Métrique en Ligne
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e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
QUI_1/QUI31
Pierre QUILLARD
La lyre héroïque et dolente
1897
LA GLOIRE DU VERBE
LES MYTHES
LA FILLE AUX MAINS COUPÉES
MYSTÈRE
A Maurice Peyrol.
PERSONNAGES
LA JEUNE FILLE.
LE POÈTE.
LE CHŒUR D'ANGES.
LE PÈRE.
LE SERVITEUR.
L'action se passe n'importe où et plutôt au moyen âge.
I
Dans la chambre silencieuse, où flotte par les vitraux glauques la soie resplendissante de l'aurore,LA JEUNE FILLE est agenouillée et prie en sa blancheur adorable de lys.
Le large bliaud damassé, broché de calices d'argent, qui neige sur sa poitrine et l'étoile, est à peine agité par le souffle du corps pâle sculpté dans un marbre vivant.
Elle lit dans le lourd missel incrusté de joailleries, mais d'une voix si basse qu'elle semble un frôlement somptueux d'étoffes que froissent dans l'éther des princesses lointaines.
Elle laisse tomber le livre et les yeux tournés vers un Christ exsangue sur un ciel ensanglanté, elle clôt ses lèvres entr'ouvertes et se prend à prier des rêves sans paroles.
O Jésus, écartezles griffes du Malin. 6+6 a
Les anges de saphirdorment dans le vélin ; 6+6 a
Les graves lettres d'orpèsent aux ailes blanches ; 6+6 a
La colombe du ciels'englue après les branches, 6+6 a
5 Et la prière est priseau piège des versets. 6+6 a
O livre, le parfumsacré que tu versais 6+6 a
Vaut moins, pour le Sauveuret pour ses mains percées, 6+6 a
Que l'inappréciableencens de mes pensées. 6+6 a
Mon bien-aimé, mêlésà vos élus divins, 6+6 a
10 Mes rêves purs, avecle chœur des Séraphins, 6+6 a
Allégés du fardeaudes paroles antiques, 6+6 a
Mes rêves ont chantéplus haut que les cantiques ; 6+6 a
Et quand mon âme, un jour,s'évadera du corps, 6+6 a
Je volerai dans lesSplendeurs et les Accords 6−6 a
15 Faits de flamme subtileet de claire harmonie, 6+6 a
Et je rayonneraidans la gloire infinie, 6+6 a
Autour du front terribleet charmant de l'Époux. 6+6 a
O monde, ô vie, ô sens,évanouissez-vous ! 6+6 a
Car, là-haut, par delàles ténèbres premières, 6+6 a
20 Dans l'éclat des concertset la voix des lumières, 6+6 a
Impérissable, dansle nimbe de l'Amant, 6−6 a
La chair immaculéearde éternellement. 6+6 a
Baignée d'une musique surhumaine, elle entend comme en elle-même :
UN CHŒUR D'ANGES
Enfant, les cieux songés,blancs de lys et de vierges 6+6 a
Plus blêmes que la cireodorante des cierges, 6+6 a
25 Et les jardins semésd'étoiles, les sommets 6+6 a
D'hermine chaste et decandeurs impolluées 6−6 b
Mirés aux lacs vontles cygnes des nuées, 6+6 b
Enfant, les cieux songésseraient clos à jamais. 6+6 a
Arrière, le troupeauneigeux d'immaculées ! 6+6 a
30 Vers l'amoncellementdes glaces reculées, 6+6 a
Les rouges Kéroubimvous repoussent du seuil 6+6 a
Éblouissant : les crinsde votre âpre cilice 6+6 b
Vous sont une moelleuseet royale pelisse : 6+6 b
Votre virginitén'est ivre que d'orgueil. 6+6 a
35 Arrière ! le blé murépars des Madeleines, 6+6 a
Épars sur les pieds nusavec les urnes pleines, 6+6 a
Brûle seul dans la sainteauréole de feu. 6+6 a
Dans le brasier de Christ,avivé de colères, 6+6 b
Vous fondriez,ô froides fleursdes soirs polaires, 4+4+4 b
