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Jean POLONIUS
Poésies
1827
RETOUR AUX MUSES
J’ai quitté les écueils de cette île enchantée 6+6 a
Où l’amour si longtemps me retint sous sa loi ; 6+6 b
Heureux ou malheureux de l’avoir désertée, 6+6 a
N’importe ! — je suis libre, et mes jours sont à moi. 6+6 b
5 Viens, mon luth ! sous mes doigts viens résonner encore ! 6+6 a
Assez, dans mes ennuis, j’oubliai tes accents ; 6+6 b
Assez tu reposas sur la plage sonore 6+6 a
Dont naguères l’écho répondait à nos chants. 6+6 b
Tant que l’amour remplit toute ma destinée, 6+6 a
10 Tu dormis, solitaire, en butte à l’aquilon ; 6+6 b
Et l’air, qui caressait ta corde abandonnée, 6+6 a
Par pitié daignait seul en réveiller le son. 6+6 b
Eh ! quoi ! me restait-il un regard pour la Muse, 6+6 a
Quand mon âme, jouet d’un orage éternel, 6+6 b
15 Était comme une mer agitée et confuse, 6+6 a
Où les vents ont troublé toute image du ciel ? 6+6 b
Dans ce flux et reflux d’espérance et de crainte, 6+6 a
De regrets et de vœux, de calme et de fureur, 6+6 b
Quel être peut encor garder la douce empreinte 6+6 a
20 De ces goûts qu’autrefois avait chéris son cœur ? 6+6 b
Quoi chanter, quand l’amour, quand la douleur déchire ! 6+6 a
Chanter, la mort dans l’âme, et les pleurs dans les yeux ! 6+6 b
Paisible spectateur de son propre délire, 6+6 a
Mesurer froidement des mots harmonieux ! 6+6 b
25 Non, ne vous vantez pas que l’amour vous enflamme, 6+6 a
S’il vous permet encor d’autres vœux, d’autres soins, 6+6 b
S’il vous laisse du temps pour épier votre âme, 6+6 a
Pour songer à la gloire et chercher des témoins. 6+6 b
Le ramier, qu’a blessé la flèche déchirante, 6+6 a
30 Ne fait pas de sa voix retentir les échos ; 6+6 b
Il se tait, et, caché sous son aile saignante, 6+6 a
Abandonne les chants au reste des oiseaux. 6+6 b
J’aimais ! — Dans ce foyer d’une ardeur solitaire, 6+6 a
Plaisirs, penchants, devoirs venaient s’anéantir ! 6+6 b
35 J’aimais ! — Ce mot lui seul était ma vie entière ; 6+6 a
Que m’importaient les noms de gloire ou d’avenir ? 6+6 b
Mais tout fuit, mais tout cède au temps qui nous entraîne ; 6+6 a
Et l’homme, qui pensait toujours verser des pleurs, 6+6 b
Découvre avec surprise, et s’avoue avec peine 6+6 a
40 Qu’il n’est point ici-bas d’éternelles douleurs. 6+6 b
Il avait cru son âme atteinte pour la vie, 6+6 a
Et, fier, il trouvait même au fond de ses chagrins 6+6 b
Un triomphe, à sentir avec plus d’énergie, 6+6 a
A souffrir plus longtemps que les autres humains. 6+6 b
45 Hélas ! il a subi la loi de la nature ; 6+6 a
Elle temps, par degrés, le tirant d’un long deuil, 6+6 b
Est venu lui ravir ce reste de pâture 6+6 a
Dont la douceur amère enivrait son orgueil. 6+6 b
Égaré dans le vide où notre âme retombe, 6+6 a
50 Quand de ses passions le feu s’est épuisé, 6+6 b
J’ai besoin de graver quelques mots sur leur tombe, 6+6 a
De peupler le désert où l’amour m’a laissé. 6+6 b
J’ai besoin de tromper l’ennui qui me dévore, 6+6 a
De redonner la vie à mes rêves perdus, 6+6 b
55 De venir contempler, fouler, sonder encore 6+6 a
Les cendres du volcan dont la flamme n’est plus. 6+6 b
Renaissez, renaissez, fugitives images, 6+6 a
Fantômes du passé, douloureux souvenirs, 6+6 b
Voluptés ou tournions, jours d’azur, jours d’orages, 6+6 a
60 Espoir, dégoûts, soupçons, doutes, regrets, désirs ! 6+6 b
Venez, venez voler à l’entour de ma lyre ! 6+6 a
Venez planer sur moi, loin du bruit et du jour ! 6+6 b
La Muse à ses genoux me rappelle et m’attire, 6+6 a
Essayons de la gloire au défaut de l’amour ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite périodique
schéma : 16(abab)
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