Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
PRU_3/PRU101
René-François SULLY PRUDHOMME
La Justice
1878
PREMIÈRE PARTIE
Silence au cœur !
CINQUIÈME VEILLE
DANS L'ÉTAT
Le chercheur.
Les besoins sont, hélas !Des douleurs agressives. 6+6 a
Repu, le tigre est tendre,il lèche ses petits ; 6+6 b
Mais quand monte le fluxde ses grands appétits, 6+6 b
Il découvre en miaulantses crocs jusqu'aux gencives. 6+6 a
5 Satisfait, l'homme est doux,ses haines sont oisives ; 6+6 a
Mais quand les vrais besoinsaux conseils de bandits 6+6 b
Le poussent, maigre, au seuildes festins interdits, 6+6 b
Il montre à nu ses droitscomme des incisives. 6+6 a
Ô Lycurgue, ô Solon,vos lois sont un rempart 6+6 a
10 Que ronge nuit et jourla meute inassouvie, 6+6 b
Dont l'instinct pour sévirattend votre départ ; 6+6 a
Car dans l'espèce humaine,aux codes asservie, 6+6 b
Entre les combattantsdu champ clos de la vie 6+6 b
Vous limitez le droitsans assurer la part. 6+6 a
Une voix.
15  Les chartes naissent des discordes. 8 a
 Songe aux temps des désirs sans lois, 8 b
 Quand erraient en farouches hordes 8 a
 Les premiers hommes dans les bois ; 8 b
 Vois-les tout nus livrer bataille 8 a
20  À des animaux insoumis 8 b
 Monstrueux de forme et de taille, 8 a
 Vois-les tous entre eux ennemis. 8 b
 Aux engins de chasse et de pêche, 8 a
 Aux armes, vois-les tour à tour 8 b
25  Adjoindre le fuseau, la bêche, 8 a
 Puis le bœuf instruit au labour ; 8 b
 À la tente de peaux compare 8 a
 Le stable abri, même d'un gueux. 8 b
Le chercheur.
 Je vois l'appétit, moins fougueux, 8 b
30  Redevenir aussi barbare. 8 a
Le besoin, fondateurdes états, les détruit. 6+6 a
D'abord, dans la tribu,les mœurs patriarcales 6+6 b
Mesurent le travailaux forces inégales, 6+6 b
Et selon l'âge et l'œuvreen partagent le fruit. 6+6 a
35 Puis l'orgueil des nés,le premier mur construit, 6+6 a
La guerre, l'or conquissur les cités rivales, 6+6 b
Les trompettes d'airaindes marches triomphales, 6+6 b
Enseignent le loisir,le faste et le vain bruit. 6+6 a
Les captifs sont changésen instruments serviles 6+6 a
40 Pour féconder les champset décorer les villes, 6+6 a
Bienfaiteurs mépriséspar les vainqueurs ingrats. 6+6 a
Puis, de ses vieux tyransfamélique nourrice, 6+6 b
La plèbe arme contre euxsa haine accusatrice, 6+6 b
Ou n'a, pour les punir,qu'à se croiser les bras. 6+6 a
Une voix.
45  Elle aime mieux lutter sans trêve, 8 a
 Et d'âge en âge s'enrichir, 8 b
 Et s'éclairer, pour s'affranchir. 8 b
 Le progrès ne fait jamais grève ! 8 a
 Pendant que le victorieux 8 a
50  Déchoit, moins brave et moins robuste, 8 b
 La table des lois passe au juste, 8 b
 Et la terre aux laborieux ; 8 a
 L'échange et l'équité compensent 8 a
 Et mêlent les fruits différents ; 8 b
55  Ceux-ci labourent, ceux-là pensent, 8 a
 Tous alliés, tous conquérants ! 8 b
 Sur les castes, sur les frontières 8 a
 Les siècles passent leurs niveaux ! 8 b
Le chercheur.
 Je vois toujours mêmes rivaux : 8 b
60  Les fauves et les bestiaires. 8 a
Brute qui bats ta femmeet dis : « mort aux tyrans ! » 6+6 a
Qui ne lui parles pointsans l'appeler carogne, 6+6 b
Et, misérable roi,t'indignes sans vergogne 6+6 b
De n'être pas nommécitoyen par les grands ! 6+6 a
65 Et toi, plus insensé,né dans les premiers rangs, 6+6 a
Qui, réprouvant cet acteet ce propos d'ivrogne, 6+6 b
Trouves le meurtre en masseune noble besogne, 6+6 b
Et t'adonnes, plus vil,à des vices moins francs ! 6+6 a
Par le sang de la guerreou par le vin du bouge 6+6 a
70 Grisés comme taureauxaffolés par le rouge, 6+6 a
Qui peut croire qu'un jourvous vous embrasserez ? 6+6 a
Qui jamais abattrale rempart séculaire 6+6 b
Fait de pavés croulants,de trônes effondrés, 6+6 a
Qu'entre vous ont dresséla peur et la colère ? 6+6 b
Une voix.
