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| = césure
REN_5/REN256
Armand RENAUD
AU PAYS DE LA MORT ET DE LA BEAUTÉ
1895
GOLFE DE NAPLES
Sur la hauteur d'Assise
A Auguste Dorchain.
LE voyageur, de l'aube au soir, avait erré 6+6 a
Parmi l'écroulement du cloître vénéré, 6+6 a
Dans la crypte funèbre et dans les deux églises. 6+6 a
Pour prier deux fois Dieu l'une sur l'autre mises : 6+6 a
5 L'une, celle d'en bas, sombre, symbolisant 6+6 a
Le terrestre combat, l'angoisse du présent ; 6+6 a
L'autre au front couronné par la lumière auguste 6+6 a
Et figurant l'espoir céleste pour le juste. 6+6 a
C'était un homme ardent, un penseur libre et fier. 6+6 a
10 Depuis les éléments de l'insondable éther 6+6 a
Jusqu'aux vertiges du nombre, jusqu'au mystère 6−6 a
De la force vitale éparse sur la terre. 6+6 a
Son esprit d'analyse avait tout abordé. 6+6 a
Et même en philosophe il avait regardé, 6+6 a
15 Hors du matériel et tangible domaine, 6+6 a
Dans le gouffre encor plus profond de l'âme humaine. 6+6 a
Sur la hauteur d'Assise, il méditait devant 6+6 a
L'étonnant paysage où, d'un cœur si fervent, 6+6 a
Le saint François du temps passé, le doux ascète, 6+6 a
20 Apprivoisait le loup et prêchait l'alouette. 6+6 a
Et l'homme de science, orgueilleux du présent. 6+6 a
Souriait en suivant d'un regard complaisant, 6+6 a
Au-devant d'un vieux dôme isolé dans l'espace, 6+6 a
La lointaine vapeur blanche du train qui passe, 6+6 a
25 Et, plus près, les poteaux suspendus au rocher. 6+6 a
Le télégraphe allant vaillamment s'accrocher, 6+6 a
Comme s'il l'assaillait, aux murs du sanctuaire 6+6 a
Où, tandis que les saints gisent sous le suaire. 6+6 a
L'idée humaine court vivante sur le fil. 6+6 a
30 « Ainsi l'esprit moderne est vainqueur, pensait-il. 6+6 a
Même ici, tout le vieil édifice s'écroule. ' 6+6 a
L'idéal mensonger qui subornait la foule 6+6 a
N'est plus qu'une ruine où, le long du talus, 6+6 a
On monte encor, mais où personne ne vit plus. 6+6 a
35 Las de compter en vain sur une aide suprême. 6+6 a
Le genre humain s'est mis à compter sur lui-même ; 6+6 a
Et le voilà qui marche et, degré par degré, 6+6 a
S'empare de l'utile et pénètre le vrai. 6+6 a
Certe, on vous aime encore, ô vieux rêves, mais comme 6+6 a
40 Le babil d'un enfant a du charme pour l'homme. » 6+6 a
L'heure crépusculaire avait empli le ciel 6+6 a
D'un jour très fin, très doux, presque immatériel. 6+6 a
Silencieusement, sur le mont solitaire. 6+6 a
Des brumes sans contours flottaient au ras de terre. 6+6 a
45 Et ces brumes, s'ouvrant, laissaient voir à demi 6+6 a
Deux figures de femme au doux visage ami, 6+6 a
Au corps enveloppé dans d'impalpables voiles, 6+6 a
Qui regardaient monter les premières étoiles. 6+6 a
Et l'une était la Foi, l'autre était la Beauté, 6+6 a
50 Double religion et double royauté 6+6 a
Qui mirent en ces lieux tant de charme et de gloire , 6+6 a
Pour s'enfuir aussitôt qu'on eut cessé d'y croire. 6+6 a
Et ces spectres aimés des temps qui ne sont plus 6+6 a
