Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
PEG_2/PEG14
Charles PÉGUY
La Tapisserie De Notre-Dame
1913
Présentation de la Beauce à Notre-Dame de Chartres
Étoile de la mer voici la lourde nappe 6+6 a
Et la profonde houle et l’océan des blés 6+6 b
Et la mouvante écume et nos greniers comblés, 6+6 b
Voici votre regard sur cette immense chape 6+6 a
5 Et voici votre voix sur cette lourde plaine 6+6 a
Et nos amis absents et nos cœurs dépeuplés, 6+6 b
Voici le long de nous nos poings désassemblés 6+6 b
Et notre lassitude et notre force pleine. 6+6 a
Étoile du matin, inaccessible reine, 6+6 a
10 Voici que nous marchons vers votre illustre cour, 6+6 b
Et voici le plateau de notre pauvre amour, 6+6 b
Et voici l’océan de notre immense peine. 6+6 a
Un sanglot rôde et court par-delà l’horizon. 6+6 a
À peine quelques toits font comme un archipel. 6+6 b
15 Du vieux clocher retombe une sorte d’appel. 6+6 b
L’épaisse église semble une basse maison. 6+6 a
Ainsi nous naviguons vers votre cathédrale. 6+6 a
De loin en loin surnage un chapelet de meules, 6+6 b
Rondes comme des tours, opulentes et seules 6+6 b
20 Comme un rang de châteaux sur la barque amirale. 6+6 a
Deux mille ans de labeur ont fait de cette terre 6+6 a
Un réservoir sans fin pour les âges nouveaux. 6+6 b
Mille ans de votre grâce on fait de ces travaux 6+6 b
Un reposoir sans fin pour l’âme solitaire. 6+6 a
25 Vous nous voyez marcher sur cette route droite, 6+6 a
Tout poudreux, tout crottés, la pluie entre les dents. 6+6 b
Sur ce large éventail ouvert à tous les vents 6+6 b
La route nationale est notre porte étroite. 6+6 a
Nous allons devant nous, les mains le long des poches, 6+6 a
30 Sans aucun appareil, sans fatras, sans discours, 6+6 b
D’un pas toujours égal, sans hâte ni recours, 6+6 b
Des champs les plus présents vers les champs les plus proches. 6+6 a
Vous nous voyez marcher, nous sommes la piétaille. 6+6 a
Nous n’avançons jamais que d’un pas à la fois. 6+6 b
35 Mais vingt siècles de peuple et vingt siècles de rois, 6+6 b
Et toute leur séquelle et toute leur volaille 6+6 a
Et leurs chapeaux à plume avec leur valetaille 6+6 a
Ont appris ce que c’est que d’être familiers, 6+6 b
Et comme on peut marcher, les pieds dans ses souliers, 6+6 b
40 Vers un dernier carré le soir d’une bataille. 6+6 a
Nous sommes nés pour vous au bord de ce plateau, 6+6 a
Dans le recourbement de notre blonde Loire, 6+6 b
Et ce fleuve de sable et ce fleuve de gloire 6+6 b
N’est là que pour baiser votre auguste manteau. 6+6 a
45 Nous sommes nés au bord de ce vaste plateau, 6+6 a
Dans l’antique Orléans sévère et sérieuse, 6+6 b
Et la Loire coulante et souvent limoneuse 6+6 b
N’est là que pour laver les pieds de ce coteau. 6+6 a
Nous sommes nés au bord de votre plate Beauce 6+6 a
50 Et nous avons connu dès nos plus jeunes ans 6+6 b
Le portail de la ferme et les durs paysans 6+6 b
Et l’enclos dans le bourg et la bêche et la fosse. 6+6 a
Nous sommes nés au bord de votre Beauce plate 6+6 a
Et nous avons connu dès nos premiers regrets 6+6 b
55 Ce que peut recéler de désespoirs secrets 6+6 b
Un soleil qui descend dans un ciel écarlate 6+6 a
