Métrique en Ligne
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C = clitique
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F = "e" féminin
| = césure
PDE_1/PDE9
corpus Pamela Puntel
Joseph POISLE-DESGRANGES
PENDANT L’ORAGE
POÈMES NATIONAUX ET HISTORIQUES
1871
UN DEUIL
AUX MÈRES DE FAMILLE
Un deuil !… Est-ce la guerre ? — Oh ! je n’essaîrai pas 6+6 a
D’en tracer les horreurs en suivant tous ses pas. 6+6 a
Chassons loin de nos yeux le tableau de la guerre ; 6+6 b
Il germe d’autres maux sans celui-là sur terre ; 6+6 b
5 Car la vie ici-bas est un long jour de deuil, 6+6 a
Commençant au berceau pour finir au cercueil. 6+6 a
la joie et la douleur fort souvent ne font qu’une 6+6 b
Hier on conduisait vers la fosse commune 6+6 b
Le corps d’un pauvre, hélas ! couvert d’un sombre drap ; 6+6 a
10 La mort l’avait atteint… Elle vous atteindra, 6+6 a
Riches qui vous croyez les potentats du monde ; 6+6 b
C’est en vain qu’on la fuit, c’est en vain qu’on la fronde : 6+6 b
Nul ne peut échapper à ses suprêmes lois ; 6+6 a
La mort tient dans sa main tous les sceptres des rois ; 6+6 a
15 Les briser tour à tour voilà son jeu de reine ; 6+6 b
Car elle est leur arbitre et notre souveraine. 6+6 b
Le riche la redoute et maudit ses décrets, 6+6 a
Le pauvre attend la mort sans craindre ses arrêts ; 6+6 a
Il se sent déchargé du poids de la misère, 6+6 b
20 Et trouve fort léger le sapin de sa bière. 6+6 b
Mais le convoi du pauvre en route est triste à voir : 6+6 a
On dirait que la gêne emprunta le drap noir ; 6+6 a
Le char a pour emblème une pâle comète, 6+6 b
Il est long, disloqué comme un hideux squelette ; 6+6 b
25 On craint qu’au moindre choc il verse de côté, 6+6 a
Et qu’un dernier malheur frappe la pauvreté. 6+6 a
Délaissée en chemin on sait qu’elle est réduite 6+6 b
A s’en aller parfois sans parents à sa suite ; 6+6 b
L’honnête homme qui part sans léguer aucun bien 6+6 a
30 Derrière son cercueil n’a pas toujours un chien ; 6+6 a
Il était seul a monde, et nul ne l’accompagne. 6+6 b
Heureux celui qui meurt en disant : « Ma compagne 6+6 b
Connut tout mes chagrins ; elle essuya mes pleurs ; 6+6 a
Sur ma tombe elle ira déposer quelques fleurs… » 6+6 a
35 Mon récit n’est pas gai, tristement je l’aborde 6+6 b
Sans vouloir cependant prolonger mon exorde, 6+6 b
Et si vous préférez que l’on parle pour moi, 6+6 a
La femme du défunt vous peindra son émoi : 6+6 a
« Pauvre homme !… il n’est plus là pour appeler Thérèse ; 6+6 b
40 Je me désole… et lui dort au Père-Lachaise 6+6 b
Ah ! si dans ma douleur je savais m’exprimer, 6+6 a
Je vous dirais combien mon mari sut m’aimer ! 6+6 a
Nous n’étions pas de gens façonnant une phrase ; 6+6 b
Mais nos cœurs réunis se parlaient sans emphase. 6+6 b
45 Notre fortune était celle de l’ouvrier : 6+6 a
Du chêne, des outils, un simple mobilier. 6+6 a
Tandis que le robot amincissait les planches, 6+6 b
De l’habit décousu je rajustais les manches ; 6+6 b
Nous savions travailler. En aucun temps chez nous 6+6 a
50 La discorde ne vint séparer les époux. 6+6 a
De la sobriété Gustave était l’emblème : 6+6 b
Point de défauts chez lui que je n’eusse moi-même, 6+6 b
Or faillait-il s’en plaindre ? Un seul les dominait, 6+6 a
Celui de la lecture. A toute heure il tenait 6+6 a
55 Un livre dans ses mains. Dieu, qu’il aimait à lire ! 6+6 b
C’était sa passion de chercher à s’instruire. 6+6 b
Contre l’humanité sa bouche était sans fiel ; 6+6 a
Il disait qu’un bon livre est un présent du ciel, 6+6 a
Que l’homme vit heureux quand au bien il s’applique. 6+6 b
60 Je ne sais s’il servait vraiment la République, 6+6 b
Il ne m’a jamais dit qu’il fût républicain ; 6+6 a
Mais il aimait son Dieu, sa femme et son prochain. 6+6 a
Son cœur était honnête, et sa vie exemplaire ; 6+6 b
Je lui plaisais toujours sans chercher à lui plaire. 6+6 b
65 Modestes dans nos goûts, nous ne possédions rien 6+6 a
Qui ne fût, sans partage, et le mien et le sien. 6+6 a
Il n’avait usurpé qu’un seul bien de famille ; 6+6 b
Je disais : — Notre enfant, et lui disait : — Ma fille !… 6+6 b
Mais qui l’aimait le mieux, je l’ignore… L’enfant 6+6 a
70 Par Dieu nous fut offert comme un tardif présent, 6+6 a
Après bien des étés, quand le givre est sur l’arbre. 6+6 b