40 Qui ne parfumez pasles hommes avant Dieu. 6+6 a
Lorsque le Rédempteureut brisé les statues 6+6 a
D'autrefois, parmi lescolonnes abattues, 6−6 a
Il laissa reverdir,seul d'entre les Maudits, 6+6 a
Érôs, et lui donnapour royaume la Terre : 6+6 b
45 Immortelle, la soifdes lèvres vous altère, 6+6 b
Et l'enfer des baisersvaut notre paradis. 6+6 a
Va ! l'Olympe abolirevit dans votre race ; 6+6 a
La meute des désirsvous poursuit à la trace, 6+6 a
Et vous n'évitez pasles flèches de l'Archer. 6+6 a
50 Prends garde d'oublierles cieux songés, ô vierge : 6+6 b
L'amour à l'horizonde ta jeunesse émerge ; 6+6 b
J'ai vu, dans l'Orient,l'invincible marcher. 6+6 a
LA JEUNE FILLE éperdue des paroles ouies et béante d'horreur mystique invoque, en balbutiant, Madame Marie qui sourit, doucement couronnée d'astres, au fond d'une fresque byzantine, et des cimes de l'azur tend les mains vers un vol d'âmes en peine : VENITE AD ME DILECTÆ MEÆ.
Je ne sais plus si c'estmon rêve que j'écoute, 6+6 a
Ou si la source en mois'infiltre goutte à goutte 6+6 a
55 Qui ruisselle des luthset des psaltérions, 6+6 a
Et si j'entends le Diableou les Anges. Prions. 6+6 a
Tueuse du serpent.Reine du bleu stellaire, 6+6 a
Le dérobeur d'épismaraude autour de l'aire : 6+6 a
Le voleur d'âmes vientdes abîmes et fuit : 6+6 a
60 Chassez le tentateuret le rôdeur de nuit. 6+6 a
Tandis que s'égrènent les litanies, un fracas assourdi d'armures irradiées glisse lentement, entre les tentures héroïques où s'enchevêtrent de furieuses mêlées.
LA JEUNE FILLE, éveillée en sursaut des prières, se lève frissonnante vers SON PÈRE et le guerrier convulsif brûle ses mains de caresses, de caresses incestueuses et brutales.
Et l'enfant hurlante s'arrache des baisers sacrilèges. Elle va jusqu'à la grand salle oùLE SERVITEUR courbé fourbit les larges glaives et les panoplies.
LA JEUNE FILLE
Vieillard, j'ai ma penséeentière. Prends l'épée 6+6 a
De justice, l'épéeinfaillible, trempée 6+6 a
Sept fois dans le Saint-Chrêmeet le feu baptismal 6+6 a
Et que ne souille pas,comme l'homme, le Mal 6+6 a
65 Originel. Saisisla Purificatrice 6+6 a
—Si ton bras est rongéd'ulcères, qu'il périsse ! 6+6 a
A dit le Mtre dontm'attendent les hymens ;— 6+6 a
Et lave aux flots d'acierrougi, tranche mes mains ! 6+6 a
LE SERVITEUR
O ma fille, vos mainssont des corolles fines ; 6+6 a
70 Vos mains sont un bouquetde jeunes aubépines ; 6+6 a
L'haleine du printempssouffle de votre chair : 6+6 a
Je ne moissonne pasles fleurs avec le fer. 6+6 a
Vous délirez.
LA JEUNE FILLE
Tais-toi ;l'ulcère des caresses 6+6 a
Inexpiables, mordma chair et fond mes graisses. 6+6 a
75 Obéis, sans l'horreurmortelle des aveux : 6+6 a
L'effroi te briseraitles oreilles.
La main levée en un geste terrible :
Je veux. 6+6 a
Et la volontaire martyre pose sans trembler ses mains jaillissant des manches sur une table de porphyre aux mosaïques de chimères.
Ses yeux fixes ne clignent pas à l'éclat bleu du glaive brusque s'abattant, qui verse aux bêtes héraldiques des gouttes soudaines de pourpre.
Et, brandissant dans la pénombre les deux torches jumelles des bras mutilés, elle fait prendre une aiguière de cristal enchemisé d'or.
