Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
PRU_3/PRU104
René-François SULLY PRUDHOMME
La Justice
1878
SECONDE PARTIE
Appel au cœur
HUITIÈME VEILLE
LA CONSCIENCE
Sur les astres fermons, cette nuit, ma fenêtre : 6+6 a
Si contempler est doux, il est beau de connaître ; 6+6 a
Fermons même les yeux, et, le front dans la main, 6+6 b
Entrons dans l'ombre intime à fond jusqu'à demain. 6+6 b
I
5 Où sont les abandons, les gaîtés de naguères, 6+6 a
Quand, fort de la coutume et de la foi vulgaires, 6+6 a
Je savais me laisser par le jour éblouir 6+6 b
Et des biens de la vie aveuglément jouir ? 6+6 b
Je me sens aujourd'hui la pensée en détresse, 6+6 a
10 Et je ne prends plus part à la commune ivresse. 6+6 a
J'y demeure étranger, comme un faux libertin 6+6 b
Qu'un désespoir d'amour égare en un festin : 6+6 b
Dans les rires, les cris, les senteurs, les fumées, 6+6 a
Et les pourpres éclairs des lèvres allumées, 6+6 a
15 Dans l'ondoiement des seins que l'étreinte a flétris, 6+6 b
Et le scintillement fiévreux des yeux meurtris, 6+6 b
De la fête odieuse il n'a que la livrée ; 6+6 a
Résistant au roulis de sa tête enivrée, 6+6 a
Sa volonté tient bon, debout au gouvernail ; 6+6 b
20 Seul il compte les pas de l'heure sur l'émail, 6+6 b
Et voit l'aube rougir la vitre qui larmoie : 6+6 a
Un incurable amour corrompt en lui la joie. 6+6 a
Ainsi, des voluptés sublime empoisonneur, 6+6 b
L'amour de la justice a troublé mon bonheur. 6+6 b
25 Pour moi, le sang versé, comme une huile épandue, 6+6 a
A, depuis que j'y songe, envahi l'étendue ! 6+6 a
La tache grandissant couvre l'azur entier, 6+6 b
Et nul souffle d'avril ne saurait l'essuyer. 6+6 b
Des maux plus grands que moi, que j'ai peine à décrire, 6+6 a
30 M'obsèdent ; peine étrange et dont on peut sourire ! 6+6 a
Mais de tout refléter j'ai le triste pouvoir : 6+6 b
Tout l'abîme descend dans le moindre miroir, 6+6 b
Et tout le bruit des mers tient dans un coquillage. 6+6 a
Est-ce ma faute, hélas ! Si ma pitié voyage, 6+6 a
35 Si je peux réfléchir dans un seul de mes pleurs 6+6 b
Un théâtre infini d'innombrables malheurs, 6+6 b
Si toutes les douleurs de la terre et des mondes 6+6 a
Font tressaillir mon âme en ses cordes profondes ? 6+6 a
Combien plus sagement, avec moins de grandeur, 6+6 b
40 Exempt de sympathie, affranchi de pudeur, 6+6 b
L'animal se résigne aux fléaux sans refuge ! 6+6 a
Des lois d'où sort le mal il ne se fait pas juge : 6+6 a
Instrument et matière à la fois du destin, 6+6 b
Il tue et meurt, convive et pâture au festin, 6+6 b
45 Sans chercher qui l'héberge et qui le sacrifie. 6+6 a
Il est heureux ! Son sort, par moments je l'envie ; 6+6 a
Je voudrais imiter ce qui se passe en lui, 6+6 b
Pour connaître, à mon tour, le loisir sans ennui, 6+6 b
Le meurtre sans remords, la volupté sans honte, 6+6 a
50 Et l'assouvissement sans règlement de compte. 6+6 a
Les loups ne savent point qu'ils passent pour méchants, 6+6 b
Et les moutons, sans peur, broutent l'herbe des champs, 6+6 b
Et dans l'ombre ou l'éclair de leur fixe prunelle 6+6 a
