Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
REN_1/REN18
Armand RENAUD
Recueil intime
1881
II
La Charité au Désert
J’ai lu, je ne sais où, | qu’un Français en Afrique, 6+6 a
Errant au plus profond | d’un pays chimérique 6+6 a
Qui ne porte aucun nom | sur la carte, n’étant 6+6 b
Qu’une immense fournaise | où du sable s’étend, 6+6 b
5 Les pieds brûlés à vif, | le corps en proie aux fièvres, 6+6 a
Sans rien à boire avec | de la soif plein les lèvres, 6+6 a
Se traîna sur un peu | de gazon roux, et là, 6+6 b
Des plis de son manteau, | pour mourir, se voila. 6+6 b
Par moments, son pays, | ses vains travaux, sa mère 6+6 a
10 Lui faisaient sur les cils | sourdre une larme amère, 6+6 a
Et cela lui jetait | le morne hébétement ; 6+6 b
Et ses yeux sans regards | s’éteignaient lentement ; 6+6 b
Il râlait, quand voici | qu’une large main noire 6+6 a
Mit un vase devant | sa lèvre et le fit boire. 6+6 a
15 La boisson de salut, | l’eau pure, l’eau de Dieu, 6+6 b
Oh ! comme elle fut douce | à son gosier en feu ! 6+6 b
Les muscles ranimés | bougèrent ; la narine, 6+6 a
Se soulevant, jeta | de l’air dans la poitrine ; 6+6 a
Et des flots de sang frais | coulèrent par le corps. 6+6 b
20 Or il était ainsi | ressuscité des morts 6+6 b
Par la compassion | d’une vieille négresse 6+6 a
Bien pauvre, mais ayant | dans le cœur sa richesse, 6+6 a
Et qui, voyant par terre | agoniser ce blanc, 6+6 b
Avait, pour le sauver, | hâté son pas tremblant. 6+6 b
25 Maintenant il est fort ; | la négresse l’emmène ; 6+6 a
Dans sa case de jonc, | pendant une semaine, 6+6 a
Soigne ses pieds blessés, | l’habille, le nourrit, 6+6 b
Jusqu’à ce que, dispos | de corps comme d’esprit, 6+6 b
Des pays monstrueux | il se remette en quête, 6+6 a
30 Avec tristesse, et non | sans retourner la tête. 6+6 a
Quand je lus ce récit, | je me sentis heureux. 6+6 b
Le reste du volume | était noir, douloureux ; 6+6 b
Les crimes, en sifflant, | y distillaient leur bave 6+6 a
Partout l’homme despote | écrasait l’homme esclave, 6+6 a
35 De grotesques tyrans, | dans leurs palais de bois, 6+6 b
Comptaient, en ricanant, | des têtes sur leurs doigts. 6+6 b
Cette bonne action, | dans sa candeur sublime, 6+6 a
Était là, comme l’arche | au-dessus de l’abîme ; 6+6 a
Et cela m’enivra | de voir qu’en ces pays 6+6 b
40 Où les instincts mauvais | sont les seuls obéis, 6+6 b
Pour garder la pitié | qui hors d’elle était morte, 6+6 a
La chose la plus faible | eût l’âme la plus forte. 6+6 a
Et je compris alors, | en méditant sur vous, 6+6 b
O femmes, d’où vous vient | votre regard si doux, 6+6 b
45 Et pourquoi, vers les cœurs | qui battent sous vos voiles, 6+6 a
On se sent attiré, | comme vers les étoiles. 6+6 a
C’est que vous recevez | en partage, ici-bas, 6+6 b
Le seul bien qu’on prodigue | et qu’on n’épuise pas, 6+6 b
Le seul assez divin | pour mêler à nos fanges, 6+6 a
50 Comme de blancs rayons, | la vision des anges, 6+6 a
L’humble vertu par qui | le plus fort est dompté, 6+6 b
Le calice qui boit | les larmes : la bonté. 6+6 b
C’est que toujours vos bras | s’ouvrent, dans notre gouffre, 6+6 a
Pour l’enfant qui repose | ou pour l’homme qui souffre, 6+6 a
55 Et que, l’âme et le corps, | en vous tout est complet, 6+6 b
Cœurs qui donnez l’amour, | seins qui donnez le lait. 6+6 b
Vous avez des pitiés | pour tout dans la nature ; 6+6 a
Un oiseau dont les œufs | sont brisés vous torture ; 6+6 a
Et, bien que votre forme | ait l’exquise beauté, 6+6 b
60 Qu’il ne soit rien en vous | qui ne soit volupté, 6+6 b
La grâce de vos fronts | fait encor moins vos charmes 6+6 a
Que la compassion | de vos yeux pleins de larmes. 6+6 a
Hélas ! le monde est sombre ; | on sent à chaque pas 6+6 b
Qu’une illusion part | qui ne reviendra pas, 6+6 b
65 Et qu’ à force de voir | ce qui se fait d’infâme, 6+6 a
On perd fatalement | les lueurs de son âme. 6+6 a
Que nous resterait-il | à nous tous, les soldats, 6+6 b
Qui combattons avec | la pensée ou le bras, 6+6 b
Si, fermant la blessure | et guérissant le doute, 6+6 a
70 Vous n’apparaissiez point | aux haltes de la route, 6+6 a
Pour faire aimer la vie, | ô vous qui la donnez ? 6+6 b
Et comme nous serions | sanglants et consternés, 6+6 b
Si vous ne versiez pas | sur nos fronts taciturnes 6+6 a
Ces baumes de douceur | dont vos cœurs sont les urnes ! 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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