Et qui se couche au ras d’un sol inévitable 6+6 a
Dur comme une justice, égal comme une barre, 6+6 b
Juste comme une loi, fermé comme une mare, 6+6 b
60 Ouvert comme un beau socle et plan comme une table. 6+6 a
Un homme de chez nous, de la glèbe féconde 6+6 a
A fait jaillir ici d’un seul enlèvement, 6+6 b
Et d’une seule source et d’un seul portement, 6+6 b
Vers votre assomption la flèche unique au monde. 6+6 a
65 Tour de David voici votre tour beauceronne. 6+6 a
C’est l’épi le plus dur qui soit jamais mon 6+6 b
Vers un ciel de clémence et de sérénité, 6+6 b
Et le plus beau fleuron dedans votre couronne. 6+6 a
Un homme de chez nous a fait ici jaillir, 6+6 a
70 Depuis le ras du sol jusqu’au pied de la croix, 6+6 b
Plus haut que tous les saints, plus haut que tous les rois, 6+6 b
La flèche irréprochable et qui ne peut faillir. 6+6 a
C’est la gerbe et le blé qui ne périra point, 6+6 a
Qui ne fanera point au soleil de septembre, 6+6 b
75 Qui ne gèlera point aux rigueurs de décembre, 6+6 b
C’est votre serviteur et c’est votre témoin. 6+6 a
C’est la tige et le blé qui ne pourrira pas, 6+6 a
Qui ne flétrira point aux ardeurs de l’été, 6+6 b
Qui ne moisira point dans un hiver gâté, 6+6 b
80 Qui ne transira point dans le commun trépas. 6+6 a
C’est la pierre sans tache et la pierre sans faute, 6+6 a
La plus haute oraison qu’on ait jamais portée, 6+6 b
La plus droite raison qu’on ait jamais jetée, 6+6 b
Et vers un ciel sans bord la ligne la plus haute. 6+6 a
85 Celle qui ne mourra le jour d’aucunes morts, 6+6 a
Le gage et le portrait de nos arrachements, 6+6 b
L’image et le tra de nos redressements, 6+6 b
La laine et le fuseau des plus modestes sorts. 6+6 a
Nous arrivons vers vous du lointain Parisis. 6+6 a
90 Nous avons pour trois jours quitté notre boutique, 6+6 b
Et l’archéologie avec la sémantique, 6+6 b
Et la maigre Sorbonne et ses pauvres petits. 6+6 a
D’autres viendront vers vous du lointain Beauvaisis. 6+6 a
Nous avons pour trois jours laissé notre négoce, 6+6 b
95 Et la rumeur géante et la ville colosse, 6+6 b
D’autres viendront vers vous du lointain Cambrésis. 6+6 a
Nous arrivons vers vous de Paris capitale. 6+6 a
C’est là que nous avons notre gouvernement, 6+6 b
Et notre temps perdu dans le lanternement, 6+6 b
100 Et notre liberté décevante et totale. 6+6 a
Nous arrivons vers vous de l’autre Notre-Dame, 6+6 a
De celle qui s’élève au cœur de la cité, 6+6 b
Dans sa royale robe et dans sa majesté, 6+6 b
Dans sa magnificence et sa justesse d’âme. 6+6 a
105 Comme vous commandez un océan d’épis, 6+6 a
Là-bas vous commandez un océan de têtes, 6+6 b
Et la moisson des deuils et la moisson des fêtes 6+6 b
Se couche chaque soir devant votre parvis. 6+6 a
Nous arrivons vers vous du noble Hurepoix. 6+6 a
110 C’est un commencement de Beauce à notre usage, 6+6 b
Des fermes et des champs taillés à votre image, 6+6 b
Mais coupés plus souvent par des rideaux de bois, 6+6 a
Et coupés plus souvent par de creuses vallées 6+6 a
Pour l’Yvette et la Bièvre et leurs accroissements, 6+6 b
115 Et leurs savants détours et leurs dégagements, 6+6 b
Et par les beaux châteaux et les longues allées. 6+6 a
D’autres viendront vers vous du noble Vermandois, 6+6 a
