Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
REN_4/REN187
Armand RENAUD
Drames du peuple
1885
AUTOUR DE NOUS
Idylle
LA campagne est brûlante et sèche. C'est l'été. 6+6 a
Dans l'immobile éther pèse la volupté 6+6 a
Qui réjouit l'essaim des insectes sans nombre. 6+6 b
Mais, auprès d'une source, un bois verse de l'ombre. 6+6 b
5 Et le contraste est doux du calme et frais séjour, 6+6 a
Avec le fauve éclat qui rayonne à l'entour. 6+6 a
Quand, ayant longuement cheminé par la plaine. 6+6 b
On arrive aveuglé, pris de soif, hors d'haleine, 6+6 b
On cède au langoureux ombrage mieux encor 6+6 a
10 Qu'on ne cédait au ciel lançant ses flèches d'or ; 6+6 a
Et regardant au loin palpiter l'azur ivre 6+6 b
De flammes, et les champs se pâmer de trop vivre, 6+6 b
Puis, dans un coin, courir la source et sommeiller 6+6 a
Les feuilles où jamais rayon ne vient briller. 6+6 a
15 On se sent envahi par un vertige double : 6+6 b
L'un de jour, l'autre d'ombre, et tous les deux de trouble ; 6+6 b
Car ils disent tous deux : « Amour ! amour de feu. 6+6 a
Amour qui rêve ! amour dans l'abîme du bleu, 6+6 a
Sur le champ aux épis jaunes et sous la feuille 6+6 b
20 Du bois sombre ; amour dans tout ce qui se recueille ; 6−6 b
Et, dans tout ce qui s'ouvre, amour ! »
Un pâtre est là. 6+6 a
Pendant que le troupeau que son chien rassembla, 6+6 a
Broute l'herbe, il s'assied. Sur le sol sa houlette 6+6 b
Est jetée ; à ses pieds, son maigre chien halète. 6+6 b
25 Cependant, de la ferme une fraîche enfant part, 6+6 a
De vivres à chacun allant porter sa part. 6+6 a
Près du pâtre qui songe, elle arrive ; elle est rouge ; 6+6 b
Car elle a marché vite, et nul souffle ne bouge 6+6 b
Sur le pré ; mais plus rouge elle est, quand elle sent 6+6 a
30 Sur elle l'œil du pâtre épris et caressant. 6+6 a
Elle tremble ! De quoi ? S'en rend-elle bien compte ? 6+6 b
Lui semble-t-il que c'est un péril qu'elle affronte ? 6+6 b
Non ; ce dont elle a peur, ce n'est rien de connu. 6+6 a
Le pâtre est amoureux ; mais il est ingénu, 6+6 a
35 Il est bon ; dans son cœur aucun piège n'habite. 6+6 b
Ce qui la trouble, c'est le ciel, immense orbite 6+6 b
La couvant de cet œil où personne ne lit ; 6+6 a
C'est le gazon, faisant sous ses pieds comme un lit ; 6+6 a
C'est la mouche qui va vers l'autre ; c'est l'exemple 6+6 b
40 De la terre, une sœur, et de l'azur, un temple. 6+6 b
C'est l'ordre qui vous vient d'en haut comme d'en bas, 6+6 a
Disant à l'âme : « Plus de stériles combats ! 6+6 a
Voici l'instant d'aimer, la minute sacrée 6+6 b
Où tout, l'homme et la plante, a le pouvoir qui crée ; 6+6 b
45 Résister à cela, c'est nier le ciel bleu. 6+6 a
Aimer, c'est la sagesse ; aimer, c'est prier Dieu. » 6+6 a
Or le pâtre s'approche et l'embrasse ; elle songe 6+6 b
Et reste, au lieu de rire et de fuir. Le mensonge 6+6 b
Éternel de l'amour l'accable en la charmant. 6+6 a
50 Vertu, prudence, tout s'en va. L'enivrement 6+6 a
Des cœurs pressés, des yeux luisants, des mains brûlantes, 6+6 b
La penche vers le sol jonché de molles plantes. 6+6 b