Je vois rêver en paix la nature éternelle : 6+6 a
55 Par leurs yeux elle tente un regard ignorant 6+6 b
Sur son œuvre, pour elle encore indifférent, 6+6 b
Et semble s'étonner devant ses propres gestes ; 6+6 a
C'est par leurs yeux, hantés d'images indigestes, 6+6 a
Qu'elle entrevoit d'abord, confuses visions, 6+6 b
60 Le luxe éblouissant de ses éclosions ! 6+6 b
Elle en dégage à peine une aube de pensée, 6+6 a
L'ère de l'âme en elle est déjà commencée ! 6+6 a
D'âge en âge elle essaye à des songes nouveaux 6+6 b
Sa conscience éparse en mille étroits cerveaux, 6+6 b
65 Sans discerner encore, à leur humble étincelle, 6+6 a
De ses lois en travail l'orgie universelle. 6+6 a
II
Elle n'en sentira ni pitié ni terreur, 6+6 b
Avant qu'un jour plus net en dénonce l'horreur ! 6+6 b
C'est dans l'humanité qu'à sa fatale date 6+6 a
70 La révélation de cette horreur éclate, 6+6 a
Et qu'enfin la nature émet le premier vœu 6+6 b
Qui, dépassant son œuvre, en soit le désaveu ! 6+6 b
Que n'ai-je dormi, l'âme et la paupière closes, 6+6 a
Sans les ouvrir avant l'achèvement des choses ! 6+6 a
75 La soif de l'idéal n'aurait dû nulle part 6+6 b
En devancer le règne inauguré si tard ! 6+6 b
Le sentiment des maux, qu'en frémissant je scrute, 6+6 a
Devait m'être épargné, comme il l'est à la brute, 6+6 a
Jusqu'à ce qu'enfantant un astre réussi 6+6 b
80 La nature à ma race eût crié : « c'est ici ! » 6+6 b
Mais non ! L'humanité porte la peine auguste 6+6 a
D'une grandeur précoce à quoi rien ne s'ajuste 6+6 a
Elle a l'air d'une espèce éclose à contretemps : 6+6 b
Tout est prématuré dans ses vœux transcendants, 6+6 b
85 Tout dans ses appétits la rappelle en arrière, 6+6 a
Tout ce que son génie ouvre en haut de carrière, 6+6 a
En bas la pesanteur à ses pieds l'interdit. 6+6 b
De son globe natal, qu'elle étreint et maudit, 6+6 b
Comme d'un vieil amant dégoûtée et jalouse, 6+6 a
90 Avec trop d'âme en soi pour s'en faire l'épouse, 6+6 a
Et trop d'argile aussi pour s'en pouvoir passer, 6+6 b
En rêvant de le fuir elle aime à l'embrasser ! 6+6 b
Je le sens, moi son fils, malade et vieux comme elle ! 6+6 a
Car je bois, en suçant son antique mamelle, 6+6 a
95 Non le lait primitif, non ce sauvage lait 6+6 b
Où nul sang par l'épreuve usé ne se mêlait, 6+6 b
Et qu'à ses nourrissons offrait dans sa tanière, 6+6 a
À peine femme encor, la dryade dernière, 6+6 a
Mais bien le lait qui court d'elle à ses descendants, 6+6 b
100 Plein de ferments couvés depuis des milliers d'ans, 6+6 b
Dépôt de vérités et de vertus amères, 6+6 a
De vices monstrueux et d'absurdes chimères, 6+6 a
Que reçoit des aïeux tout homme à son insu 6+6 b
Pour le léguer plus lourd qu'il ne l'avait reçu. 6+6 b
105 Quand je songe à ma part dans ce vaste héritage 6+6 a
De pensers et de mœurs amassés d'âge en âge, 6+6 a
Je ne sais où me prendre, et cherche avec effroi 6+6 b
Dans mon être, âme et corps, ce que j'appelle moi, 6+6 b
S'il est rien dans cet être entier qui m'appartienne, 6+6 a
110 Si la justice, en moi, plus que le reste est mienne. 6+6 a
