Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
REN_1/REN34
Armand RENAUD
Recueil intime
1881
III
Le Flot tentateur
Je suis comme un marin | à la côte jeté. 6+6 a
Mon vaisseau coule au large, | ouvert et démâté. 6+6 a
Or ce vaisseau portait | mes désirs et mes rêves ; 6+6 b
Et ce qui m’a, loin d’eux, | repoussé sur les grèves, 6+6 b
5 C’est la pensée, un autre | et plus rude océan. 6+6 a
Par bonheur, le rivage | échappe à l’ouragan. 6+6 a
Sous des ombrages frais | que la brise balance, 6+6 b
Mon cœur, libre d’angoisse, | y dort dans l’indolence. 6+6 b
Les fruits sont savoureux, | les fleurs parfument l’air ; 6+6 a
10 Les oiseaux, doucement, | chantent dans un ciel clair. 6+6 a
Sans risquer la douleur, | au plaisir on se livre ; 6+6 b
L’âme n’a point de joug, | rien ne gêne pour vivre. 6+6 b
Les bourreaux d’autrefois, | les vieux rêves, sont morts ; 6+6 a
Les désirs effrénés | qui, sans bride ni mors, 6+6 a
15 Poursuivaient follement | l’idéal hors d’atteinte, 6+6 b
Les aspirations | vers l’éternelle étreinte 6+6 b
Dont rien ne change, rien | ne meurt, rien ne finit, 6+6 a
Le dégoût de la terre | où l’âme se ternit 6+6 a
Dans le bien-être obscur | et la vulgaire joie, 6+6 b
20 Le frisson qui vous tord | le cœur et vous le broie 6+6 b
Et vous le brûle, et qui | s’appelle l’inconnu, 6+6 a
Toutes ces choses-là, | qu’est-ce donc devenu ? 6+6 a
A présent, je connais | la vérité des choses. 6+6 b
Le soleil, les oiseaux | chantants, les fleurs écloses 6+6 b
25 Enseignent qu’il serait | insensé de vouloir 6+6 a
Plus de durée au jour | que du matin au soir, 6+6 a
Qu’il faut savoir user | du court bonheur qui passe 6+6 b
Et, sans lever les yeux | vers l’insondable espace, 6+6 b
Se donner au présent | et jouir du réel. 6+6 a
30 Plus de cœur irrité | par les secrets du ciel ! 6+6 a
A prendre tout est bon, | ayant le moindre charme ; 6+6 b
Rien n’est bon qu’a chasser, | qui vous coûte une larme. 6+6 b
Pourtant je suis rêveur | à regarder la mer. 6+6 a
Avec son flux grondant, | le vaste gouffre amer 6+6 a
35 Me fait peur et m’attire. | Implacable à qui l’aime, 6+6 b
Il m’a jadis tout pris, | en m’attirant de même. 6+6 b
Mais mon cœur bouillonnait ; | et, dussè-je en mourir, 6+6 a
J’y veux sentir encor | l’ancien frisson courir. 6+6 a
Je veux, la chevelure | éparse, l’œil en flamme, 6+6 b
40 M’élancer de nouveau | vers l’horizon de l’âme, 6+6 b
Et voir si, cette fois, | faisant mon cœur plus fort, 6+6 a
De mon rêve inconnu | je toucherai le port. 6+6 a
O palpitation | des flots, senteur marine, 6+6 b
Passez-moi votre vie, | emplissez ma poitrine. 6+6 b
45 Bise, fouette mes yeux ! | vagues, enroulez-moi ! 6+6 a
Mon amour est pour vous | plus grand que mon effroi ; 6+6 a
Et, si vous me gardez | de nouveau la détresse, 6+6 b
Abîmes infinis | dont je subis l’ivresse, 6+6 b
Du moins, loin de mon rêve | et loin de mon désir, 6+6 a
50 Ne me renvoye pas | sommeiller à loisir 6+6 a
Sur la rive du doute | et de l’indifférence. 6+6 b
Faites-moi souffrir ! mais | de la grande souffrance. 6+6 b
Houle passionnée ! | océan palpitant ! 6+6 a
Jamais je n’ai senti | mon cœur frémir autant, 6+6 a
55 A vouloir pénétrer | ton énigme éternelle. 6+6 b
Jamais tant de clarté | n’éclaira ma prunelle, 6+6 b
Pour me guider jusqu’à | la perle dans ton sein. 6−6 a
Sans doute c’est un jeu ; | tu t’y plais à dessein, 6+6 a
Pour qu’au piège caché | plus sûrement je tombe. 6+6 b
60 Si tel est l’avenir, | achève l’hécatombe, 6+6 b
El, par pitié pour moi, | fais en sorte, ô vainqueur, 6+6 a
Sans qu’il en reste rien, | d’engloutir tout mon cœur. 6+6 a
mètre profil métrique : 6−6
logo du CRISCO logo de l'université