Épouvantable et radieux, un double nénuphar aux tiges d'écarlate flotte dans une écume rose de grappes d'Orient foulées.
Oh ! le vase lustral l'âme se lava ! 6+6 a
Va-t'en porter l'aiguièreà mon bon père. Va. 6+6 a
II
Maintenant une foule confuse bruit près de la mer flagellée par le vent du Nord. Dans une frêle nef, sans rames ni voilure, LE PÈRE a fait étendre LA JEUNE FILLE surnaturelle, enveloppée dans un linceul de lin grossier. Elle regarde obstinément le ciel d'orage.
LE PÈRE
Ma fille, vos péchés,commis dans ma maison, 6+6 a
80 Ont fait s'enfuirles tourterellesdu blason. 4+4+4 a
Endormis dans la nuittombale, clos en elle, 6+6 a
Les morts ont tressaillide votre ardeur charnelle. 6+6 a
Donc je dois, réprimantpleurs lâches et sanglots, 6+6 a
Vous confier, vivante,à la douceur des flots. 6+6 a
85 Nous prierons, gens des bourgset manants de campagne, 6+6 a
Afin que la bontéde Dieu vous accompagne. 6+6 a
Allez ! au nom de laTrès Sainte Trinité, 6−6 a
Et que Jésus vous prenneen votre éternité. 6+6 a
Mais la barque n'est pas engloutie par les gueules fauves de l'abîme. Elle s'efface, poussée par les haleines pacificatrices d'invisibles archanges.
Les gerbes fauchées des houles vertes dorment sous un soleil d'accalmie, etLA JEUNE FILLE, affranchie par l'extase, contemple des visions vagues et des formes.
Dans le lilas de leursrosaces vespérales, 6−6 a
90 Je vois s'épanouir,là-haut, des cathédrales. 6+6 a
Une poussière d'astreirise les parvis 6+6 a
Et les arceauxsortent des dallesde rubis. 4+4+4 a
Dans l'espace des nefssans limites, lamées 6+6 a
D'azur, des encensoirseffeuillent des fumées. 6+6 a
95 Dans le frisson de leurséchos multipliés, 6−6 a
Des sons inentendusébranlent les piliers. 6+6 a
Le voile rejetéd'un fulgurant coup d'aile, 6+6 a
Le Tabernacleinaccessiblese révèle. 4+4+4 a
Et lorsque l'Ostensoiréphémère me luit, 6+6 a
100 La robe du soleilsemble teinte de nuit. 6+6 a
Seigneur Dieu, l'appétitdes vagues me réclame, 6+6 a
L'aumône de mon corpsest faite. Cueillez l'âme. 6+6 a
Dans son ravissement mystique,LA JEUNE FILLE se croit morte. Serait-ce que la barque aborde aux rives vertigineuses du Paradis, où des couples célestes glissent dans une aube d'opales fluides ?
Elle regarde émerveillée, sous une étoffe de la lumière, au lieu des tronçons effroyables, la fraîcheur blonde de ses mains ressuscitées et d'où s'exhale une senteur de ruches prochaines et de miel.
Des enfants, vêtus de tuniques multicolores et légères, lui font un triomphal cortège et, prise dans des rets de charmes surhumains, elle marche au milieu des hymnes étranges. Hymen ! Hymenaee !
Hymen ! Hymen ! Hymenaee ! Au faîte des monts d'hyacinthe un palais de prodige monte, marmoréen, vers les nuages violets. Elle gravit les escaliers, gardés par des sphinges immobiles.
Hymen ! Hymen ! Hymenaee ! Au seuil glorieux des demeures, souriant idéalement dans l'ombre dénouée de sa chevelure, LE POÈTE-ROI vient vers elle sous son manteau de pourpre lyrique.
Et les enfants ont disparu ; dans une salle de féerie, portée par des cariatides, sur l'or roux, des lions tués,LA JEUNE FILLE s'abandonne à la volupté des caresses. Hymen ! O hymen !
