Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
REN_1/REN28
Armand RENAUD
Recueil intime
1881
II
Spectres ardents
AU milieu du brouillard mourait un pâle jour. 6+6 a
La campagne était nue et muette alentour. 6+6 a
Et dans l’immensi de cette vapeur grise, 6+6 a
Sans un point d’horion, sans un souffle de brise, 6+6 a
5 Des gens vêtus de deuil, ayant forme d’humains, 6+6 a
Cheminaient, en cachant leur cœur avec leurs mains. 6+6 a
C’était un défilé, terrible en son silence, 6+6 a
Où le calme effrayait plus que la violence. 6+6 a
Ces êtres inconnus dans ces brouillards glacés, 6+6 a
10 Toujours fuyant, toujours par d’autres remplacés, 6+6 a
Tous en deuil, tous ayant leur cœur caché de même, 6+6 a
Semblaient les visions d’un infernal poème. 6+6 a
Et l’esprit anxieux plus encor qu’abattu, 6+6 a
Je m’approchai d’un spectre, et lui dis : « D’où viens-tu ? 6+6 a
15 » Où vas-tu ? dans quel but tes mains ainsi crispées ? » 6+6 a
Mais lui : « Bois des poisons, transperce-toi d’épées, 6+6 a
» Tu ne souffriras pas autant que je le fais 6+6 a
» Du mal mystérieux mis en moi pour jamais. » 6+6 a
Et, ses mains s’écartant, cruel effet de l’âme, 6+6 a
20 Je vis que dans le cœur il portait une flamme. 6+6 a
Cette flamme, au milieu de ces habits de deuil, 6+6 a
Lançait un tel éclat qu’elle éblouissait l’œil. 6+6 a
Et le tourment du feu dépassait toute idée. 6+6 a
Pourtant l’être ajouta d’une voix saccadée : 6+6 a
25 « Mortel, crains la pensée, oh ! crains-la plus que tout. 6+6 a
» La souffrance du corps dans la mort se dissout ; 6+6 a
» Mais quand on porte une âme éprise d’autre chose 6+6 a
» Que du réel stupide où la brute repose, 6+6 a
» Quand on a des regards s’élevant vers l’azur, 6+6 a
30 » Qu’on maudit le fossé, le grillage et le mur, 6+6 a
» Quand on veut tout aimer, quand on veut tout connaître, 6+6 a
» Alors il aurait mieux valu ne jamais naître. 6+6 a
» Après la vie affreuse, après les pleurs de sang, 6+6 a
» L’âme s’ouvre, croit être au but éblouissant ; 6+6 a
35 » Le but, c’est l’infini qui recule à mesure ; 6+6 a
» Rien de plus ne reluit, rien de plus ne s’azure. 6+6 a
» Seule, avec vos désirs, votre angoisse s’accroit ; 6+6 a
» Et l’espace est plus vide, et le brouillard plus froid. 6+6 a
» Une flamme vous mord au cœur, flamme éternelle, 6+6 a
40 » Si puissante qu’un ange y brûlerait son aile, 6+6 a
» Flamme qui ne vient pas de quelque Dieu jaloux, 6+6 a
» Mais d’un être encor plus implacable, de vous. » 6+6 a
« — Faut-il donc renier l’idéal, m’écriai-je ? 6+6 a
» La terre, est-ce le vrai ? le ciel, est-ce le piège ? 6+6 a
45 » A son rêve doit-on forcément se blesser, 6+6 a
» Et, si tu revivais, vivrais-lu sans penser ? » 6+6 a
« — Moi, si je revivais, répondit le fantôme, 6+6 a
» Je ne voudrais d’aucun espoir ni d’aucun baume. 6+6 a
» Mon âme plongerait où mon âme plongea, 6+6 a
50 » Je recommencerais ce que j’ai fait déjà. 6+6 a
» En vain ceux dont l’esprit est penché vers la terre 6+6 a
» M’avertiraient de fuir la douleur solitaire ; 6+6 a
» Dans la foudre et le vent je m’en irais encor, 6+6 a
» Loin des chercheurs de joie et loin des chercheurs d’or ; » 6+6 a
55 Et, comme au cœur la flamme était toujours plus vive, 6+6 a
Il y remit les mains en pose convulsive, 6+6 a
Et, poussé de nouveau par l’aiguillon maudit, 6+6 a
Il s’enfuit à travers la brume et s’y perdit. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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