Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
POL_1/POL25
Jean POLONIUS
Poésies
1827
RÊVERIE
Le poète est semblable à la vague agitée, 6+6 a
Tantôt touchant les cieux, tantôt précipitée 6+6 a
Au plus profond des mers ; 6 a
Sombre ou gai tour à tour, il court de songe en songe 6+6 b
5 Un souffle le relève, un autre le replonge 6+6 b
Dans les dégoûts amers. 6 a
Qu’ils sont beaux ces moments d’une double existence, 6+6 a
Où, certain de lui-même, et fier de sa puissance, 6+6 a
Son cœur suffit à peine à ses bouillants transports, 6+6 a
10 Comme un vase trop plein dont l'eau frchit les bords ; 6+6 a
Où lacs, rochers muets, forêts, vallons, rivages, 6+6 a
Tout vit, tout se revêt de pensers et d’images ; 6+6 a
Où la nature entière, aux feux de son amour, 6+6 a
Se féconde, s’anime, et l’anime à son tour ! 6+6 a
15 Comme le créateur, même avant leur naissance, 6+6 a
Entrevoyait au loin les mondes à venir, 6+6 b
Tel, avant que le chant de ses lèvres s’élance, 6+6 a
Du fond de sa pensée il voit déjà sortir 6+6 b
Les mondes que sa lyre appelle à l’existence. 6+6 a
20 De la terre de gloire où volent ses désirs, 6+6 a
A l’horizon brillant se déroulent les scènes ; 6+6 b
Il entend des concerts de louanges humaines, 6+6 b
Et son nom, noble écho d’éternels souvenirs, 6+6 a
Répété par des voix lointaines 8 b
25 Dans l’avenir des avenirs !… 8 a
Hélas ! de ces hauteurs pourquoi doit-il descendre ? 6+6 a
Pourquoi l’abandonner, élans dignes d’un dieu ? 6+6 b
Pourquoi monter comme le feu, 8 b
Pour retomber comme la cendre ? 8 a
30 C’en est fait : tout le fuit, tout s’efface a ses yeux ! 6+6 a
Tout se couvre pour lui d’un voile ténébreux. 6+6 a
Ces tableaux, dont son cœur réfléchissait l’image, 6+6 a
Terre, ciel, océan ont perdu leur langage ; 6+6 a
Et, lassé de lui-même, abattu, dégté, 6+6 a
35 Il a cessé de croire à l’immortalité ! 6+6 a
Comme un vaisseau cinglant, qui d’une mer immense 6+6 a
Fendait les flots avec orgueil, 8 b
Il a touché le fond, il a senti l’écueil 6+6 b
Où vient briser son impuissance ! 8 a
40 Pavillons déployés, et les voiles au vent, 6+6 a
Il croyait sillonner une eau sûre et profonde, 6+6 b
Et voilà qu’entra dans son cours triomphant, 6+6 a
Il s’arrête, et demeure étendu tristement 6+6 a
Dans le sable et la fange immonde. 8 b
45 Adieu rêves, projets, gloire, espoir séducteur ! 6+6 a
Ivresse du succès, plénitude du cœur ! 6+6 a
Oh ! qui les lui rendra ces nuits, ces jours sans nombre, 6+6 a
Ces temps qu’il a perdus en poursuivant une ombre ? 6+6 a
Que sert d’avoir pâli sur des livres ingrats, 6+6 a
50 Si tout ce qu’il cherchait il ne le trouve pas ? 6+6 a
Que sert de s’élever au-dessus du vulgaire, 6+6 a
Si son vol imparfait quitte à peine la terre, 6+6 a
Quand le génie altier, loin, bien loin de ses yeux, 6+6 a
Insulte à sa faiblesse, et se perd dans les cieux ? 6+6 a
55 Hélas ! il aura fui les jeux et l’allégresse, 6+6 a
Les danses, les banquets où la foule s’empresse, 6+6 a
Et pourquoi ? — pour se voir, au néant condamné, 6+6 a
Dans le commun abîme avec elle entrné ! 6+6 a
Pour aller où s’en va l’insecte errant sur l’onde, 6+6 a
60 Qu’emporte à l’océan la feuille vagabonde !… 6+6 a
Ah ! cet insecte au moins ne comprend pas son sort : 6+6 a
Sur son île flottante, il vit, il aime, il dort : 6+6 a
Cette feuille est son tout, son monde, son domaine ; 6+6 a
Il glisse, et ne sent pas le courant qui l’entraîne ;… 6+6 a
65 Mais lui ! — C’est encor peu du gouffre qui l’attend ; 6+6 a
Il le voit, le connaît, le sonde en y tombant !… 6+6 a
Muse ! fatale enchanteresse ! 8 a
C’est toi qui nous remplis de cette folle ardeur, 6+6 b
De ces désirs, mêlés de craintes et d’ivresse, 6+6 a
70 Dont le flux et reflux nous fatigue le cœur ! 6+6 b
C’est toi dont le miroir magique 8 a
Éblouit nos regards d’un reflet incertain, 6+6 b
Semblable au rayon fantastique 8 a
Que l’enfant, sur les murs où le poursuit sa main, 6+6 b
75 Voit passer mille fois et repasser en vain. 6+6 b
Eh quoi ! toujours nourrir l’ambition de plaire ! 6+6 a
Toujours peindre, sentir et penser pour autrui ! 6+6 b
Ne saurions-nous jamais perdre des yeux la terre, 6+6 a
Et, n’aimant que le beau, ne l’aimer que pour lui ? 6+6 b
80 Regarde : l’air est doux ; le jour luit, l’eau murmure ; 6+6 a
Tout sourit, et la plaine, et les monts, et les flots. 6+6 b
Le daim rumine en paix, assis dans la verdure, 6+6 a
L’écureuil court joyeux de rameaux en rameaux. 6+6 b
Vois-tu voler au loin ces groupes d’hirondelles ? 6+6 a
85 Vois-tu ces cygnes blancs, aux derniers rais du jour, 6+6 b
Nager, et, dans le lac laissant tremper leurs ailes, 6+6 a
De ses îles de saule effleurer le contour ? 6+6 b
Ils suivent sur les eaux leur ombre fugitive, 6+6 a
Ils contemplent ce ciel et si calme, et si pur ; 6+6 b
90 Sourds aux cris des enfants attroupés sur la rive, 6+6 a
Heureux d’aspirer l’air, de s’enivrer d’azur. 6+6 b
Ah ! comme eux, oublions les êtres et le monde, 6+6 a
Rêvons au bruit de l’onde, 6 a
Au souffle du zéphyr ! 6 b
95 Pourquoi ces vains travaux où notre orgueil se fonde ? 6+6 a
Il suffit, il suffit de vivre et de sentir. 6+6 b
mètre profils métriques : 6, 8, 6+6
logo du CRISCO logo de l'université