Métrique en Ligne
RIC_1/RIC24
Jean RICHEPIN
LA CHANSON DES GUEUX
1881
PREMIÈRE PARTIE
GUEUX DES CHAMPS
LES PLANTES, LES CHOSES, LES BÊTES
IX
TRISTESSE DES BÊTES
Le soleil est tombé derrière la forêt. 6+6 a
Dans le ciel, qu’un couchant rose et vert décorait, 6+6 a
Brille encore un grenat au faîte d’une branche. 6+6 b
La lune, à l’opposé, montre sa corne blanche. 6+6 b
5 Vers les puits, dont l’eau coule aux rigoles de bois, 6+6 a
C’est l’heure où les barbets avec de grands abois 6+6 a
Font, devant le berger lourd sous sa gibecière, 6+6 b
Se hâter les brebis dans des flots de poussière. 6+6 b
Les bêtes, les oiseaux des champs, sont au repos. 6+6 a
10 Seuls, le long du chemin, compagnons des troupeaux, 6+6 a
Sautant de motte en motte après la mouche bleue, 6+6 b
On entend pépier les brusques hoche-queue. 6+6 b
Puis ils s’en vont aussi. La nuit de plus en plus 6+6 a
Monte, noyant dans l’ombre épaisse le talus 6+6 a
15 Où les grillons plaintifs chantent leur bucolique 6+6 b
En couplets alternés d’un ton mélancolique. 6+6 b
Sous la brise du soir les herbes, les buissons, 6+6 a
Palpitent, secoués de douloureux frissons, 6+6 a
Et semblent chuchoter de noires confidences. 6+6 b
20 À ce ronron lugubre accordant ses cadences, 6+6 b
Le vieux berger, qui souffle en ses pipeaux faussés, 6+6 a
Fait pâmer les crapauds râlant dans les fossés. 6+6 a
Or, le bélier pensif baisse plus bas ses cornes ; 6+6 b
Les brebis, se serrant, ouvrent de grands yeux mornes ; 6+6 b
25 Et les chiens en hurlant s’arrêtent pour s’asseoir. 6+6 a
Oh ! vous avez raison d’être tristes, le soir ! 6+6 a
Elle a raison, berger, ta chanson monotone 6+6 b
Qui pleure. Il a raison, l’animal qui s’étonne 6+6 b
De l’ombre épouvantable et de la nuit sans fond. 6+6 a
30 Hélas ! l’ombre et la nuit, sait-on ce qu’elles font ? 6+6 a
Sait-on quel œil vous guette et quel bras vous menace 6+6 b
Dans cette chose noire ? Ah ! la nuit ! C’est la nasse 6+6 b
Que la Mort tous les soirs tend par où nous passons, 6+6 a
Et qui tous les matins est pleine de poissons. 6+6 a
35 Vive le bon soleil ! Sa lumière est sacrée. 6+6 b
Vive le clair soleil ! Car c’est lui seul qui crée. 6+6 b
C’est lui qui verse l’or au calice des fleurs, 6+6 a
Et fait les diamants de la rosée en pleurs ; 6+6 a
C’est lui qui donne à mars ses bourgeons d’émeraude, 6+6 b
40 À mai son frais parfum qui par les brises rôde, 6+6 b
À juin son souffle ardent qui chante dans les blés, 6+6 a
À l’automne jauni ses cieux roux et troublés ; 6+6 a
C’est lui qui pour chauffer nos corps froids en décembre 6+6 b
Unit au bois flambant les vins de pourpre et d’ambre ; 6+6 b
45 C’est lui l’ami magique au sourire enchanté 6+6 a
Qui rend la joie à ceux qui pleurent, la santé 6+6 a
Aux malades ; c’est lui, vainqueur des défaillances, 6+6 b
Qui nourrit les espoirs, ranime les vaillances ; 6+6 b
C’est lui qui met du sang dans nos veines ; c’est lui 6+6 a
50 Qui dans les yeux charmants des femmes dort et luit ; 6+6 a
C’est lui qui de ses feux par l’amour nous enivre ; 6+6 b
Et quand il n’est pas là, j’ai peur de ne plus vivre. 6+6 b
Vous comprenez cela, vous, bêtes, n’est-ce pas ? 6+6 a
Puisque, le soir venu, ralentissant le pas, 6+6 a
55 Dans votre âme, par l’homme oublieux abolie, 6+6 b
Vous sentez je ne sais quelle mélancolie. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de distiques
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