Parlèrent vaguement :
« Mes dieux sont vermoulus, 6+6 a
55 Disait une des voix, et mes vierges fanées 6+6 a
Ont perdu l'auréole au souffle des années. 6+6 a
Plus d'adorations sans fin sur les parvis, 6+6 a
Plus d'espoirs éternels dans le deuil poursuivis, 6+6 a
Plus de renoncements, plus de chairs qu'on torture. 6+6 a
60 Croyant ainsi gagner l'allégresse future ! 6+6 a
Le bien terrestre est seul un but. C'est ici-bas 6+6 a
Que tout triomphateur met le prix des combats. 6+6 a
Et je n'ai plus qu'à fuir au fond de mon ciel vide ! 6+6 a
Mais qui consolera le moribond livide ? 6+6 a
65 Qui versera le baume au cœur du paria ? » 6+6 a
Et l'autre voix, vibrant comme un luth, s'écria : 6+6 a
« J'étais la splendeur de la forme, 8 a
La blancheur flottant dans l'azur. 8 b
Je domptais la matière énorme 8 a
70 Du bout de mon pied frôle et pur. 8 b
« Quand Pétrarque prenait sa lyre, 8 a
Sur son front j'effeuillais des fleurs. 8 b
Léonard fixait mon sourire, 8 a
Giotto recueillait mes pleurs. 8 b
75 « Et l'homme courbé sur la glèbe. 8 a
Esclave du cruel labeur, 8 b
Sentait au fond de son Érèbe 8 a
Pénétrer ma grande lueur, 8 b
« Ma grande lueur protectrice 8 a
80 Aux rayons de rêve et d'amour, 8 b
A Vénus comme à Béatrice 8 a
Donnant l'âme avec le contour. 8 b
« Oh ! tout est bien fini. La terre 8 a
Ne suit plus les mêmes chemins ; 8 b
85 Et je dois, morte solitaire. 8 a
Sur mon linceul croiser les mains. 8 b
« Mais lorsque l'homme sera maître 8 a
Des éléments, qu'il connaîtra 8 b
Tout ce que l'esprit peut connaître, 8 a
90 Dans sa gloire il me cherchera. 8 b
« Il se plaindra de mon absence 8 a
Dans le cortège diapré 8 b
Des serviteurs que sa puissance 8 a
Façonne et dirige à son gré ! 8 b
95 « Moi, je ne serai plus qu'une ombre 8 a
Errant à travers le passé ; 8 b
Et ma place restera sombre 8 a
Au festin qu'il aura dressé ; 8 b
« Et seul, dans la nuit où le plonge 8 a
100 Un monde ivre de force et d'or, 8 b
Quelque triste amoureux du songe 8 a
Pourra me deviner encor, 8 b
« Quand, mourante vision blanche, 8 a
Souvenir prêt à se briser. 8 b
105 Sur son front que la douleur penche 8 a
Je mettrai mon dernier baiser. » 8 b
L'homme redescendit de la hauteur d'Assise. 6+6 a
Le ciel était obscur, sa pensée indécise. 6+6 a
Est-on poussé par la raison ou le hasard ? 6−6 a
110 Suit-on le bon chemin ? Ne va-t-on nulle part ? 6+6 a
Après avoir usé tant de fer et de houille, 6+6 a
Traité le monde comme un vaincu qu'on dépouille, 6+6 a
Sondé les océans, analysé les cieux, 6+6 a
Sera-t-on moins loin du bonheur ? Vaudra-t-on mieux' 6−6 a
115 Et jetant un dernier regard vers la ruine 6+6 a
Qui de ses hauts profils noircissait la colline, 6+6 a
Se demandant, pour prix du doux rêve perdu, 6+6 a
En quel siècle lointain l'avenir attendu 6+6 a
Terrasserait le mal, resté le grand problème. 6+6 a
120 Triste, mais sans faiblesse, il dit : « Marchons quand même ! 6+6 a
mètre profils métriques : 8, 6−6
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