Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
PRU_3/PRU96
René-François SULLY PRUDHOMME
La Justice
1878
PROLOGUE
Les étoiles au loinbrillent silencieuses, 6+6 a
Au fond d'un ciel sans lune,éclatantes ce soir, 6+6 b
Comme dans leur écrinles pierres précieuses 6+6 a
Semblent de plus belle eausur un velours plus noir. 6+6 b
5 L'âme, simple autrefois,vers le ciel élancée, 6+6 a
Par l'extase et l'espoirles atteignait là-haut ; 6+6 b
Elle en pouvait jouir,comme une fiancée 6+6 a
Choisit les diamantsqui l'orneront bientôt. 6+6 b
Mais, en les contemplant,l'âme aujourd'hui soupire : 6+6 a
10 De ces feux qu'elle observeelle n'attend plus rien ; 6+6 b
Et le rare songeurqui d'en bas les admire 6+6 a
N'a plus les calmes nuitsdu pâtre chaldéen. 6+6 b
Comment prier, pendantqu'un profane astronome 6+6 a
Mesure, pèse et suitles mondes radieux ? 6+6 b
15 On l'entend qui les compte,et sans terreur les nomme 6+6 a
Des grands noms que portaientd'inoubliables dieux. 6+6 b
Nos yeux qu'au ciel déchuson doigt hautain dirige, 6+6 a
Y voient par la raisontout l'azur balayé, 6+6 b
Phœbus banni lui-même,et le fougueux quadrige 6+6 a
20 Qui promenait sa gloire,à jamais enrayé. 6+6 b
Comment rêver, pendantqu'à d'effrayants ouvrages 6+6 a
L'adroit physiciens'évertue ? On l'entend 6+6 b
Qui fait grincer la limeet, chasseur des orages, 6+6 a
Aiguise et dresse en l'airle piège qu'il leur tend ; 6+6 b
25 On voit, au poing du dieuqui faisait le tonnerre, 6+6 a
Les foudres défailliren servage réduits : 6+6 b
Ce vainqueur des titans,devenu débonnaire, 6+6 a
Devant un fer de lanceabdique au fond d'un puits. 6+6 b
Comment chanter, pendantqu'un obstiné chimiste 6+6 a
30 Souffle le feu, penchésur son œuvre incertain, 6+6 b
Et suit d'un œil fiévreuxun atome à la piste, 6+6 a
De la cornue au four,du four au serpentin ? 6+6 b
Dans les combats légersde l'air avec la feuille 6+6 a
Il nous fait voir un gazattaquant du charbon ; 6+6 b
35 La fleur même pour nous,depuis qu'il en recueille 6+6 a
L'âme sous l'alambic,ne sent plus aussi bon. 6+6 b
Et quel amour gter,quand dans la chair vivante 6+6 a
Un froid naturalisteenfonce le scalpel, 6+6 b
Et qu'on entend hurlerd'angoisse et d'épouvante 6+6 a
40 La victime, aux dieux sourdspoussant un rauque appel ? 6+6 b
Depuis qu'en tous les corpson a vu la dépouille 6+6 a
Des tissus les plus finsgrossir sous le cristal, 6+6 b
Le regard malgré soiles dissèque et les fouille, 6+6 a
Des apprêts de la formeinquisiteur brutal. 6+6 b
45 Plus de hardis coups d'aileà travers le mystère, 6+6 a
Plus d'augustes loisirs !Le poète a vécu. 6+6 b
Des mtres d'aujourd'huila discipline austère 6+6 a
Sous un joug dur et lentcourbe son front vaincu. 6+6 b
Il les croit forcément,qu'il sache ou qu'il ignore 6+6 a
50 leur propre croyancea trouvé son appui ; 6+6 b
La nature est la mêmeet lui sourit encore, 6+6 a
Mais il ne la voit plusque par eux, malgré lui. 6+6 b
« sais-tu, lui disent-ils,téméraire poète, 6+6 a
S'il est rien qu'il te failleencenser ou honnir ? 6+6 b
55 Dans le ciel impassibleil n'est ni deuil ni fête, 6+6 a
Aucun despote à craindre,aucun père à bénir. 6+6 b
« renonce à la prièreaussi bien qu'au blasphème : 6+6 a
Les êtres, affranchisdes dieux bons ou méchants 6+6 b
Ont pour divinitésles lois de leur système, 6+6 a
60 Pour dogme leur plaisir,pour devins leurs penchants. 6+6 b
« tu formes à l'aveugle,au seuil du cimetière, 6+6 a
Pour notre espèce un vœutrop humble ou trop altier : 6+6 b
Tu ne sauras jamaissa destinée entière 6+6 a
Sans l'apprendre avec nousde l'univers entier. 6+6 b
65 « une œuvre s'accomplit,obscure et formidable ; 6+6 a
Nul ne discerne, avantd'en conntre la fin, 6+6 b
Le véritable malet le bien véritable : 6+6 a
L'accuser est stérile,et la défendre, vain. » 6+6 b
Alors il n'est plus sûrde chanter sans méprise, 6+6 a
70 De ne pas malgré luifaire mentir ses vers ; 6+6 b
L'apparence, vapeurcapiteuse, le grise, 6+6 a
