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Henri de RÉGNIER
La Cité des eaux
1902
SALUT A VERSAILLES
SALUT A VERSAILLES
Celui dont l'âme est triste et qui porte à l'automne 6+6 a
Son cœur brûlant encor des cendres de l'été, 6+6 b
Est le Prince sans sceptre et le Roi sans couronne 6+6 a
De votre solitude et de votre beauté. 6+6 b
5 Car ce qu'il cherche en vous, ô jardins de silence, 6+6 a
Sous votre ombrage grave où le bruit de ses pas 6+6 b
Poursuit en vain l'écho qui toujours le devance, 6+6 a
Ce qu'il cherche en votre ombre, ô jardins, ce n'est pas 6+6 b
Le murmure secret de la rumeur illustre, 6+6 a
10 Dont le siècle a rempli vos bosquets toujours beaux, 6+6 b
Ni quelque vaine gloire accoudée au balustre, 6+6 a
Ni quelque jeune grâce au bord des fraîches eaux ; 6+6 b
Il ne demande pas qu'y passe ou qu'y revienne 6+6 a
Le héros immortel ou le vivant fameux 6+6 b
15 Dont la vie orgueilleuse, éclatante et hautaine 6+6 a
Fut l'astre et le soleil de ces augustes lieux. 6+6 b
Ce qu'il veut, c'est le calme et c'est la solitude, 6+6 a
La perspective avec l'allée et l'escalier, 6+6 b
Et le rond-point, et le parterre, et l'attitude 6−6 a
20 De l'if pyramidal auprès du buis taillé ; 6+6 b
La grandeur taciturne et la paix monotone 6+6 a
De ce mélancolique et suprême séjour ; 6+6 b
Et ce parfum de soir et cette odeur d'automne 6+6 a
Qui s'exhalent de l'ombre avec la fin du jour. 6+6 b
* * *
25 O toi que l'aube effraie, ô toi qui crains l'aurore, 6+6 a
Et que ne tentent plus la route et le chemin, 6+6 b
Quitte la ville vaine, arrogante et sonore 6+6 a
Qui parle avec des voix de soleil ou d'airain. 6+6 b
C'est là que l'homme fait sa boue et sa poussière 6+6 a
30 Pour élever son mur autour de l'horizon ; 6+6 b
Mais toi, dont le désir n'apporte plus sa pierre 6+6 a
Au travail en commun qui bâtit la maison, 6+6 b
Laisse ceux dont le bloc charge, sans qu'elle plie, 6+6 a
L'épaule et dont les bras sont propres aux fardeaux, 6+6 b
35 Se construire sans toi les demeures de vie 6+6 a
Et va vivre ton songe en la Cité des Eaux. 6+6 b
* * *
L'onde ne chante plus en tes mille fontaines, 6+6 a
O Versailles, Cité des Eaux, Jardin des Rois ! 6+6 b
Ta couronne ne porte plus, ô souveraine, 8+4 a
40 Les clairs lys de cristal qui l'ornaient autrefois ! 6+6 b
La nymphe qui parlait par ta bouche s'est tue 6+6 a
Et le temps a terni sous le souffle des jours 6+6 b
Les fluides miroirs où tu t'es jadis vue 6+6 a
Royale et souriante en tes jeunes atours. 6+6 b
45 Tes bassins endormis à l'ombre des grands arbres 6+6 a
Verdissent en silence au milieu de l'oubli, 6+6 b
Et leur tain qui s'encadre aux bordures de marbre 6+6 a
Ne reconnaîtrait plus ta face d'aujourd'hui. 6+6 b
Qu'importe ! ce n'est pas ta splendeur et ta gloire 6+6 a
50 Que visitent mes pas et que veulent mes yeux ; 6+6 b
Et je ne monte pas les marches de l'histoire 6+6 a
Au-devant du Héros qui survit en tes Dieux. 6+6 b
Il suffit que tes eaux égales et sans fête 6+6 a
Reposent dans leur ordre et leur tranquillité, 6+6 b
55 Sans que demeure rien en leur noble défaite 6+6 a
De ce qui fut jadis un spectacle enchanté. 6+6 b
Que m'importent le jet, la gerbe et la cascade 6+6 a
Et que Neptune à sec ait brisé son trident, 6+6 b
Ni qu'en son bronze aride un farouche Encelade 6+6 a
60 Se soulève, une feuille morte entre les dents, 8+4 b
Pourvu que faible, basse, et dans l'ombre incertaine, 6+6 a
Du fond d'un vert bosquet qu'elle a pris pour tombeau, 6+6 b
J'entende longuement ta dernière fontaine, 6+6 a
O Versailles, pleurer sur toi, Cité des Eaux ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6=6
forme globale type : suite périodique
schéma : 16(abab)
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