75  Je sais, je sais quel souvenir 8 a
 T'obsède et t'assombrit encore : 8 b
 Le plus difficile à bannir 8 a
 Est toujours celui qu'on abhorre. 8 b
 L'histoire sans sérénité 8 a
80  N'est pourtant qu'une calomnie ; 8 b
 Vois d'assez haut l'humanité 8 a
 Pour en embrasser l'harmonie ; 8 b
 Pour y mieux juger, de moins près, 8 a
 L'ordre futur qui s'y dessine, 8 b
85  Le peuplier qui prend racine 8 b
 Et va dépasser les cyprès ; 8 a
 Pour voir enfanter la justice 8 a
 Loin des cris de l'accouchement ! 8 b
Le chercheur.
 Je doute fort qu'il aboutisse, 8 a
90  L'accoucheur y va mollement. 8 b
Au fond, posséder tout,hommes, bêtes et choses : 6+6 a
Les hommes, par le droit,la guerre, ou le discours ; 6+6 b
Les bêtes, sans pudeur,par des moyens plus courts ; 6+6 b
Les choses, par l'argentet les murailles closes ; 6+6 a
95 C'est votre but secret,bons rois maudits sans causes, 6+6 a
Doux marchands, ouvrierséquitables toujours, 6+6 b
Laboureurs, si naïfsétant nés loin des cours, 6+6 b
Penseurs amis du vrai,rêveurs amants des roses. 6+6 a
Oh ! Qui n'envie un peule trésor de Crésus, 6+6 a
100 La force de César,le charme de Jésus, 6+6 a
Tous les pouvoirs fameuxqui règnent sur le monde ? 6+6 a
Qui ne sent un désirtrop avide et trop fier 6+6 b
Égaré dans son cœur,comme au fond de la mer 6+6 b
Roule une coupe d'orsous la vase profonde ? 6+6 a
Une voix.
105  Cette coupe d'or du désir, 8 a
 Vers tous les infinis tendue, 8 b
 Nous est offerte, et nous est due, 8 b
 Car seuls nous la pouvons saisir ! 8 a
 Les siècles tour à tour y viennent. 8 a
110  Verser leur tribut au nectar 8 b
 Que font plus doux ceux qui la tiennent 8 a
 Pour ceux qui la tiendront plus tard ! 8 b
 S'il s'y mêle encore une haleine 8 a
 De fange, de sang et de fiel, 8 b
115  Devons-nous dédaigner son miel, 8 b
 Ou la renverser presque pleine ? 8 a
 Elle n'est jamais sans saveur : 8 a
 Un pleur même y devient suave ! 8 b
Le chercheur.
 Mais l'échanson, c'est un esclave ; 8 b
120  Un mtre énervé, le buveur. 8 a
 On voit des puceronsréduits en esclavage, 6+6 a
 Rassemblés en troupeauxet traits par les fourmis ; 6+6 b
 Le plus humble géniea des vaincus soumis, 6+6 b
 Et l'on devient tyrandès qu'on n'est plus sauvage. 6+6 a
125  Combien d'humains troupeaux,fruits d'un docte élevage, 6+6 a
 À qui les hauts loisirsne sont jamais permis, 6+6 b
 Et que, loin des forêts,sous le joug endormis, 6+6 b
 L'antique faim toujours,mais plus lente, ravage ! 6+6 a
 Que de peuples se sontà se polir usés ! 6+6 a
130  Nés fiers, et qu'ont rendusserviles et rusés 6+6 a
 L'intrigue aux mille rets,l'échange aux mille chnes ! 6+6 a
 Que de progrès honteuxfit la peur de la mort, 6+6 b
 Quand la paix sans amour,trêve instable des haines, 6+6 a
 Déshonorant le faibleeut désarmé le fort ! 6+6 b
Une voix.
