Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
RIC_1/RIC29
Jean RICHEPIN
LA CHANSON DES GUEUX
1881
PREMIÈRE PARTIE
GUEUX DES CHAMPS
L’ODYSSÉE DU VAGABOND
IV
IDYLLE DE PAUVRES
L’hiver vient de tousser | son dernier coup de rhume 6+6 a
Et fuit, emmitouflé | dans sa ouate de brume. 6+6 a
On ne reverra plus, | avant qu’il soit longtemps, 6+6 b
Sur la vitre, allumée | en prismes éclatants, 6+6 b
5 Fleurir la fleur du givre | aux étoiles d’aiguilles. 6+6 a
Voici qu’un frisson monte | à la gorge des filles ! 6+6 a
C’est le printemps. Salut, | bois verts, oiseaux chanteurs, 6+6 b
Ciel délicat ! La brise, | où flottent des senteurs, 6+6 b
Apporte on ne sait d’où | les amoureuses fièvres ; 6+6 a
10 Et des baisers, errants | dans l’air, cherchent des lèvres. 6+6 a
Mais le dur paysan | retourne à ses travaux. 6+6 b
Pour lui, qu’importe avril | et ses désirs nouveaux ? 6+6 b
Ce qu’il sait seulement, | c’est qu’il faut quitter l’âtre, 6+6 a
Qu’il faut recommencer | la lutte opiniâtre 6+6 a
15 Contre la terre en rut, | buveuse de sueurs. 6+6 b
Et le chant des oiseaux, | l’aube aux fraîches lueurs, 6+6 b
Les papillons, l’azur, | lui disent : – Prends ta blouse 6+6 a
Et travaille. La terre | est ta femme jalouse 6+6 a
Et veut que tu sois tout | à elle, et tout le jour. 6+6 b
20 Féconde-la, vilain, | sans penser à l’amour. – 6+6 b
Et le dur paysan | baise la terre grise 6+6 a
Sans humer les senteurs | qui flottent dans la brise, 6+6 a
Sans ouvrir sa poitrine | aux souffles embrasés. 6+6 b
Où vous poserez-vous, | vols errants de baisers, 6+6 b
25 Essaim tourbillonnant | des amoureuses fièvres ? 6+6 a
Heureusement pour vous | que les gueux ont des lèvres. 6+6 a
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
(Ici deux gueux s’aimaient | jusqu’à la pâmoison, 6+6 b
Et cela m’a valu | trente jours de prison.) 6+6 b
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Ô gueux, enivrez-vous | de l’amour printanière ! 6+6 a
30 Allez, sous le buisson | qui vous sert de tanière, 6+6 a
Personne ne vous voit | que le bois et le ciel. 6+6 b
L’abeille, qui bourdonne | en butinant son miel, 6+6 b
Ne racontera pas | les choses que vous faites. 6+6 a
Le papillon, joyeux | de voir les champs en fêtes, 6+6 a
35 Vole sans bruit parmi | la plaine aux cent couleurs, 6+6 b
Et pour vous imiter | conte fleurette aux fleurs. 6+6 b
Seul, un oiseau, perché | sur la plus haute feuille, 6+6 a
Entend les mots qu’on dit | et les baisers qu’on cueille, 6+6 a
Et semble se moquer | de vous, le polisson ! 6+6 b
40 Mais tout ce qu’il raconte | en l’air n’est que chanson. 6+6 b
Aimez-vous ! Savourez, | loin du monde et des hommes, 6+6 a
Ce qu’on a de meilleur | sur la terre où nous sommes ! 6+6 a
Pâmez-vous dans les bras | l’un de l’autre sans fin ! 6+6 b
Abreuvez votre soif | d’aimer ! À votre faim 6+6 b
45 Repaissez-vous longtemps | de caresses trop brèves ! 6+6 a
Vivez cette minute | ainsi qu’on vit en rêves ! 6+6 a
Dans le débordement | de ce fleuve vermeil 6+6 b
Noyez les jours sans pain, | et les nuits sans sommeil, 6+6 b
Et tout ce qui vous reste | à vivre dans la dure ! 6+6 a
50 Ô gueux, soyez heureux ! | L’amour vous transfigure. 6+6 a
Malgré vos pauvretés, | vous êtes riches, beaux. 6+6 b
De l’amour éternel | vous portez les flambeaux. 6+6 b
Oui, l’amour qui fait battre | à l’instant votre artère, 6+6 a
C’est celui qui féconde | autour de vous la terre, 6+6 a
55 C’est celui dont la brise | apporte les senteurs, 6+6 b
C’est celui des bois verts | et des oiseaux chanteurs, 6+6 b
Celui qui fait gonfler | les seins comme des voiles, 6+6 a
Celui qui dans les cieux | fait rouler les étoiles, 6+6 a
C’est l’amour éternel | que tout veut apaiser 6+6 b
60 Et par qui l’univers | n’est qu’un vaste baiser. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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