Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
RIC_1/RIC44
Jean RICHEPIN
LA CHANSON DES GUEUX
1881
DEUXIÈME PARTIE
GUEUX DE PARIS
LES QUATRE SAISONS
VI
LES TERRAINS VAGUES
Quand juillet a roussi | l’herbe des terrains vagues, 6+6 a
Ils ont l’air de grands lacs | de rouille, dont les vagues 6+6 a
Portent pour immobile | écume des gravats. 6+6 b
C’est là pourtant, ô gueux | de Paris, que tu vas, 6+6 b
5 Dans ce lugubre champ | qui pour fleur a l’ordure, 6+6 a
Quand tu veux par hasard | prendre un bain de verdure. 6+6 a
La campagne est trop loin. | L’omnibus est trop cher. 6+6 b
Et toi, le Juif-Errant, | toi qui marchais hier, 6+6 b
Qui marcheras demain, | qui dois marcher sans trêve, 6+6 a
10 Tu veux faire aujourd’hui | ta promenade brève, 6+6 a
Et tout le long du jour, | oubliant ta rancœur, 6+6 b
Au verre du repos | t’enivrer à plein cœur. 6+6 b
Dans les jardins publics | on n’est pas à son aise : 6+6 a
Trop de monde ! D’ailleurs | il faut payer sa chaise 6+6 a
15 Comme à l’église. Il faut | être un richard. Ou bien 6+6 b
Si l'on dort allongé | sur un banc, un gardien 6+6 b
Surgit, chasse le rêve | à sa voix de rogomme, 6+6 a
De son poignet brutal | étrangle votre somme, 6+6 a
Et, parmi les badauds | dont une meute accourt, 6+6 b
20 Vous traîne par le col | en criant comme un sourd : 6+6 b
« Il faut dormir chez soi | quand on est soûl, crapule. » 6+6 a
Et ce gros propre à rien | vous flanque sans scrupule 6+6 a
À la porte, et la foule | en riant dit merci. 6+6 b
Toi donc qui veux dormir | sans gêne et sans souci, 6+6 b
25 La face vers le ciel | et le dos sur la terre, 6+6 a
Tu vas dans un terrain | vague, bien solitaire. 6+6 a
Pas de cris. Pas de bruit. | Pas de bonne d’enfant. 6+6 b
Pas de gardien. Personne | ici ne te défend 6+6 b
De donner à ton corps, | qui souffre, un peu de fête, 6+6 a
30 Et tu peux à ton gré | dormir comme une bête. 6+6 a
Des bêtes, en effet, | chats morts ou chiens galeux, 6+6 b
Sont tes seuls compagnons, | ô coucheur scandaleux 6+6 b
Qui pour buen retiro | prends cette place immonde 6+6 a
Où gisent les débris | honteux de tout le monde. 6+6 a
35 Que t’importe ? Les pieds | fourbus, les membres las, 6+6 b
Tu ne sens nul dégoût | d’avoir pour matelas 6+6 b
La cuvette où vomit | la cité colossale. 6+6 a
Un lit est toujours doux, | même quand il est sale. 6+6 a
Au beau milieu du champ, | tu choisis un bon creux, 6+6 b
40 Où les tessons pointus | soient un peu moins nombreux, 6+6 b
Où le sol n’ait pas trop | de durillons, où l’herbe 6+6 a
Ne prenne pas un air | absolument imberbe. 6+6 a
Tu t’estimes veinard, | fadé d’un chouette écot, 6+6 b
Si quelque pissenlit, | quelque coquelicot, 6+6 b
45 Avec son pompon jaune | ou bien sa rouge crête 6+6 a
Fait un mouchetis d’ombre | au dessus de ta tête. 6+6 a
Dans ce trou, lentement, | comme dans un hamac, 6+6 b
Tu te couches, les bras | croisés sur l’estomac, 6+6 b
Les jambes en compas, | la figure couverte 6+6 a
50 De ta casquette ; et là, | barbe au vent, bouche ouverte, 6+6 a
Dans ce coin de nature | où tu te sens chez toi, 6+6 b
Tu goûtes le bonheur | de n’avoir point de toit. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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