Et des vallonnements de bouleaux et de saules. 6+6 b
D’autres viendront vers vous des palais et des geôles. 6+6 b
120 Et du pays picard et du vert Vendômois. 6+6 a
Mais c’est toujours la France, ou petite ou plus grande, 6+6 a
Le pays des beaux blés et des encadrements, 6+6 b
Le pays de la grappe et des ruissellements, 6+6 b
Le pays de genêts, de bruyère, de lande. 6+6 a
125 Nous arrivons vers vous du lointain Palaiseau 6+6 a
Et des faubourgs d’Orsay par Gometz-le-Châtel, 6+6 b
Autrement dit Saint-Clair ; ce n’est pas un castel ; 6+6 b
C’est un village au bord d’une route en biseau. 6+6 a
Nous avons débouché, montant de ce coteau, 6+6 a
130 Sur le ras de la plaine et sur Gometz-la-Ville 6+6 b
Au-dessus de Saint-Clair ; ce n’est pas une ville ; 6+6 b
C’est un village au bord d’une route en plateau. 6+6 a
Nous avons descendu la côte de Limours. 6+6 a
Nous avons rencontré trois ou quatre gendarmes. 6+6 b
135 Ils nous ont regardé, non sans quelques alarmes, 6+6 b
Consulter les poteaux aux coins des carrefours. 6+6 a
Nous avons pu coucher dans le calme Dourdan. 6+6 a
C’est un gros bourg très riche et qui sent sa province. 6+6 b
Fiers nous avons longé, regardés comme un prince, 6+6 b
140 Les fossés du château coupés comme un redan. 6+6 a
Dans la maison amie, hôtesse et fraternelle 6+6 a
On nous a fait coucher dans le lit du garçon. 6+6 b
Vingt ans de souvenirs étaient notre échanson. 6+6 b
Le pain nous fut cou d’une main maternelle. 6+6 a
145 Toute notre jeunesse était là solennelle. 6+6 a
On prononça pour nous le Bénédicité. 6+6 b
Quatre siècles d’honneur et de fidéli 6+6 b
Faisaient des draps du lit une couche éternelle. 6+6 a
Nous avons fait semblant d’être un gai pèlerin 6+6 a
150 Et même un bon vivant et d’aimer les voyages, 6+6 b
Et d’avoir parcouru cent trente-et-un bailliages, 6+6 b
Et d’être accoutumés d’être sur le chemin. 6+6 a
La clarté de la lampe éblouissait la nappe. 6+6 a
On nous fit visiter le jardin potager. 6+6 b
155 Il donnait sur la treille et sur un beau verger. 6+6 b
Tel fut le premier gîte et la tête d’étape. 6+6 a
Le jardin était clos dans un coude de l’Orge. 6+6 a
Vers la droite il donnait sur un mur bocager 6+6 b
Surmonté de rameaux et d’un arceau léger. 6+6 b
160 En face un maréchal, et l’enclume, et la forge. 6+6 a
Nous nous sommes levés ce matin devant l’aube. 6+6 a
Nous nous sommes quittés après les beaux adieux. 6+6 b
Le temps s’annonçait bien. On nous a dit tant mieux. 6+6 b
On nous a fait gter de quelque bœuf en daube, 6+6 a
165 Puisqu’il est entendu que le bon pèlerin 6+6 a
Est celui qui boit ferme et tient sa place à table, 6+6 b
Et qu’il n’a pas besoin de faire le comptable, 6+6 b
Et que c’est bien assez de se lever matin. 6+6 a
Le jour était en route et le soleil montait 6+6 a
170 Quand nous avons passé Sainte-Mesme et les autres. 6+6 b
Nous avancions dé comme deux bons apôtres. 6+6 b
Et la gauche et la droite était ce qui comptait. 6+6 a
Nous sommes remontés par le Gué de Longroy. 6+6 a
C’en est fait désormais de nos atermoiements, 6+6 b
175 Et de l’iniqui des dénivellements : 6+6 b
Voici la juste plaine et le secret effroi 6+6 a
