Métrique en Ligne
RIC_2/RIC233
Jean RICHEPIN
LES CARESSES
1877
NIVÔSE
XXIII
AU BORD DE LA MER
Je suis bien loin de vous et des choses passées. 6+6 a
J'ai fui Paris, où mes anciennes pensées 6−6 a
Hantaient tous mes chemins. 6 b
J'y retrouvais partout les heures disparues 6+6 c
5 Dont les spectres plaintifs me suivaient par les rues 6+6 c
En me prenant les mains ; 6 b
Tous les regrets amers de nos belles années 6+6 a
Y fleurissaient partout en fleurs empoisonnées 6+6 a
Aux fentes du pavé ; 6 b
10 Je ne pouvais plus faire un pas hors de ma porte 6+6 c
Sans voir le corbillard de l'Espérance morte ; 6+6 c
Et je me suis sauvé. 6 b
Je me suis sauvé, faible et désertant la lutte, 6+6 a
Sans oser regarder mon mal, comme une brute 6+6 a
15 Qui cache ses yeux clos. 6 b
Je me suis évadé loin de vous et du monde. 6+6 c
Entre Paris et moi j'ai mis la mer profonde, 6+6 c
La mer et tous ses flots. 6 b
Mais le noir souvenir m'a suivi sans relâche. 6+6 a
20 J'emporte mon remords, comme un assassin lâche 6+6 a
Qui se serait enfui 6 b
Laissant un corps saigner au coin de quelque haie 6+6 c
Et qui croirait ouïr les lèvres de la plaie 6+6 c
Crier derrière lui. 6 b
25 Pourtant, je pensais bien avoir trouvé l'asile. 6+6 a
Je me suis enterré dans le calme d'une île 6+6 a
Ainsi que dans un trou. 6 b
Je ne vois plus le rire ironique de l'homme, 6+6 c
Je n'entends plus mentir la femme, et je vis comme 6+6 c
30 Dans son arbre un hibou. 6 b
Partout, emprisonnant mon âpre solitude, 6+6 a
Je ne vois, je n'entends que la mer, la mer rude 6+6 a
Qui lutte avec le vent, 6 b
Qui déchire ses mains sur les dents de la côte, 6+6 c
35 Et dont la grande voix endormeuse est plus haute 6+6 c
Que nos sanglots d'enfant. 6 b
Mais la mer a beau faire et peut enfler sa vague, 6+6 a
Le vent a beau chanter sa chanson lente et vague. 6+6 a
Je ne suis pas bercé. 6 b
40 Rien ne peut endormir ma tristesse qui rage 6+6 c
Et qui pousse des cris ainsi que dans l'orage 6+6 c
Un albatros blessé. 6 b
Des cruels souvenirs mon âme est encor pleine, 6+6 a
Et c'est eux que j'entends seuls dans la cantilène 6+6 a
45 Du vent et de la mer. 6 b
J'entends, j'entends toujours les heures disparues, 6+6 c
Dont les spectres plaintifs me suivaient par les rues, 6+6 c
Me chanter le môme air. 6 b
Et les regrets, et les remords, et le vieux rêve 6−6 a
50 Aussi bien que là-bas viennent sur cette grève 6+6 a
Me hanter jusqu'ici ; 6 b
Et, rhythmant 'les sanglots de la mer qui déferle, 6+6 c
Les larmes du rocher s'égouttent perle à perle, 6+6 c
Et les miennes aussi. 6 b
55 Ah ! c'est en vain, c'est bien en vain que je m'exile ! 6+6 a
Je ne trouverai pas le refuge et l'asile. 6+6 a
Pourquoi chercher ? Pourquoi ? 6 b
Je ne puis me sauver du passé qui m'accable. 6+6 c
Je ne puis éviter le fantôme implacable. 6+6 c
60 Le fantôme est en moi. 6 b
mètre profils métriques : 6, 6−6
forme globale type : suite périodique
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