Métrique en Ligne
a voyelle stable
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e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
RIC_1/RIC111
Jean RICHEPIN
LA CHANSON DES GUEUX
1881
ÉPILOGUE
LA FIN DES GUEUX
LA FIN DES GUEUX
_____
Cette nuit-là, la nuitsemblait encor plus noire. 6+6 a
Le ciel avait voiléles astres et leur gloire 6+6 a
Dans des nuages bas,lugubres et crevant 6+6 a
Parfois, lorsque sautaitun brusque coup de vent 6+6 a
5 Sifflant d’une voix rauqueau bois mort d’un vieil arbre, 6+6 a
Le plafond ténébreuxse fendait comme un marbre, 6+6 a
Et dans l’obscuritéqui s’ouvrait tout à coup 6+6 a
La lune apparaissaitainsi qu’un chef sans cou. 6+6 a
Mais cette clarté pâleaussitôt disparue 6+6 a
10 Épaississait la nuitpar son départ accrue. 6+6 a
Il faisait un froid mol,opaque, humide et gris. 6+6 a
Par moment, mes souliersdans la boue étant pris, 6+6 a
Je m’arrêtais, tendantvers l’ombre mes mains gourdes, 6+6 a
Les pieds crispés, les reinsrompus, les jambes lourdes, 6+6 a
15 Ayant soif de trouversur ma route un vivant. 6+6 a
Car j’étais seul, perdu ;car, derrière et devant, 6+6 a
Partout, je me heurtaisà des murs de ténèbres ; 6+6 a
Et mes yeux, embrumésde visions funèbres, 6+6 a
Contemplaient fixementdans le brouillard trompeur 6+6 a
20 Le troupeau monstrueuxdes choses qui font peur. 6+6 a
suis-je ? Vais-je doncmarcher la nuit entière ? 6+6 a
suis-je ?… Allons toujours…Horreur ! un cimetière ! 6+6 a
Est-ce un rêve ? Mes yeuxvoient-ils ce qu’ils croient voir ? 6+6 a
Quelle est cette lueurqui déchire le noir ? 6+6 a
25 Non ! ce n’est pas un feufollet. C’est un feu rouge. 6+6 a
Palpitant, animé,comme un haillon qui bouge, 6+6 a
Tantôt droit, tantôt courbe,il se tord dans le vent. 6+6 a
La terreur de la nuitme poussait en avant. 6+6 a
C’était trop noir derrière.Approchons de la haie ! 6+6 a
30 Ainsi sur un cadavreun trou saignant de plaie, 6+6 a
Sur une tombe en pierreainsi ce feu luisait. 6+6 a
Une grande ombre étaitdevant, qui l’attisait. 6+6 a
Elle se retourna,m’ayant senti, surprise. 6+6 a
C’était un long vieillard,front chauve, barbe grise, 6+6 a
35 Le corps maigre dans unmanteau dépenaillé, 6−6 a
La tournure rigideainsi qu’un empaillé. 6+6 a
Point terrible, malgrésa face de carême 6+6 a
Car le nez souriaitdans la figure blême, 6+6 a
Et mettait sur ce blancun beau ton violet. 6+6 a
40 On t dit un mouronoublié dans du lait. 6+6 a
Mais l’affreux cauchemarest quelquefois grotesque. 6+6 a
Donc j’avais beau le voircomique, en rire presque, 6+6 a
Je n’étais pas encord’aplomb. D’ailleurs le vieux 6+6 a
Faisait une besogneà vous troubler les yeux. 6+6 a
45 Il avait ramassé,parmi les tombes vertes, 6+6 a
Les pommes de sapindont elles sont couvertes ; 6+6 a
Dans les petits enclosravagés et fouillés, 6+6 a
Il avait prix les boisdes croix les moins mouillés ; 6+6 a