De nous trouver tout seuls et voici le charroi 6+6 a
Et la roue et les bœufs et le joug et la grange, 6+6 b
Et la poussière égale et l’équitable fange 6+6 b
180 Et la détresse égale et l’égal désarroi. 6+6 a
Nous voici parvenus sur la haute terrasse 6+6 a
Où rien ne cache plus l’homme de devant Dieu, 6+6 b
Où nul déguisement ni du temps ni du lieu 6+6 b
Ne pourra nous sauver, Seigneur, de votre chasse. 6+6 a
185 Voici la gerbe immense et l’immense liasse, 6+6 a
Et le grain sous la meule et nos écrasements, 6+6 b
Et la grêle javelle et nos renoncements, 6+6 b
Et l’immense horizon que le regard embrasse. 6+6 a
Et notre indigni cette immuable masse, 6+6 a
190 Et notre basse peur en un pareil moment, 6+6 b
Et la juste terreur et le secret tourment 6+6 b
De nous trouver tout seuls par devant votre face. 6+6 a
Mais voici que c’est vous, reine de majesté, 6+6 a
Comment avons-nous pu nous laisser décevoir, 6+6 b
195 Et marcher devant vous sans vous apercevoir. 6+6 b
Nous serons donc toujours ce peuple inconcerté. 6+6 a
Ce pays est plus ras que la plus rase table. 6+6 a
À peine un creux du sol, à peine un léger pli. 6+6 b
C’est la table du juge et le fait accompli, 6+6 b
200 Et l’arrêt sans appel et l’ordre inéluctable. 6+6 a
Et c’est le pronon du texte insurmontable, 6+6 a
Et la mesure comble et c’est le sort empli, 6+6 b
Et c’est la vie étale et l’homme enseveli, 6+6 b
Et c’est le héraut d’arme et le sceau redoutable. 6+6 a
205 Mais vous apparaissez, reine mystérieuse. 6+6 a
Cette pointe là-bas dans le moutonnement 6+6 b
Des moissons et des bois et dans le flottement 6+6 b
De l’extrême horizon ce n’est point une yeuse, 6+6 a
Ni le profil connu d’un arbre interchangeable. 6+6 a
210 C’est déjà plus distante, et plus basse, et plus haute, 6+6 b
Ferme comme un espoir sur la dernière côte, 6+6 b
Sur le dernier coteau la flèche inimitable. 6+6 a
D’ici vers vous, ô reine, il n’est plus que la route. 6+6 a
Celle-ci nous regarde, on en a bien fait d’autres. 6+6 b
215 Vous avez votre gloire et nous avons les nôtres. 6+6 b
Nous l’avons entamée, on la mangera toute. 6+6 a
Nous savons ce que c’est qu’un tronçon qui s’ajoute 6+6 a
Au tronçon déjà fait et ce qu’un kilomètre 6+6 b
Demande de jarret et ce qu’il faut en mettre : 6+6 b
220 Nous passerons ce soir par le pont et la voûte 6+6 a
Et ce fossé profond qui cerne le rempart. 6+6 a
Nous marchons dans le vent coupés par les autos. 6+6 b
C’est ici la contrée imprenable en photos, 6+6 b
La route nue et grave allant de part en part. 6+6 a
225 Nous avons eu bon vent de partir dès le jour. 6+6 a
Nous coucherons ce soir à deux pas de chez vous, 6+6 b
Dans cette vieille auberge où pour quarante sous 6+6 b
Nous dormirons tout près de votre illustre tour. 6+6 a
Nous serons si fourbus que nous regarderons, 6+6 a
230 Assis sur une chaise auprès de la fenêtre, 6+6 b
Dans un écrasement du corps et de tout l’être, 6+6 b
Avec des yeux battus, presque avec des yeux ronds, 6+6 a
Et les sourcils haussés jusque dedans nos fronts, 6+6 a
L’angle une fois trou par un seul homme au monde, 6+6 b
235 Et l’unique montée ascendante et profonde, 6+6 b
Et nous serons recrus et nous contemplerons. 6+6 a
