Métrique en Ligne
REN_1/REN12
Armand RENAUD
Recueil intime
1881
II
Promenade sans but
Cette nuit, au hasard, j’ai marché par la ville. 6+6 a
Tout m’a paru muet, solitaire, tranquille. 6+6 a
Il faisait clair de lune, il soufflait de doux vents. 6+6 b
Les poumons se sentaient heureux d’être vivants. 6+6 b
5 Dans le ciel comme sur la terre, rien d’acerbe ; 6−6 a
L’ombre avait des rayons, et les pavés de l’herbe. 6+6 a
Moi seul, dans ce repos portant un cœur amer, 6+6 b
J’allais vers l’inconnu comme l’eau vers la mer. 6+6 b
Parfois je m’arrêtais et me disais : peut-être 6+6 a
10 Mon bonheur est-il là, derrière une fenêtre, 6+6 a
Qui m’appelle en secret et que je ne vois pas. 6+6 b
En ouvrant cette porte et faisant quelques pas, 6+6 b
Peut-être trouverais-je, assise dans sa chambre, 6+6 a
Cette femme aux doux yeux, au cœur parfumé d’ambre, 6+6 a
15 Qui, sur mon front brûlant étendant ses doigts frais, 6+6 b
Me ferait croire en moi lorsque j’en douterais, 6+6 b
Ardente à me prêter appui, quoi qu’il advienne, 6+6 a
Et dont je prendrais l’âme en lui livrant la mienne. 6+6 a
Mais j’ignore son nom, et, faute d’un hasard, 6+6 b
20 Sans véritable amour, j’arriverai vieillard ; 6+6 b
Lors, si, m’interrogeant devant l’heure suprême, 6+6 a
Je veux de mon passé rendre compte à moi-même, 6+6 a
Au fond du souvenir il ne surgira rien 6+6 b
De ces choses du cœur qui seules font du bien, 6+6 b
25 Et de moi j’aurai honte et voilerai ma joue ; 6+6 a
Car de tous mes plaisirs jaillira de la boue. 6+6 a
Pourtant je n’ai pas vu briller d’astres là-haut 6+6 b
Sans qu’un désir d’aimer ne me prit aussitôt ; 6+6 b
Je n’ai pas entendu vibrer de souffle tendre 6+6 a
30 Sans rêver de quelqu’un pour avec moi l’entendre ; 6+6 a
Pourtant je n’ai jamais admiré rien de beau, 6+6 b
D’oiseau fendant le ciel, de barque rasant l’eau, 6+6 b
De soleil se couchant dans sa pourpre sublime, 6+6 a
Sans que j’aie en mon cœur senti comme un abîme, 6+6 a
35 Et que, tendant les bras vers un être ignoré, 6+6 b
J’aie appelé l’amour d’un cri désespéré. 6+6 b
Oh ! s’en aller le soir causer, ouvrir son aile, 6+6 a
Vivre, la bien-aimée en vous et vous en elle, 6+6 a
Étreindre longuement sa main dans votre main, 6+6 b
40 Et, sans pouvoir partir, rester sur le chemin ! 6+6 b
Mettre toute son âme à se dire qu’on s’aime, 6+6 a
Ne faire à deux qu’un chant, qu’un rayon, qu’un poème, 6+6 a
Être heureux, et pourtant se sentir dans les yeux 6+6 b
Venir comme une larme, à se parler des cieux ! 6+6 b
45 Si tout cela pour moi n’est que l’ombre d’un rêve, 6+6 a
Si chaque nuit qui vient, chaque jour qui se lève 6+6 a
Doit m’apporter toujours le même isolement, 6+6 b
Si mon désir est faux, si ma vision ment, 6+6 b
Si l’idéal cruel dont j’ai l’âme embrasée 6+6 a
50 Ne lui veut accorder ni brise ni rosée, 6+6 a
Si j’ai fatalement pour sort, en fait d’amours, 6+6 b
De ne jamais trouver et de vouloir toujours, 6+6 b
Homme je perds ma vie, et poète ma lyre. 6+6 a
Qu on me les ôte l car mon âme s’y déchire, 6+6 a
55 La jeunesse m’accable, et la pensée, et tout. 6+6 b
Je ne veux qu’un fossé pour mourir, n’importe . 6+6 b
A quoi bon quelque gloire avec beaucoup de haine, 6+6 a
A quoi bon dans la foule un vain nom qui se traîne, 6+6 a
Si la palme n’est point pour les pieds de quelqu’un, 6+6 b
60 Si l’on n’a point d’autel où brûler son parfum ? 6+6 b
mètre profil métrique : 6−6
forme globale type : suite de distiques
schéma : 30((aa))
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