LA JEUNE FILLE
Doux initiateurde l'âme en quelle sphère 6+6 a
Plus lointaine, Jésus,l'Esprit, et Dieu le Père, 6+6 a
105 Dans leur unité triple,infinis et sereins, 6+6 a
Attendent-ils le chœurdes élus, pèlerins 6+6 a
Joyeux et jamais lasd'un Temple que j'ignore, 6+6 a
Qui s'envolent de l'ombreancienne vers l'Aurore. 6+6 a
Emmène-moi par lesÉdens et les Sions, 6−6 a
110 Toi qui sais les cheminsde constellations. 6+6 a
LE POÈTE-ROI saisit la grande Lyre et, sous le plectre, les cordes de brebis vibrent dans l'écaille de tortue transparente.
Avant la Terre, avantles Jours et les années, 6+6 a
L'Immuable a pétrinos chairs prédestinées. 6+6 a
J'ai trompé mon ennuipar la lyre, et j'attends 6+6 a
Tes seins qui m'appelaientde l'abîme des temps, 6+6 a
115 Et mes yeux, emperlésd'une angoisse inconnue, 6+6 a
Mes yeux cherchaient tes yeuxnocturnes dans la nue. 6+6 a
Parfois, dans le brouillardchantant de la forêt, 6+6 a
Une fée illusoireéclôt et dispart : 6+6 a
Dis-moi que tu n'es pasl'ombre vaine d'un rêve, 6+6 a
120 O fille de la meret de l'écume brève. 6+6 a
Dis-moi qu'avant la tombeet nos corps révolus, 6+6 a
Le flot de tes baisersne se tarira plus. 6+6 a
Je ferai vivre pardelà les étendues 6−6 a
Ton nom sanctifiédans les cordes tendues. 6+6 a
125 Et tu vaincras par lagloire de tes beautés 6−6 a
Les nymphes de l'Hellaset les Divinités. 6+6 a
Parle, et tu chasseras,de la mémoire humaine 6+6 a
La Vénus Italiqueet l'Anadyomène. 6+6 a
Je traqueraileurs souvenirstels que des loups, 4+4+4 a
130 Et Christ reconnaissantse penchera vers nous. 6+6 a
LA JEUNE FILLE
O Chanteur, je ne saisquel décevant mystère 6+6 a
Me rappelle du cielentrevu vers la terre. 6+6 a
Ton regard me repousseet m'attire. Va-t'en, 6+6 a
Car je me damneraispeut-être en t'écoutant. 6+6 a
Dans son indicible douleur,LE POÈTE-ROI jette la Lyre qui se brise en un lamentable sanglot et le cri des fibres est si déchirant que LA JEUNE FILLE tremblante d'effroi et d'amour revient vers le royal Désespéré, comme résignée aux flammes d'une imminente géhenne. Pendant qu'ils sont enlacés, UN CHŒUR D'ANGES, entendu jadis, effleure leurs oreilles extasiées.
135 Écarte le conseilde tes mauvaises craintes. 6+6 a
Le Seigneur t'a rendudes mains pour les étreintes, 6+6 a
Fais à l'amant royalle don de ton orgueil. 6+6 a
Va ! laisse le troupeauneigeux d'immaculées ; 6+6 b
Vers l'amoncellementdes glaces reculées, 6+6 b
140 Les rouges Kéroubimles repoussent du seuil. 6+6 a
Aimez-vous ! le blé mûrépars des Madeleines, 6+6 a
Épars sur les pieds nusavec les urnes pleines, 6+6 a
Brûle seul dans la sainteauréole de feu. 6+6 a
Dans le brasier de Christ,avivé de colères, 6+6 b
145 Vous fondriez,ô froides fleursdes soirs polaires, 4+4+4 b
Qui ne parfumez pasles hommes avant Dieu. 6+6 a
Lorsque le Rédempteureut brisé les statues 6+6 a
D'autrefois, parmi lescolonnes abattues, 6−6 a
Il laissa reverdir,seul d'entre les Maudits, 6+6 a
150 Érôs, et lui donnapour royaume la Terre : 6+6 b
Immortelle, la soifdes lèvres vous altère, 6+6 b
Et l'enfer des baisersvaut notre paradis. 6+6 a
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