Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
POL_1/POL12
Jean POLONIUS
Poésies
1827
SOUVENIRS DU NORD
À M. G. P.
L’hiver règne ; son souffle | a chassé l’hirondelle ! 6+6 a
La Néva sous la glace | a resserré ses eaux ; 6+6 b
Le char court, en silence, | ou voguait la nacelle, 6+6 a
Et la roue a fait place | aux rapides traîneaux. 6+6 b
5 Quand le soleil reluit, | quand la glace éclatante 6+6 a
De ses rayons brisés | réfléchit les couleurs, 6+6 b
Et que d’un ciel d’azur | la beauté ravissante 6+6 a
Vient consoler le Nord | de l’absence des fleurs ; 6+6 b
Errant sur la Néva, | le long des eaux glacées, 6+6 a
10 Te souvient-il encor | des jours délicieux 6+6 b
Où la douce amitié, | confondant nos pensées, 6+6 a
Au bord des mêmes eaux | nous égarait tous deux ? 6+6 b
Le soleil, de la neige | éclairant l’étendue, 6+6 a
Parsemait sa blancheur | des roses du matin, 6+6 b
15 Et semblait, sous sa flamme, | animer la statue 6+6 a
De Pierre, bondissant | sur son coursier d’airain. 6+6 b
Nous admirions, au loin, | s’élançant dans les nues, 6+6 a
Les dômes, les clochers | de la ville des tzars, 6+6 b
Les guirlandes de givre | à leurs toits suspendues, 6+6 a
20 Et la foule mouvante, | et les traîneaux épars. 6+6 b
Tantôt, la lance au bras, | le Cosaque intrépide, 6+6 a
Debout, le corps penché | sur son coursier fougueux, 6+6 b
Passait comme l’éclair, | et, dans son vol rapide, 6+6 a
D’un tourbillon de neige | enveloppait nos yeux. 6+6 b
25 Tantôt venait un Russe, | à la démarche lente ; 6+6 a
À sa barbe, à ses cils, | tout blanchis de frimas, 6+6 b
On eût cru voir marcher | une image vivante 6+6 a
De l’Hiver, vieux tyran | de nos rudes climats. 6+6 b
Plus souvent, sourds au bruit, | indifférons aux scènes 6+6 a
30 Que le fleuve et la rive | offraient de toute part, 6+6 b
A nos libres pensers | abandonnant les rênes, 6+6 a
De sujets en sujets | nous volions au hasard. 6+6 b
Le jeu des histrions, | la guerre des poètes, 6+6 a
Les mille événements | des cités et des cours, 6+6 b
35 Les naissances, les morts, | les combats ou les fêtes 6+6 a
Ne venaient qu’en passant | occuper nos discours. 6+6 b
Que nous faisait l’Europe | et les riens qu’elle enfante, 6+6 a
Vain produit du moment | et de l’oisiveté ; 6+6 b
Poussière qui s’enfuit | sous la roue inconstante 6+6 a
40 Du char éblouissant | de la Frivolité ? 6+6 b
Aux rivages du Nord | la Nouveauté tardive, 6+6 a
Même avant d’aborder, | dans sa course a vieilli ; 6+6 b
Tout bruit meurt sur la plage, | ou n’est plus, s’il arrive, 6+6 a
Que l'écho d’un écho | par les vents affaibli. 6+6 b
45 Loin des rêves qu’un jour | détruit et renouvelle, 6+6 a
Loin d’un présent mobile, | incertain, passager, 6+6 b
Nos esprits s’élançaient | vers la sphère éternelle 6+6 a
De ce vrai, de ce beau | qui ne sauraient changer. 6+6 b
Nous aimions à sonder | les mystères sublimes 6+6 a
50 Qu’à l’homme, en tous les temps, | offre son propre cœur, 6+6 b
Labyrinthes obscurs, | inscrutables abîmes, 6+6 a
Dont il aime à la fois | et craint la profondeur. 6+6 b
Rarement sur leurs bords | nous trouvions la lumière ; 6+6 a
Et toujours, s’épuisant | sans s’être convertis, 6+6 b
55 Au sortir du combat, | l’un et l’autre adversaire 6+6 a
Se retrouvaient au point | dont ils étaient partis. 6+6 b
N’importe ! — Nous avions, | de notre âme engourdie, 6+6 a
Par ce choc d’un moment, | secoué la torpeur, 6+6 b
Satisfait ce besoin | de chaleur et de vie, 6+6 a
60 Qui tourmente l’esprit | aussi bien que le cœur, 6+6 b
Comme le feu secret | que le rocher recèle, 6+6 a
Nous avions fait jaillir, | par nos propres efforts, 6+6 b
Quelques pensers nouveaux, | quelque obscure étincelle, 6+6 a
Dans la nuit de nous-même | endormis jusqu’alors. 6+6 b
