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C = clitique
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F = "e" féminin
| = césure
RIC_1/RIC48
Jean RICHEPIN
LA CHANSON DES GUEUX
1881
DEUXIÈME PARTIE
GUEUX DE PARIS
LES QUATRE SAISONS
X
UN VIEIL HABIT
À COQUELIN CADET
Qui a joué ce poème partout et ailleurs.
Ô vieil habit, relique orde de temps anciens, 6+6 a
Quel Nestor des marchands d’habits sait d'où tu viens ? 6+6 a
Quel centenaire nous contera les années 6−6 b
Que tu passas parmi les hardes surannées 6+6 b
5 D’une arrière-boutique, où de fades parfums 6+6 a
S’entassent dans les plis des vêtements défunts ? 6+6 a
Et quel Homère enfin, dénombreur de batailles, 6+6 b
Dira les abdomens, les dos, les reins, les tailles 6+6 b
Qui luttèrent avec ta laine, et les assauts 6+6 a
10 Que tu subis, depuis les baisers roux et chauds 6+6 a
Du soleil qui mûrit le drap, jusqu’à l’averse 6+6 b
Aiguisée en aiguille insensible qui perce ? 6+6 b
Qui sait les froids grêlons et les rayons ardents 6+6 a
Dont sur ton cuir tanné s’ébréchèrent les dents ? 6+6 a
15 Qui sait le nom des vents dont la farouche horde 6+6 b
Pour se suicider s’est pendue à ta corde ? 6+6 b
Ô vieil habit, relique orde des temps anciens, 6+6 a
Te rappellerais-tu toi-même d’où tu viens ? 6+6 a
À coup sûr, ce n’est pas de cette maison neuve 6+6 b
20 Qui vend pour vingt-neuf francs des complets à l’épreuve, 6+6 b
Qui par les voix de la réclame a convoqué 6−6 a
La basse gomme, et qui n’est pas au coin du quai. 6+6 a
Non, non, vieil habit, toi dont la coupe est austère, 6+6 b
Tu n’eus pas pour berceau ce banal phalanstère 6+6 b
25 Qui fait sur l’acheteur planer comme un condor 6+6 a
Dans une écharpe rouge un grand calicot d’or. 6+6 a
Non, tu viens du bon temps où le tailleur sincère, 6+6 b
Tirant le fil, soignant le nœud sage qui serre, 6+6 b
Ignorant la machine à coudre et les tramés 6+6 a
30 Laine et coton, faisait des pantalons aimés, 6+6 a
Et lui-même cousait jusqu’aux ourlets futiles, 6+6 b
Et repliait sous lui ses jambes inutiles. 6+6 b
Ah ! je voudrais les voir nos habits nouveaux-nés, 6+6 a
Faits sur mesure en vingt-quatre heures, façonnés 6−6 a
35 Sans âme, comme on fait la cuisine à prix fixe, 6+6 b
Eux dont l’étoffe est brève et l’affiche prolixe, 6+6 b
Oui, je voudrais les voir souffrir ainsi que toi, 6+6 a
Vivre en plein air au dos d’un vagabond sans toit, 6+6 a
Avoir des entretiens avec la belle étoile, 6+6 b
40 Des souffles de l’hiver s’enfler comme une voile, 6+6 b
Se sler de printemps mouillé, d’été cuisant, 6+6 a
Je voudrais les y voir, nos habits d’à présent, 6+6 a
Les voir durer le temps qu’on a mis à les faire, 6+6 b
Et se fondre, noyés dans ce bain d’atmosphère ! 6+6 b
45 Car vous ne supportez ni le froid, ni le chaud, 6+6 a
Ô Belle Jardinière, ô Pont-Neuf, ô Godchau ! 6+6 a
Mais toi, sublime habit, toi, malgré tes reprises, 6+6 b
Tes lambeaux reliés par des ficelles grises, 6+6 b
Tes pans déchiquetés en scie, et tes revers 6+6 a
50 Où des taches sans nom font des ordres divers, 6+6 a
Malgré ton bras qui, pris de spleen, bâille à l’aisselle, 6+6 b
Malgré ta couleur vague aux tons d’eau de vaisselle, 6+6 b
Malgré tout, tu sais vivre encore, et tu tiens bon, 6+6 a
Aïeul de vêtement, tissu chauve et barbon, 6+6 a
55 Cuit dans des Saharas, gelé dans des Islandes, 6+6 b
Vétéran, éternel honneur des houppelandes ! 6+6 b
Cambronne des habits, en face du trépas, 6+6 a
Tu lui diras : Je meurs, mais je ne me rends pas ! 6+6 a
Et je t’ai salué, triste mais toujours digne, 6+6 b
60 Sur le dos incli d’un pécheur à la ligne. 6+6 b
mètre profil métrique : 6−6
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