voulu de mes vers | t’édifier ce temple ; 6+6 a
J’ai pris aux mots leurs ors, | leurs marbres, leurs airains ; 6+6 b
Pillant ces jardiniers, | volant ces lapidaires, 6+6 c
J’ai cueilli leurs bouquets, | j’ai vidé leurs écrins ; 6+6 b
565 En images flambant | comme des lampadaires 6+6 c
J’ai fait s’illuminer | d’un rayon fulgurant 6+6 a
L’allégorie obscure | aux ombres légendaires ; 6+6 c
Parmi les brouillards bleus | de l’encens odorant, 6+6 a
Des orgues j’ai versé | toutes les harmonies, 6+6 b
570 Susurrements de brise | et fracas de torrent, 6+6 a
Et chantant de mon mieux | en syllabes bénies 6+6 b
Ta grâce et tes fiertés, | ta force et tes douceurs, 6+6 c
J’ai répandu mon cœur | d’athée en litanies 6+6 b
Pour confesser ta foi, | Reine des confesseurs. 6+6 c
mètre profil métrique : 6−6
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