Puis, pour faire son feuse construisant un âtre 6+6 a
50 Avec des os pour pierreet du sable pour plâtre, 6+6 a
Il avait en chenetsappuyé contre un mur 6+6 a
Deux tibias posésen travers d’un fémur ; 6+6 a
Et, comme s’il étaitl’esprit du cimetière, 6+6 a
Il se chauffait, assissur le dos d’une bière. 6+6 a
55 Eh ! là-bas, cria-t-il,en voyant mon effroi, 6+6 a
Que fais-tu, camarade ?Il fait noir ; il fait froid ; 6+6 a
Approche donc ! Voicila lumière et la flamme. 6+6 a
Je ne suis pas un spectre,un revenant, une âme. 6+6 a
Si tu veux regarder,tu sera convaincu 6+6 a
60 Que je suis un vivantqui se chauffe le cul. – 6+6 a
Quand on est seul on tremble ;à deux, toute peur tombe. 6+6 a
Donc, franchissant la haie,enjambant une tombe, 6+6 a
Je fus bientôt assis,les pieds près des tisons. 6+6 a
– Çà, me dit-il alorsen souriant, causons ! 6+6 a
65 De quel métier es-tu ?– Du métier de poète. – 6+6 a
Le vieux me contempla,triste. Puis dans sa tête 6+6 a
Il rumina longtempstout bas je ne sais quoi, 6+6 a
Avec un air navréqui me rendait tout coi, 6+6 a
Il semblait accabléde souvenirs moroses, 6+6 a
70 Et marmottait les motsde printemps et de roses. 6+6 a
Soudain je vis roulerdes larmes dans son œil. 6+6 a
Son maigre poing cognala planche du cercueil. 6+6 a
Et le vieillard parla.Dans les jets de fumée 6+6 a
Qu’il tirait à floconsde sa pipe allumée, 6+6 a
75 Sa voix rauque et mordanteen sons aigres siffla. 6+6 a
Tandis que j’écoutais,voici comme il parla : 6+6 a
 Il fut un temps, mon camarade, 8 a
 Un temps qui ne reviendra point, 8 b
  je vivais en rigolade, 8 a
80  La main au pot, le verre au poing, 8 b
  sous mes joyeuses guenilles 8 a
 Battait un cœur plein de printemps, 8 b
  j’ai biscoté bien des filles 8 a
 Que je payais de mes vingt ans, 8 b
85  Un temps j’étais passé mtre 8 a
 Comme ferlampier, franc luron, 8 b
 À qui le monde semblait être 8 a
 Une fête l’on danse en rond. 8 b
 Las ! las ! jeunesse disparue, 8 a
90  Tu t’en vas, songe décevant, 8 b
 Ainsi que la tête bourrue 8 a
 D’un chardon s’échevèle au vent. 8 b
 Las ! las ! mes pauvres fleurs fanées ! 8 a
 Comme un chat maigre le temps court, 8 b
95  Et ce qui dura des années 8 a
 Comme un jour d’hiver part court. 8 b
 Et pourtant que de bonnes choses 8 a
 Ont tenu dans ce jour d’hiver ! 8 b
 O gais printemps, mois pleins de roses, 8 a
100  Ciel bleu, terre en fête, bois vert ! 8 b
 Que j’en ai gté de délices ! 8 a
 Mais tout a passé sur mon cœur 8 b
 Ainsi que sur des pierres lisses 8 a
 File une source au flot moqueur. 8 b
105  J’ai vu de bons vins dans ma coupe 8 a
 Et dans mon plat de bons morceaux, 8 b
 Et j’ai trempé plus d’une soupe 8 a
 Avec la charité des sots. 8 b
 Que m’en reste-t-il, à cette heure ? 8 a
110  En suis-je plus gras d’un seul grain ? 8 b
 Pas même un parfum ne demeure 8 a
 Des branches de mon romarin. 8 b
 Au château comme à la guinguette 8 a