Mais la réalitése fait jour au travers. 6+6 b
Le masque se déchireet par lambeaux s'envole. 6+6 a
La nature n'est plusla nourrice au grand cœur ; 6+6 b
75 Elle n'est plus la mèreauguste et bénévole, 6+6 a
Aimant à propagerla grâce et la vigueur, 6+6 b
Celle qui lui semblaitcompatir à la peine, 6+6 a
Fêter la joie, en quil'homme avait cru sentir 6+6 b
Une âme l'écouter,divinement humaine, 6+6 a
80 Et des voix lui parler,trop simples pour mentir. 6+6 b
Il apprend que sa face,ou riante ou chagrine, 6+6 a
N'est qu'un spectre menteur ;tendre fils il apprend 6+6 b
Qu'elle offre sans tendresseà ses fils, sa poitrine 6+6 a
Et berce leur sommeild'un pied indifférent ; 6+6 b
85 Que c'est pour elle, et nonpour eux qu'elle travaille ; 6+6 a
Que son grand œil d'azurleur sourit sans regard ; 6+6 b
Que l'homme dans ses brasmeurt sans qu'elle en tressaille, 6+6 a
Né de père inconnudans un lit de hasard. 6+6 b
Il ressemble à l'enfantque personne n'avoue, 6+6 a
90 Et qui, d'âge à scruterles lois dont il pâtit, 6+6 b
Cherche et souffre, accablédes voiles qu'il secoue 6+6 a
Et qu'il ne sentait pasquand il était petit ; 6+6 b
Et comme l'orphelins'adresse à la justice, 6+6 a
Dès qu'il n'espère plustenir de la bonté 6+6 b
95 Un tissu qui le vête,un blé qui le nourrisse, 6+6 a
Tous les dons sur lesquelsil avait trop compté, 6+6 b
Depuis qu'il a sentifaillir la providence 6+6 a
Aux saintes missionsque lui prêtait la foi, 6+6 b
Ailleurs que chez les dieuxil cherche une prudence, 6+6 a
100 À défaut d'une grâce,une équitable loi. 6+6 b
Un trouble tout nouveaule remue ; il s'écrie : 6+6 a
« ô ma muse, ma muse,à quoi donc songeons-nous ? 6+6 b
Ne décorons-nous pointdu nom de rêverie 6+6 a
Des ivresses, des deuilset des oublis de fous ? 6+6 b
105 « pour moi, je ne veux plusrépandre à l'aventure 6+6 a
Ma louange et mon blâme,et j'en aurai souci ! 6+6 b
Je veux moi-même enfin,je veux à la nature 6+6 a
Réclamer la justiceet la lui rendre aussi ! 6+6 b
« une indiscrète fenteau rideau s'est ouverte : 6+6 a
110 Ma fièvre de tout voirne se peut plus guérir ; 6+6 b
Je ne supporte pasla demi-découverte, 6+6 a
Il me faut maintenantdeviner ou mourir. 6+6 b
« car le poète, lui !Cherche dans la science 6+6 a
Moins l'orgueil de savoirqu'un baume à sa douleur. 6+6 b
115 Il n'a pas des savantsl'heureuse patience, 6+6 a
Il combat une soifplus âpre que la leur. 6+6 b
« en vain de ce qui souffreil connt la structure, 6+6 a
Il croit ne rien savoirtant qu'un doute odieux 6+6 b
Plane sur le secretdes maux que l'être endure, 6+6 a
120 Tant que rien de meilleurn'a remplacé les dieux. 6+6 b
« ô ma muse, debout !Suivons de compagnie 6+6 a
La science implacable,et, degré par degré, 6+6 b
Voyons si de partoutla justice est bannie, 6+6 a
Ou quel en est le siègeet l'oracle sacré ! » 6+6 b
125 La muse tremble et dit :« quel vol tu me demandes ! 6+6 a
Puis-je tu veux allert'escorter sans péril ? 6+6 b
J'ai besoin d'air sonore,et mes ailes, si grandes, 6+6 a
Sont trop lourdes pour fendreun élément subtil. 6+6 b
« un abîme sans ciel,peuplé d'ombres ténues, 6+6 a
130 N'offre à mon large essoraucun solide appui ; 6+6 b
Parmi les moules creuxet les vérités nues 6+6 a
Je périrai bientôtde détresse et d'ennui 6+6 b
« tu ne m'entendras plusou tu me feras taire, 6+6 a
Tantôt m'abandonnant,tantôt sourd à mes cris, 6+6 b
135 Me foant à ramperpour consulter la terre 6+6 a
Sans pitié pour mes mainset mes genoux meurtris. » 6+6 b
oh ! Ne dédaigne pasle service à me rendre ! 6+6 a
Si tu n'es plus l'épouse,au moins reste la sœur ! 6+6 b
L'ordre même est un rythme,et pour le bien comprendre, 6+6 a
140 Un bercement sublimeest utile au penseur. 6+6 b
« courage ! La penséeest généreuse et sûre, 6+6 a
Elle te soutiendra.Mais adieu ta chanson ! 6+6 b
Que l'archet seulementme batte la mesure 6+6 a
Si le luth à ma voixrefuse l'unisson ! » 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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