Métrique en Ligne
REN_4/REN200
Armand RENAUD
Drames du peuple
1885
PATRIE
Une Héroïne
C'ÉTAIT au dernier mois du siège : 8 a
Rien que du pain noir à manger, 8 b
Après des heures, sous la neige, 8 a
A la porte du boulanger. 8 b
5 Des vieillards, des enfants, des femmes. 8 a
Dont plus d'un par la faim pâli. 8 b
Attendaient ainsi trois cents grammes 8 a
D'un pain noir, de paille rempli. 8 b
Quelques-uns d'une voix dolente. 8 a
10 Et d'autres d'un ton courroucé, 8 b
Pressaient l'acheteuse trop lente. 8 a
Calmaient le voisin trop pressé. 8 b
Plus loin, l'on parlait politique. 8 a
Ou l'on riait d'un calembour. 8 b
15 Tous avaient l'œil sur la boutique 8 a
Pour que nul n'entrât qu'à son tour. 8 b
Dans cette foule mélangée, 8 a
Bavardant sur Pierre et sur Paul, 8 b
Une femme restait rangée, 8 a
20 Muette, et les yeux vers le sol. 8 b
Elle n'était pas encor vieille. 8 a
Et pourtant elle avait l'air vieux. 8 b
Tant l'inquiétude et la veille 8 a
Creusaient ses traits, hier joyeux. 8 b
25 Plaignez-la ! son homme est de garde, 8 a
Du côté d'Auteuil, au rempart. 8 b
Elle entend bien qu'on s'y bombarde, 8 a
Et tremble à chaque coup qui part. 8 b
Pourtant sa plus triste pensée. 8 a
30 Celle dont ses yeux sont rougis, 8 b
Celle dont son âme est blessée. 8 a
N'est point là, mais à son logis. 8 b
Là sa blonde petite fille 8 a
Dont le deuxième an s'accomplit, 8 b
35 Et sa mère, vieille à béquille. 8 a
Se meurent dans le même lit. 8 b
Toutes deux ont à la poitrine 8 a
La toux qui, sans vouloir finir, 8 b
Dans l'une achève la ruine, 8 a
40 Dans l'autre fauche l'avenir. 8 b
Il faudrait le feu qui ranime, 8 a
A ces corps tremblant le frisson ; 8 b
Aux poumons que la toux opprime 8 a
Il faudrait le lait pour boisson. 8 b
45 Mais rien dans ce Paris immense ! 8 a
Ni feu ! ni lait ! et cependant, 8 b
Ce qu'il leur faudrait, elle pense 8 a
Qu'on en aurait, en se rendant. 8 b
Mais honte au lâche, honte au traître 8 a
50 Qui volontiers eussent livré 8 b
La France pour que leur bien-être 8 a
Ne fût pas, une heure, altéré ! 8 b
Cette idée, elle s'en indigne. 8 a
Elle, du peuple obscure enfant ; 8 b
55 Et son cœur navré se résigne 8 a
Devant le pays qu'on défend. 8 b
O dévoûment passant dans l'ombre ! 8 a
Femme qui, l'œil sur le devoir. 8 b
As suivi droit ta route sombre. 8 a
60 Sans ployer sous ton désespoir ! 8 b
Reste parmi la multitude 8 a
Qui dans l'oubli va s'engloutir ; 8 b
Dans ton humble et noble attitude. 8 a
Reste avec le peuple martyr ; 8 b
65 Reste avec le peuple qui souffre, 8 a
Qui veut du jour, qui n'en a pas, 8 b
Et qui toujours, lutteur du gouffre. 8 a
Vers la justice tend les bras. 8 b
Pour que l'océan de la foule 8 a
70 Porte l'avenir avec soi, 8 b
Il faut que son flot troublé roule 8 a
Des clartés sans nom comme toi. 8 b
Des clartés qu'au sortir de l'onde 8 a
Le plongeur de ce gouffre amer 8 b
75 Puisse montrer, disant au monde : 8 a
« Voyez les perles de la mer ! » 8 b
mètre profil métrique : 8
forme globale type : suite périodique
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