 On laissait asseoir mes haillons, 8 b
115  Et dans les plis de ma braguette 8 a
 J’ai pris de jolis papillons. 8 b
 J’ai fait sur ma route inconnue 8 a
 Bien des enfants, fils de l’exil ; 8 b
 Déjà ma vieillesse chenue 8 a
120  A reverdi dans leur avril. 8 b
 Mais sont-ils ? Hélas ! que sais-je ? 8 a
 Faits hier, oubliés demain ! 8 b
 Retrouveras-tu sous la neige 8 a
 Ce que tu semais en chemin ? 8 b
125  Et maintenant, moi, le vieux mâle, 8 a
 Qui dois être au moins trisaïeul 8 b
 Quand me viendra l’heure l’on râle, 8 a
 Comme un chien je crèverai seul. 8 b
 Fils, la jeunesse n’est pas sage. 8 a
130  On rit, on s’amuse, et l’on croit 8 b
 Que la vie, oiseau de passage, 8 a
 Va revenir après le froid. 8 b
 Nos jours ne sont pas hirondelles. 8 a
 Partis, ils reviendront au temps 8 b
135   les crapauds auront des ailes, 8 a
  les poules auront des dents. 8 b
 On suit son cœur, on suit son ventre, 8 a
 On va !… Puis, en tournant les yeux, 8 b
 On voit que c’est là-bas, au diantre, 8 a
140  Qu’est la jeunesse, … et l’on est vieux. 8 b
 Et quand on est vieux, camarade, 8 a
 C’est fait ! Alors on se sent las. 8 b
 Le teint verdit comme salade. 8 a
 Le corps sèche comme échalas. 8 b
145  On a le nez long, et l’œil terne, 8 a
 De l’étoupe jaune au menton, 8 b
 Et plus d’huile dans la lanterne. 8 a
 On crache blanc comme coton. 8 b
 Et l’échine qui se détraque ! 8 a
150  Et les jambes ! les reins ! le cou ! 8 b
 Pour jeter à bas la baraque. 8 a
 Il ne faut plus un bien grand coup. 8 b
 C’est alors qu’une ménagère 8 a
 Vous serait bonne, et de l’argent ; 8 b
155  Ça vous rendrait la mort légère. 8 a
 Mais va-t’en voir s’ils viennent, Jean ! 8 b
 C’est fait, c’est bien fini, te dis-je. 8 a
 Toi, le beau vaillant compagnon 8 b
 Dont la gté fut un prodige, 8 a
160  Te voilà vieux, laid et grognon. 8 b
 Et les fillettes printanières 8 a
 Ont peur de tes longs doigts poilus ; 8 b
 Les enfants te jettent des pierres ; 8 a
 Personne ne te connt plus. 8 b
165  Qu’à mendier tu te hasardes, 8 a
 Tremblotant comme un homme sl, 8 b
 Combien auras-tu de nasardes 8 a
 Pour gagner un malheureux sou ! 8 b
 Chanteras-tu ? Mais ta voix veule 8 a
170  Rend plus de hoquets que de sons ; 8 b
 Et, n’ayant plus de dents en gueule, 8 a
 Tu bredouilleras tes chansons. 8 b
 N’importe ! fais la bouche en fraise ! 8 a
 Grimace avec ton front trop grand ! 8 b
175  Comme un coq dansant sur la braise, 8 a
 Tu dois faire rire en souffrant. 8 b
 Et si tu n’as rien dans le ventre, 8 a
 Chante plus fort, d’un ton plus creux. 8 b
 Sois la cornemuse l’air entre 8 a
180  Et d’ sortent des chants heureux. 8 b
 Ô cornemuse trop gonflée 8 a
 Dont la peau pète sous le bras, 8 b
 Un jour dans ta chanson sifflée 8 a
 Comme un son faux tu partiras. 8 b
185  Tu partiras sans qu’on en pleure ! 8 a
 De ceux que tu pus amuser, 8 b
 Pas un seul à ta dernière heure 8 a