Tant de fous violents, d'adroits ambitieux, 6+6 b
Usurpant dans mon cœur son rôle au nom des dieux, 6+6 b
Par la voix de l'oracle ou la voix du prophète, 6+6 a
M'ont, sous son nom, dicté la loi qu'ils avaient faite ! 6+6 a
115 Tant de sages, de rois, de prêtres sont venus 6+6 b
De tous les lieux nommés, de tous les temps connus, 6+6 b
Emmaillotter mon cœur de langes invisibles, 6+6 a
Incliner sur mon front leurs codes et leurs bibles, 6+6 a
Et me rompre à leur gré les reins et les genoux, 6+6 b
120 Chuchotant ou criant : « la justice, c'est nous ! » 6+6 b
Et qu'y pouvais-je, à l'âge où la raison s'ignore, 6+6 a
Où les sens étonnés s'interrogent encore ? 6+6 a
Devant moi se dressaient leurs puissants héritiers : 6+6 b
« sers et crois, m'ont-ils dit, de force ou volontiers ! » 6+6 b
125 J'obéis et je crus, sans dépouiller leurs titres, 6+6 a
Fasciné, comme si les crosses ou les mitres, 6+6 a
Les sceptres vacillants et les bandeaux étroits 6+6 b
De nos dominateurs, maîtres de nous sans droits, 6+6 b
La suite et l'appareil des dieux et des monarques, 6+6 a
130 Ô justice, portaient tes véritables marques ! 6+6 a
Ton seul vrai témoignage est l'indignation ! 6+6 b
Un jour il m'a percé, ce pieux aiguillon. 6+6 b
Si longtemps qu'on le rouille, ou le fausse, ou l'émousse, 6+6 a
Il n'attend, pour entrer, qu'une vive secousse, 6+6 a
135 Et, par la sympathie ébranlé tôt ou tard, 6+6 b
Pénètre et vibre au cœur comme le fer d'un dard. 6+6 b
Le sanglant défilé de tes martyrs proclame 6+6 a
Qu'il n'est de tribunal sûr et sacré qu'en l'âme, 6+6 a
Qu'il ne se rend que là des arrêts sans appel, 6+6 b
140 Qu'enfin la conscience est ton unique autel ! 6+6 b
Si noir, si bas que soit ton gîte au fond de l'âme, 6+6 a
Le plus inculte y sent ta louange ou ton blâme, 6+6 a
Et le plus endurci craint toujours ton réveil, 6+6 b
Car il sent là toujours tressaillir ton sommeil. 6+6 b
III
145 Ainsi je reconnais ton infaillible signe 6+6 a
Dans l'oracle secret qui m'approuve ou s'indigne. 6+6 a
Te croire sur parole, en épurant ta voix, 6+6 b
Ce fut longtemps ma règle, humble et sûre à la fois 6+6 b
Comme le lent conseil d'une âpre expérience. 6+6 a
150 Mais plus tard j'ai voulu formuler ma croyance, 6+6 a
Et, pour rendre ton verbe intime plus distinct, 6+6 b
Faire parler pour toi la raison sans l'instinct ; 6+6 b
J'ai voulu te prouver après t'avoir sentie. 6+6 a
Que d'ombre emplit alors ma tête appesantie ! 6+6 a
155 Que j'ébauchai pour toi d'impuissantes babels ! 6+6 b
Comme, pour se bâtir, plus haut que leurs autels, 6+6 b
Un port plus sûr, jadis, dans la nuit des carrières, 6+6 a
Les hommes follement ont remué les pierres, 6+6 a
Ainsi j'ai remué dans leur chantier profond 6+6 b
160 Les lourds matériaux dont les preuves se font. 6+6 b
Je rêvais de fonder sur une ferme assise 6+6 a
Une juste cité d'une forme précise, 6+6 a
Et je voulais donner à ce fier monument, 6+6 b
Pour matière et maçon, la raison seulement. 6+6 b
165 Mais elle n'offre point une base assez ample 6+6 a
Pour t'y dresser un fort aussi haut que le temple 6+6 a