65 Qu’êtes-vous devenus, | volupté fugitive, 6+6 a
Entretiens confiants | du cœur avec le cœur, 6+6 b
Doux combats de l’esprit, | où mon âme inactive, 6+6 a
Comme un glaive émoussé, | retrempait sa vigueur ? 6+6 b
Chez des peuples nouveaux, | sous un ciel moins sévère, 6+6 a
70 J’ai fui comme le cygne | aux premiers vents du nord ; 6+6 b
Mais, aux lieux inconnus | où mon aile a pris terre, 6+6 a
Je n’ai pas retrouvé | l’Amitié sur le bord. 6+6 b
Trop timide, ou trop fier | pour demander au monde 6+6 a
Ce qu’on n’obtient de lui | qu’en rampant sous sa loi, 6+6 b
75 Ruisseau mystérieux, | j’ai peu mêlé mon onde 6+6 a
A l’océan troublé | qui roule autour de moi. 6+6 b
Ah ! si, fuyant jamais | le calme de l’étude, 6+6 a
Du besoin d’être ému | ton esprit tourmenté 6+6 b
S’agite sur lui-même, | et, dans sa solitude, 6+6 a
80 Appelle un champ plus vaste | à son activité ; 6+6 b
Si l’Ennui, noir démon, | spectre mélancolique, 6+6 a
A pas insidieux | près de toi se glissant, 6+6 b
Tout à coup vient t’offrir | son miroir fantastique, 6+6 a
Et t’y montrer le monde | à l’horizon brillant ; 6+6 b
85 Jette au loin, foule aux pieds | cette glace perfide ; 6+6 a
Écarte le fantôme | et ses prestiges vains, 6+6 b
Et crois qu’on est moins seul, | au sein même du vide, 6+6 a
Qu’isolé dans la foule | au milieu des humains. 6+6 b
Si tu n’es pas compris ; | si ta pensée oisive, 6+6 a
90 Comme un son sans écho, | souvent tombe et languit, 6+6 b
Tu ne la vois jamais, | errante, fugitive, 6+6 a
T'échappant malgré toi, | se perdre dans le bruit. 6+6 b
Quand ton jour est passé, | quand ta tâche est remplie, 6+6 a
Ton seuil silencieux | s’ouvre pour t’accueillir ; 6+6 b
95 Là, tu peux oublier | ce monde qui t’oublie, 6+6 a
Ou, s’il te pèse ; encor, | le maudire à loisir. 6+6 b
Mais tu n’as pas connu | cet odieux martyre 6+6 a
De suivre, par devoir, | des plaisirs que tu hais ; 6+6 b
De plier, de forcer | tes lèvres à sourire, 6+6 a
100 Quand l’ennui, malgré toi, | s’échappe de tes traits. 6+6 b
Tu n’as pas vu tes jours, | tes ans, ta vie entière, 6+6 a
Comme une eau que disperse | et dessèche le vent, 6+6 b
Sans profit, sans retour, | au souffla du vulgaire, 6+6 a
S’enfuir, s’évaporer | dans l’éternel néant. 6+6 b
105 Tu n’as pas vus souillés | par l’Ironie impure 6+6 a
Les rêves vrais ou faux, | qui charmaient ton esprit, 6+6 b
Enthousiasme, amour, | beau, vérité, nature, 6+6 a
Tout ce que l’âme enfin | cherche, admire ou chérit. 6+6 b
Et qu’importe, après tout, | qu’une tourbe ignorante 6+6 a
110 Ose outrager les dieux | que tu sers dans ton cœur, 6+6 b
Si tu ne l’entends pas, | si sa voix dénigrante 6+6 a
N’est pas là pour flétrir, | pour glacer ton ardeur ? 6+6 b
Ah ! mieux vaut le repos | et sa monotonie, 6+6 a
Qu’un mouvement sans but, | sans chaleur, sans transport ; 6+6 b
115 Mieux vaut, pour une oreille | avide d’harmonie, 6+6 a
Un silence éternel | que mille sons discords. 6+6 b
Ami, puisqu’il le faut, | suivons l’arrêt suprême ; 6+6 a
Marchons séparément | où le sort nous conduit. 6+6 b
Nos sentiers sont divers, | mais leur but est le même, 6+6 a
120 Et pour nous y guider | même étoile nous luit. 6+6 b
Que nos yeux soient fixés | vers sa douce lumière ; 6+6 a
Élevons vers le beau | nos esprits et nos cœurs : 6+6 b
À travers la vallée | où rampe le vulgaire, 6+6 a
Nous nous apercevrons | de loin sur les hauteurs. 6+6 b
125 Ainsi deux pèlerins | voyagent sur la cime 6+6 a
De deux monts que sépare | un gouffre ténébreux. 6+6 b
L’air emporte leurs voix ; | mais, à travers l’abîme, 6+6 a
De sommets en sommets, | ils se suivent des yeux. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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