Voici l’axe et la ligne et la géante fleur. 6+6 a
Voici la dure pente et le contentement. 6+6 b
Voici l’exactitude et le consentement. 6+6 b
240 Et la sévère larme, ô reine de douleur. 6+6 a
Voici la nudité, le reste est vêtement. 6+6 a
Voici le vêtement, tout le reste est parure. 6+6 b
Voici la pureté, tout le reste est souillure. 6+6 b
Voici la pauvreté, le reste est ornement. 6+6 a
245 Voici la seule force et le reste est faiblesse. 6+6 a
Voici l’arête unique et le reste est bavure. 6+6 b
Et la seule noblesse et le reste est ordure. 6+6 b
Et la seule grandeur et le reste est bassesse. 6+6 a
Voici la seule foi qui ne soit point parjure. 6+6 a
250 Voici le seul élan qui sache un peu monter. 6+6 b
Voici le seul instant qui vaille de compter. 6+6 b
Voici le seul propos qui s’achève et qui dure. 6+6 a
Voici le monument, tout le reste est doublure. 6+6 a
Et voici notre amour et notre entendement. 6+6 b
255 Et notre port de tête et notre apaisement. 6+6 b
Et le rien de dentelle et l’exacte moulure. 6+6 a
Voici le beau serment, le reste est forfaiture. 6+6 a
Voici l’unique prix de nos arrachements, 6+6 b
Le salaire pa de nos retranchements. 6+6 b
260 Voici la vérité, le reste est imposture. 6+6 a
Voici le firmament, le reste est procédure. 6+6 a
Et vers le tribunal voici l’ajustement. 6+6 b
Et vers le paradis voici l’achèvement. 6+6 b
Et la feuille de pierre et l’exacte nervure. 6+6 a
265 Nous resterons cloués sur la chaise de paille. 6+6 a
Et nous n’entendrons pas et nous ne verrons pas 6+6 b
Le tumulte des voix, le tumulte des pas, 6+6 b
Et dans la salle en bas l’innocente ripaille. 6+6 a
Ni les rouliers venus pour le jour du marché. 6+6 a
270 Ni la feinte colère et l’éclat des jurons : 6+6 b
Car nous contemplerons et nous méditerons 6+6 b
D’un seul embrassement la flèche sans péché. 6+6 a
Nous ne sentirons pas ni nos faces raidies, 6+6 a
Ni la faim ni la soif ni nos renoncements, 6+6 b
275 Ni nos raides genoux ni nos raisonnements, 6+6 b
Ni dans nos pantalons nos jambes engourdies. 6+6 a
Perdus dans cette chambre et parmi tant d’hôtels, 6+6 a
Nous ne descendrons pas à l’heure du repas, 6+6 b
Et nous n’entendrons pas et nous ne verrons pas 6+6 b
280 La ville prosternée au pied de vos autels. 6+6 a
Et quand se lèvera le soleil de demain, 6+6 a
Nous nous réveillerons dans une aube lustrale, 6+6 b
À l’ombre des deux bras de votre cathédrale, 6+6 b
Heureux et malheureux et perclus du chemin. 6+6 a
285 Nous venons vous prier pour ce pauvre garçon 6+6 a
Qui mourut comme un sot au cours de cette année, 6+6 b
Presque dans la semaine et devers la journée 6+6 b
Où votre fils naquit dans la paille et le son. 6+6 a
Ô Vierge, il n’était pas le pire du troupeau. 6+6 a
290 Il n’avait qu’un défaut dans sa jeune cuirasse. 6+6 b
Mais la mort qui nous piste et nous suit à la trace 6+6 b
A passé par ce trou qu’il s’est fait dans la peau. 6+6 a
Il était né vers nous dans notre Gâtinais. 6+6 a
Il commençait la route où nous redescendons. 6+6 b
295 Il gagnait tous les jours tout ce que nous perdons. 6+6 b
Et pourtant c’était lui que tu te destinais, 6+6 a
Ô mort qui fus vaincue en un premier caveau. 6+6 a