Que je t'avais naguère, avec moins de rigueur, 6+6 b
Et pourtant plus solide, élevé dans mon cœur. 6+6 b
J'avais beau le bâtir comme un froid géomètre, 6+6 a
170 Aux lois de l'équilibre avec soin le soumettre, 6+6 a
M'enquérir des granits, des ciments les meilleurs, 6+6 b
Et des secrets qui font les bons appareilleurs, 6+6 b
Plus j'en réglais l'aplomb par l'équerre et la corde, 6+6 a
Plus j'exaltais l'orgueil sans fonder la concorde ! 6+6 a
175 Et, comme des babels pleines de vains discours, 6+6 b
J'ai dû l'une après l'autre abandonner mes tours. 6+6 b
Et les prêtres m'ont dit : « la raison nous insulte. 6+6 a
Eh bien, vois son ouvrage et le fruit de son culte ! 6+6 a
Hommes, le droit, c'est Dieu qui permet ou défend ! » 6+6 b
180 J'entendais me railler leur défi triomphant ; 6+6 b
J'eus honte et voulus voir, si, tenant tout sous elle, 6+6 a
Ta loi, vraiment divine, éclate universelle. 6+6 a
Ah ! Que cet examen me valut de tourments ! 6+6 b
Que sur toi j'ai conçu de doutes alarmants ! 6+6 b
185 Car de tous mes regards l'enquête vagabonde 6+6 a
Fit ma déception grande comme le monde. 6+6 a
Pour en consulter l'ordre et m'y conformer mieux, 6+6 b
Hélas ! Autour de moi j'ai promené les yeux, 6+6 b
Dans l'espoir de ravir au commerce des brutes 6+6 a
190 Le secret naturel des foules sans disputes, 6+6 a
Et j'ai presque envié leur silence aux troupeaux ! 6+6 b
Mais j'ai vu, plein d'horreur, la guerre sans repos, 6+6 b
Sans courage et sans bruit, des espèces entre elles, 6+6 a
Plus atroce cent fois que nos promptes querelles, 6+6 a
195 Guerre où, par avarice, ouvrier de la mort, 6+6 b
Le sol contre le faible est l'allié du fort ! 6+6 b
J'ai détourné la tête et contemplé les astres : 6+6 a
Un jour de calme y coûte un âge de désastres ! 6+6 a
Je le sais, car le prisme, interrogeant leurs feux, 6+6 b
200 À ces faux paradis arrache des aveux… 6+6 b
J'ai vu chaque élément de leur essence vraie 6+6 a
Étaler sur l'écran sa redoutable raie ; 6+6 a
Je sais que leur matière est terrestre, et qu'ainsi 6+6 b
L'on y pourra souffrir tout ce qu'on souffre ici ! 6+6 b
205 Leur soyeuse lueur, qui baise la prunelle, 6+6 a
Est d'un possible enfer la menace éternelle. 6+6 a
En vain je les veux fuir, l'espace plus obscur 6+6 b
Me suit plus effrayant, comme un cachot sans mur 6+6 b
Et j'y vois en silence errer les nébuleuses 6+6 a
210 Comme des vols épars de graines douloureuses ! 6+6 a
Je suis donc durement de partout refoulé, 6+6 b
Quand, de la terre au ciel sans cesse reculé, 6+6 b
Aussi loin que mon cri voyage et retentisse, 6+6 a
Je demande à l'abîme où siège la justice ! 6+6 a
IV
215 Ô justice ! Après tant et de si longs détours, 6+6 b
Je rentre dans mon cœur où je te sens toujours, 6+6 b
Et j'y rentre, étonné que le haut privilège 6+6 a
Ne soit qu'à l'homme échu d'avoir au cœur ton siège. 6+6 a
Ah ! Puisque l'univers s'est fait sans la vertu, 6+6 b
220 Quand donc nous es-tu née ? Et d'où donc nous viens-tu ? 6+6 b
Pourquoi, de toutes parts autour de l'homme absente, 6+6 a