 Qui ferme tes yeux d’un baiser. 8 b
 Sans drap de toile ou de percale, 8 a
190  Pour tout linceul tes pauvres os 8 b
 N’auront que ta chemise sale 8 a
 S’il t’en reste une sur le dos. 8 b
 Pourris dans la fosse commune, 8 a
 Ô fou, ton dernier cabanon ! 8 b
195  Personne, pas un et pas une, 8 a
 Ne se souviendra de ton nom. 8 b
 Voilà ma vie, o camarade ! 8 a
 Elle ne vaut pas un radis. 8 b
 Ça commence par une aubade, 8 a
200  Ça finit en De Profundis. 8 b
 La morale de celle histoire, 8 a
 C’est que mon feu meurt. On t’attend, 8 b
 La bise est aigre, la nuit noire ; 8 a
 Donne-moi deux sous, et va-t’en. 8 b
205  J’ai mal fait. Tu feras de même. 8 a
 J’ai bien tort de te conseiller. 8 b
 À l’âge l’on chante, l’on aime, 8 a
 Mange ton pain blanc le premier. 8 b
 Vouloir mettre une martingale 8 a
210  Aux jeunes, pour qui tout est neuf, 8 b
 Autant ferrer une cigale, 8 a
 Plumer un chat, ou tondre un œuf. 8 b
 Leur offrir la pauvre sagesse 8 a
 Quant de folie ils ont les biens, 8 b
215  Qu’est-ce, sinon faire largesse 8 a
 De soupe aux bœufs, d’avoine aux chiens ? 8 b
*
Il disait vrai. Sa vie,hélas ! sera la mienne. 6+6 a
Comme lui, j’ai tentéla route bohémienne. 6+6 a
Je m’en vais en chantantdès le lever du jour, 6+6 a
220 Par les prés de l’espoir,par les bois de l’amour, 6+6 a
Et le long de ta haieen fleurs, verte jeunesse. 6+6 a
Quand un plaisir est mort,j’attends qu’un autre naisse, 6+6 a
Et prends celui qui vientsans voir celui qui part. 6+6 a
À maint joyeux banquetj’ai bonne et large part, 6+6 a
225 Et d’espoirs capiteuxà loisir je m’enivre. 6+6 a
La rime est un jupon ;je m’amuse à la suivre. 6+6 a
Je l’accoste ; la filleen route se défend ; 6+6 a
Bah ! derrière un taillisje lui fais un enfant, 6+6 a
Et je m’en vais aprèsvers une autre chimère 6+6 a
230 Laissant sur mon cheminet l’enfant et la mère. 6+6 a
Je suis jeune aujourd’hui,gai, fantasque, fougueux. 6+6 a
Mais je sais que je doisfinir comme ce gueux. 6+6 a
Notre sentier fleuris’achève en pente rude 6+6 a
Dans un désert peupléd’amère solitude. 6+6 a
235 Et peut-être qu’un jour,lorsque l’âge outrageant 6+6 a
À mes cheveux d’ébèneaura mêlé l’argent, 6+6 a
Quand je n’aurai plus rienà jouer de mon rôle, 6+6 a
Quand les hommes, aprèsm’avoir trouvé très drôle 6+6 a
Ou très grand, trouverontque je suis ennuyeux, 6+6 a
240 Quand mes rimes aussidiront que je suis vieux, 6+6 a
Alors, sans feu ni lieu,courbant ma tête altière, 6+6 a
J’irai m’asseoir tout seuldans quelque cimetière, 6+6 a
Par une nuit sans luneet par un temps glacé, 6+6 a
Et là, je railleraimoi-même mon passé ; 6+6 a
245 Et parlant d’une voixcyniquement mordante 6+6 a
Sous le vent du malheurà l’haleine stridente, 6+6 a
Las d’avoir tant marché,triste d’avoir vécu, 6+6 a
De mes espoirs défuntsje chaufferai mon cul. 6+6 a
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