Il avait mis ses pas dans nos mêmes empreintes. 6+6 b
Mais le seul manquement d’une seule des craintes 6+6 b
300 Laissa passer la mort par un chemin nouveau. 6+6 a
Le voici maintenant dedans votre régence. 6+6 a
Vous êtes reine et mère et saurez le montrer. 6+6 b
C’était un être pur. Vous le ferez rentrer 6+6 b
Dans votre patronage et dans votre indulgence. 6+6 a
305 Ô reine qui lisez dans le secret du cœur, 6+6 a
Vous savez ce que c’est que la vie ou la mort, 6+6 b
Et vous savez ainsi dans quel secret du sort 6+6 b
Se coud et se découd la ruse du traqueur. 6+6 a
Et vous savez ainsi sur quel accent du chœur 6+6 a
310 Se noue et se dénoue un accompagnement, 6+6 b
Et ce qu’il faut d’espace et de déboisement 6+6 b
Pour laisser débouler la meute du piqueur. 6+6 a
Et vous savez ainsi dans quel recreux du port 6+6 a
Se prépare et s’achève un noble enlèvement, 6+6 b
315 Et par quel jeu d’adresse et de gouvernement 6+6 b
Se dérobe ou se fixe un illustre support. 6+6 a
Et vous savez ainsi sur quel tranchant du glaive 6+6 a
Se joue et se déjoue un épouvantement, 6+6 b
Et par quel coup de pouce et quel balancement 6+6 b
320 L’un des plateaux descend pour que l’autre s’élève. 6+6 a
Et ce que peut cter la lèvre du moqueur, 6+6 a
Et ce qu’il faut de force et de recroisement 6+6 b
Pour faire par le coup d’un seul retournement 6+6 b
D’un vaincu malheureux un malheureux vainqueur. 6+6 a
325 Mère le voici donc, il était notre race, 6+6 a
Et vingt ans après nous notre redoublement. 6+6 b
Reine recevez-le dans votre amendement. 6+6 b
Où la mort a passé, passera bien la grâce. 6+6 a
Nous, nous retournerons par ce même chemin. 6+6 a
330 Ce sera de nouveau la terre sans cachette, 6+6 b
Le château sans un coin et sans une oubliette, 6+6 b
Et ce sol mieux gra qu’un parfait parchemin. 6+6 a
Et nunc et in hora, nous vous prions pour nous 6+6 a
Qui sommes plus grands sots que ce pauvre gamin, 6+6 b
335 Et sans doute moins purs et moins dans votre main, 6+6 b
Et moins acheminés vers vos sacrés genoux. 6+6 a
Quand nous aurons joué nos derniers personnages, 6+6 a
Quand nous aurons po la cape et le manteau, 6+6 b
Quand nous aurons je le masque et le couteau, 6+6 b
340 Veuillez vous rappeler nos longs pèlerinages. 6+6 a
Quand nous retournerons en cette froide terre, 6+6 a
Ainsi qu’il fut prescrit pour le premier Adam, 6+6 b
Reine de Saint-Chéron, Saint-Arnould et Dourdan, 6+6 b
Veuillez vous rappeler ce chemin solitaire. 6+6 a
345 Quand on nous aura mis dans une étroite fosse, 6+6 a
Quand on aura sur nous dit l’absoute et la messe, 6+6 b
Veuillez vous rappeler, reine de la promesse, 6+6 b
Le long cheminement que nous faisons en Beauce. 6+6 a
Quand nous aurons quitté ce sac et cette corde, 6+6 a
350 Quand nous aurons tremblé nos derniers tremblements, 6+6 b
Quand nous aurons raclé nos derniers raclements, 6+6 b
Veuillez vous rappelez votre miséricorde. 6+6 a
Nous ne demandons rien, refuge du pécheur, 6+6 a
Que la dernière place en votre Purgatoire, 6+6 b
355 Pour pleurer longuement notre tragique histoire, 6+6 b
Et contempler de loin votre jeune splendeur. 6+6 a
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