Faut-il que seul il t'aime et que seul il te sente ? 6+6 a
Pardonne si, doutant de ce prodige en moi, 6+6 b
Je t'ai cherchée ailleurs, et t'ai faussé ma foi ! 6+6 b
225 Ignorant que ta loi fût seulement humaine, 6+6 a
Inopportune ailleurs qu'en notre humble domaine, 6+6 a
J'ai traité l'univers en humaine cité, 6+6 b
Quand je l'ai pour ces maux par devant toi cité. 6+6 b
Ces maux, que je nommais injustes, sont peut-être, 6+6 a
230 Non les caprices fous ou coupables d'un maître, 6+6 a
Mais de fatals moyens, seules conditions 6+6 b
D'un ordre qui nous passe ou que nous oublions. 6+6 b
Sans doute à nos souhaits se refuse la terre, 6+6 a
Comme un cercle adjuré d'être un quadrilatère ; 6+6 a
235 Ce qu'elle nie aux vœux, sa loi le lui défend. 6+6 b
L'injustice du sort est un grief d'enfant 6+6 b
Qui, malade, abhorrant la cuillerée amère, 6+6 a
La déclare nuisible et s'en prend à sa mère. 6+6 a
La douleur et la mort, sans doute il les fallait, 6+6 b
240 Pour que l'homme devînt le demi-dieu qu'il est ! 6+6 b
Le mal nous déconcerte, et pourtant qui peut dire 6+6 a
Si l'univers, où tout se repousse et s'attire, 6+6 a
Pourrait survivre avec un atome de moins 6+6 b
Ou de plus, confié, pour nous plaire, à nos soins ? 6+6 b
245 Dans nos comptoirs, pendant que le vendeur calcule 6+6 a
Et compare les poids soumis à la bascule, 6+6 a
L'acheteur défiant ne se dit pas lésé 6+6 b
Tant que monte et descend l'objet pour lui pesé ; 6+6 b
Il laisse le marchand peser en conscience, 6+6 a
250 Et l'observe, attentif, mais sans impatience, 6+6 a
Trouvant dans sa lenteur, loin d'en être irrité, 6+6 b
Un gage de prudence et de sincérité 6+6 b
Mais l'homme à la nature, où s'opère en silence 6+6 a
Un échange éternel dans une autre balance, 6+6 a
255 Réclame sans paiement un astre de son choix ; 6+6 b
Il croit, demandant compte aux soleils de leurs poids, 6+6 b
Que l'axe autour duquel ils tournent tous, ressemble 6+6 a
Au trébuchet posé sur son genou qui tremble ! 6+6 a
Dans la libration de ce grand balancier 6+6 b
260 Il exige et veut voir l'œuvre d'un justicier ; 6+6 b
Et, le jugeant lui-même, il le rend responsable 6+6 a
D'une cuisson qu'à l'œil lui cause un grain de sable ; 6+6 a
Sans comprendre, aveuglé par son menu chagrin, 6+6 b
Que l'axe eût dû fléchir pour détourner ce grain, 6+6 b
265 Que l'immense faveur, qu'il eût seul ressentie, 6+6 a
Sur des mondes sans nombre aussitôt répartie, 6+6 a
En désastres sans nombre eût du sévir contre eux. 6+6 b
L'éternité ! Pour rendre un éphémère heureux ! 6+6 b
Comme un enfant qu'on gâte aisément s'habitue 6+6 a
270 À croire qu'à ses jeux la déférence est due, 6+6 a
L'homme épargné longtemps croit son bonheur sacré ; 6+6 b
Fait au rythme des lois, il ne leur sait plus gré 6+6 b
De conduire la terre à ses fins sans secousse, 6+6 a
Car il est né depuis que sa planète est douce. 6+6 a
275 Le branle qui meut tout dans les champs étoilés 6+6 b
Vient s'amortir en elle, et, balançant ses blés, 6+6 b
Ses forêts et ses mers, expire et se compose 6+6 a