Dégrafe sa ceinture, emmêle ses cheveux, 6+6 a
Et lui fait dire : « Soit ! » l'homme disant : « Je veux ! » 6+6 a
55 L'amour est maître. Allons, c'est bien. Prenez la lyre. 6+6 b
Archanges, pour cacher le rauque éclat de rire 6+6 b
De Satan. Car voici, pour le moins, six mille ans 6+6 a
due les hommes, noirs ou jaunes, rouges ou blancs, 6+6 a
En proie à la famine, aux tyrans, aux ulcères, 6+6 b
60 Courbés sous la terreur des pestes nécessaires. 6+6 b
Pleins de haine, d'orgueil, de désirs impuissants. 6+6 a
Applaudis dans le crime et punis innocents. 6+6 a
Faibles, montrant les dents au ciel sans pouvoir mordre, 6+6 b
Tous, de l'idylle à deux sont les acteurs — par ordre. 6+6 b
65 Et nul n'échappera de nous, et c'est le dur 6+6 a
Sarcasme que l'on soit l'esclave de l'azur, 6+6 a
Des roses, des ruisseaux, des rossignols, des astres, 6+6 b
Le temps de préparer leur pâture aux désastres. 6+6 b
O Nature ! ton hymne est superbe ; tu sais 6+6 a
70 Lancer les papillons pour ôter les corsets 6+6 a
Des fleurs, faire qu'au lac la brise se marie, 6+6 b
Étendre les rayons ardents sur la prairie, 6+6 b
Orner tout, enflammer tout, extasier tout ! 6+6 a
On n'a plus de scrupule, on n'a plus de dégoût. 6+6 a
75 On s'adore, on se sent des étoiles dans l'âme ; 6+6 b
On se croit grand, on a l'audace, on se proclame 6+6 b
Maître du monde, tant, ô Nature, il te plaît 6+6 a
Que l'asservissement des êtres soit complet. 6+6 a
Réjouissez-vous donc, ilotes, de vos chaînes. 6+6 b
80 Ramiers, faites des nids dans l'épaisseur des chênes. 6+6 b
Il le faut pour nourrir reptiles et hiboux. 6+6 a
Dans les taillis de l'Inde, ô tigres, cherchez-vous ; 6+6 a
Gazelles, deux à deux, bondissez avec joie. 6+6 b
Il le faut ! il le faut ! pour que la chair qui broie 6+6 b
85 Trouve à jamais sa part de chair vive à broyer. 6+6 a
Toi qu'autour de la faim le sort fait tournoyer, 6+6 a
Farouche genre humain, océan d'existences 6+6 b
Sur qui planent le roi, le prêtre et les potences, 6+6 b
Va-t'en sous les balcons, dans les bals, dans les bois. 6+6 a
90 Le baiser à la bouche et la guitare aux doigts. 6+6 a
Tiens des propos plus doux que la rosée, oublie, 6+6 b
Ne vois plus que l'instant, soupire, étreins, supplie ; 6+6 b
Mets dans ton œil le feu, dans ta main le frisson ; 6+6 a
Crois à la volupté de l'antique chanson, 6+6 a
95 Ou crois à l'idéal de la chanson moderne ; 6+6 b
Sois le fin cavalier contant la baliverne, 6+6 b
La danseuse cambrant sa taille, ou le jaloux 6+6 a
Livide, s'embusquant dans l'ombre avec les loups : 6+6 a
Sois prostitution, candeur, angoisse, honte. 6+6 b
100 Fleurette, trahison, vertige ; en fin de compte. 6+6 b
Le but, c'est que, demain, l'immortel univers 6+6 a
Vive pour ressouffrir les maux qu'il a soufferts. 6+6 a
L'homme partit soldat, et la fille de ferme 6+6 b
Se tua. L'abattoir, des moutons fut le terme. 6+6 b
105 Un enfant, des agneaux survécurent, nouveaux 6+6 a
Jouets du même sort parmi d'autres troupeaux. 6+6 a
mètre profil métrique : 6−6
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