135  Calomniateur ! Accompagne, 8 a
 Accompagne en esprit mon vol ; 8 b
 Viens voir, du haut de la montagne, 8 a
 Le labour enrichir le sol, 8 b
 Les grandes villes boire aux fleuves, 8 a
140  Et des gravois des vieilles tours 8 b
 Surgir gment les cités neuves, 8 a
 Plus florissantes tous les jours. 8 b
 L'œuvre des nobles servitudes, 8 a
 Des pactes saints que tu maudis, 8 b
145  Succède au chaos d'herbes rudes 8 a
  les fauves rôdaient jadis. 8 b
 Salut à la terre promise 8 a
  triomphe aujourd'hui l'espoir ! 8 b
Le chercheur.
 Trop d'hommes sont morts sans la voir, 8 b
150  Pour qu'un triomphe y soit de mise. 8 a
Nous prospérons ! Qu'importeaux anciens malheureux, 6+6 a
Aux hommes nés trop tôt,à qui le sort fut trtre, 6+6 b
Qui n'ont fait qu'aspirer,souffrir et dispartre, 6+6 b
Dont même les tombeauxaujourd'hui sonnent creux ! 6+6 a
155 Hélas ! Leurs descendantsne peuvent rien pour eux, 6+6 a
Car nous n'inventons rienqui les fasse rentre. 6+6 b
Quand je songe à ces morts,le moderne bien-être 6+6 b
Par leur injuste exilm'est rendu douloureux. 6+6 a
La tâche humaine est longue,et sa fin décevante : 6+6 a
160 Des générationsla dernière vivante 6+6 a
Seule aura sans tourmenttous ses greniers comblés ; 6+6 a
Et les premiers auteursde la glèbe féconde 6+6 b
N'auront pas vu courirsur la face du monde 6+6 b
Le sourire paisibleet rassurant des blés. 6+6 a
Une voix.
165  Notre sort sera misérable 8 a
 Aux yeux de nos derniers neveux ; 8 b
 Pourtant le leur, plus désirable, 8 a
 N'est jamais l'objet de nos vœux : 8 b
 C'est que les biens futurs ne peuvent 8 a
170  Nous tenter que s'ils ont des noms ; 8 b
 Les biens connus seuls nous émeuvent, 8 a
 Car seuls nous les imaginons. 8 b
 Plains les morts d'avoir fait la perte 8 a
 Du pauvre champ qu'ils ont aimé, 8 b
175  Mais non de n'avoir pas semé 8 b
 La graine après eux découverte. 8 a
 La richesse des cœurs suffit 8 a
 De tout temps à dorer la vie ! 8 b
Le chercheur.
 Cet or-là fait peu de profit 8 a
180  À la fringale inassouvie ! 8 b
Je sais donc maintenant,pour l'avoir affronté, 6+6 a
Quel monstre ancien, tapisous sa brillante robe, 6+6 b
Aux regards éblouisl'humanité dérobe, 6+6 b
Quels aveugles instinctsforment sa volonté. 6+6 a
185 Mais à voir son grand air,sa foi dans sa bonté, 6+6 a
Son rire olympiensur un infime globe, 6+6 b
Je cherche, en son cerveaumalsain, l'étrange lobe 6+6 b
siège et se nourritson orgueil indompté ; 6+6 a
J'y cherche le sinusprofond se recrute 6+6 a
190 Sous sa couronne d'orle vieux levain de brute 6+6 a
Qui fermente toujours,plèbe et tyrans, en vous. 6+6 a
Demander la justiceà cette souveraine, 6+6 b
Autant la demanderà quelque pauvre reine 6+6 b
Au bandeau de clinquant,dans une cour de fous ! 6+6 a
Une voix.
195  Dors ! Tu sentiras à l'aurore 8 a
 Je ne sais quel bien-être en toi, 8 b
 Léger, sublime et sage, éclore, 8 a
 Fait de gratitude et de foi. 8 b
 À l'air terrestre, au jour solaire 8 a
200  Ouvrant les yeux et les poumons, 8 b
 Tu laisseras le ciel te plaire 8 a
 Et tu diras encore : « aimons ! » 8 b
 Car ce monde maudit, tu l'aimes ! 8 a
 Et, si la mort s'offrait ce soir, 8 b
205  Tu renirais tous tes blasphèmes, 8 a
 Guéri de ton vain désespoir. 8 b
 On se plt à rêver qu'on sombre, 8 a
 En s'endormant sûr du réveil. 8 b
Le chercheur.
 Je crains la menace de l'ombre, 8 a
210  Mais je ne tiens plus au soleil. 8 b
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