Avec un souffle d'air pour incliner la rose ; 6+6 a
Il nous berce avec elle et semble nous choyer ; 6+6 b
280 Mais pour son équilibre il nous pourrait broyer ! 6+6 b
V
Puisque ma conscience est le seul lieu du monde 6+6 a
Où sur ce qu'il me veut l'infini me réponde, 6+6 a
Puisqu'en ce lieu d'où rien ne pouvait t'arracher, 6+6 b
Je te trouve, où d'abord je t'aurais dû chercher, 6+6 b
285 Et que là seulement, je découvre, ô justice ! 6+6 a
Une assise immuable où sans peur je bâtisse, 6+6 a
J'y rentre et m'y retranche, et m'y tiens à jamais. 6+6 b
Il y fait noir, bien noir, mais je te reconnais ; 6+6 b
En tâtonnant, déjà je baise et je révère 6+6 a
290 Les deux doigts étendus de ta droite sévère ; 6+6 a
Moins sévère pourtant qu'elle n'était jadis, 6+6 b
Quand déesse de marbre, on te nommait Thémis. 6+6 b
Ta main semble aujourd'hui moins froide que la pierre : 6+6 a
Ce qui l'humecte ainsi vient-il d'une paupière ? 6+6 a
295 Et quelle onde vivante y bat et l'attendrit ? 6+6 b
N'a-t-elle pas pressé la main de Jésus-Christ ? 6+6 b
Ah ! Pour te voir, je veux, je saurai faire naître, 6+6 a
Par l'étude et l'amour, une aurore en mon être. 6+6 a
Si, hors du genre humain, tu n'es plus qu'un vain nom, 6+6 b
300 En lui du moins tu vis, qu'il t'obéisse ou non ! 6+6 b
Je te rends donc ma foi ! Qu'un captieux génie 6+6 a
M'extirpe des aveux que mon instinct renie, 6+6 a
Je ne livrerai plus au peu que je conçois 6+6 b
Tout le vrai que je sens, pour douter que tu sois ! 6+6 b
305 En vain me prouvât-on, contre tes voix intimes, 6+6 a
Que la tombe est la même aux bourreaux qu'aux victimes, 6+6 a
En vain mes appétits, de leurs iniquités 6+6 b
Par le droit au bonheur se diraient acquittés, 6+6 b
On ne croit jamais bien ce qu'on rougit de croire, 6+6 a
310 Et l'effet sur la vie en demeure illusoire ; 6+6 a
Un témoignage en nous, moins subtil et plus fort, 6+6 b
Donne à la preuve infâme invinciblement tort ! 6+6 b
C'est que, formée en nous depuis notre naissance, 6+6 a
Ta nature, ô justice ! Est notre propre essence : 6+6 a
315 Elles font, l'une et l'autre, un tel couple, en effet, 6+6 b
Que l'homme ne se sent vraiment homme et parfait, 6+6 b
En harmonie entière avec ses destinées, 6+6 a
Qu'en les tenant toujours l'une à l'autre enchaînées, 6+6 a
Et que le juste meurt, sans murmure, pour toi, 6+6 b
320 Car sans l'honneur la vie est pour lui sans emploi ! 6+6 b
Courage ! Cette nuit n'a pas été mauvaise. 6+6 a
Je me sens allégé par une sublime aise ! 6+6 a
Je n'ai pas terrassé le sphinx impérieux 6+6 b
Qui, l'ongle sur ma gorge et les yeux dans mes yeux, 6+6 b
325 Immobile et muet, m'oppresse et m'interroge ; 6+6 a
Mais, dompteur résolu, fermant sur moi la loge, 6+6 a
Devant le monstre obscur je me suis obstiné, 6+6 b
Et je reste invaincu sans avoir deviné ! 6+6 b
Car, défié, moi-même aussi je le défie : 6+6 a
330 Qu'au mystère jaloux sa dent me sacrifie ! 6+6 a
Il peut me dévorer sans ternir seulement 6+6 b
Ma foi dans la justice, éclair de diamant ! 6+6 b
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