Mais qu’importe l’hiver ! le cœur n’est pas de marbre, 6+6 b
Et le nôtre prouva qu’il était jeune encor. 6+6 a
Pour Gustave, un enfant, ah ! ce fut un trésor ! 6+6 a
75 Sa fille !… Il la plaça lui-même dans les langes ; 6+6 b
A deux ans elle avait le sourire des anges ! 6+6 b
Et c’est, hélas ! mon Dieu ! pour la mettre au tombeau 6+6 a
Qu’un ange un jour la prit au bord de son berceau. 6+6 a
Nous étions en janvier, durant l’été de siège ; 6+6 b
80 Le vent chassait la pluie et la changeait en neige ; 6+6 b
Ma petite Stella disait : « Maman, j’ai faim !… » 6+6 a
Gustave était de garde… et nous manquions de pain ; 6+6 a
S’en procurer sur l’heure était chose impossible, 6+6 b
Le seuil des boulangers n’était plus accessible ; 6+6 b
85 Car on faisait la queue aux portes des marchands. 6+6 a
Dès l’aube on s’y foulait par un froid des plus grands. 6+6 a
L’homme jette à la femme en tous les temps la blâme ; 6+6 b
Mais Dieu sait, de nos jours, ce qu’a souffert la femme ! 6+6 b
Pendant que nos maris veillaient sur les remparts, 6+6 a
90 De tourments nous avions aussi nos bonnes parts : 6+6 a
Il nous fallait rester en plein vent, dans la rue, 6+6 b
Pour n’avoir quelquefois qu’un morceau de morue. 6+6 b
Les marchands nous laissaient nous morfondre dehors ! 6+6 a
Et pendant ce temps-là passaient au loin les morts… 6+6 a
95 Les convois se suivaient ; après l’un venait l’autre. 6+6 b
Les enfants mouraient tous… Nous garderons le nôtre, 6+6 b
Soupirais-je un matin, il ne périra pas… 6+6 a
Le soir ma fille était aux portes du trépas : 6+6 a
J’accours pour l’embrasser… O ciel !… la variole 6+6 b
100 Avait changé ses traits… Je pousse un cri de folle : 6+6 b
Mon enfant !… Parle-moi ! Regarde ! Me voilà !… 6+6 a
Rien !… J’arrivai trop tard !… Et je perdis Stella… 6+6 a
Plus d’enfant, de baisers à cueillir sur sa bouche ! 6+6 b
Un cadavre glacé sur une froide couche. 6+6 b
105 Ah ! ma fille, avec toi prends-moi dans le tombeau !… 6+6 a
Gustave entra… Du lit je tirai le rideau. 6+6 a
Pauvre père ! il me vit troublée et chancelante, 6+6 b
Et dans ses bras ouverts ne me jetai tremblante. 6+6 b
Ma douleur le surprit et le rendit muet, 6+6 a
110 Puis il lut dans mes yeux l’aveu qui me tuait. 6+6 a
Alors il frissonna… Sa face devint pâle 6+6 b
— Pourquoi ? s’écria-t-il, ah ! pourquoi donc la balle 6+6 b
Qui frappa près de moi Regnault1 au champ d’honneur, 6+6 a
N’a-t-elle pas atteint du premier coup mon cœur ?… 6+6 a
115 Là-bas ! à Buzenval, je serais mort en brave, 6+6 b
Ici, Thérèse, ici !… — Que vois-tu donc, Gustave ? 6+6 b
— J’aperçois sur le lit que tu cachas… la croix 6+6 a
Qui me dit : Désormais vous ne serez plus trois ; 6+6 a
Ici n’habiteront que le père et la mère, 6+6 b
120 L’enfant ira chercher sa couche au cimetière 6+6 b
Mon Dieu ! vous m’avez pris mon bonheur aujourd’hui ; 6+6 a
Il est vrai que le pauvre, hélas ! n’a rien à lui !… 6+6 a
Un logis sans enfant, c’est la terre déserte ; 6+6 b
C’est un champ sans épis, c’est une cage ouverte. 6+6 b
125 Gustave près de moi ne pouvait plus rester ; 6+6 a
Car tout dans la maison, tout semblait l’attrister. 6+6 a
La lecture pour lui n’avait plus aucun charme. 6+6 b
De ses yeux je voyais souvent fondre une larme. 6+6 b
Son deuil fut si profond, il me parut si noir, 6+6 a
130 Que je voulus un jour rompre son désespoir : 6+6 a
— Dis-moi, mon cher Gustave, où réside ton âme ? 6+6 b
Est-elle encore à moi ?… Je suis toujours ta femme !… 6+6 b
— Mon amie, reprit-il, n’habite plus mon corps, 6+6 a
Qui lui-même bientôt s’en ira chez les morts. 6+6 a
135 Qu’ai-je besoin de vivre ? A quoi puis.je prétendre ? 6+6 b
Je n’avais qu’un enfant, la morts sut me le prendre ! 6+6 b
Je n’avais qu’un fusil pour défendre Paris, 6+6 a
Et Paris est vaincu sans qu’il ait été pris. 6+6 a
Je sais que les Prussiens entreront dans la ville, 6+6 b
140 Que Paris est livré !… Toute arme est inutile 6+6 b
A qui ne s’en sert plus ; elle est comme l’outil 6+6 a
Qui se rouille à dormir… J’ai rompu mon fusil, 6+6 a
et ses fragments épars sont restés dans la plaine. 6+6 b
Je l’ai brisé de rage… Et j’en ai de la peine ; 6+6 b
145 Car j’aimais mon pays !… Le jour où je saurai 6+6 a
Que l’ennemi viendra… Thérèse, je mourrai… 6+6 a
Il le sut, prit le lit et n’eut qu’un jour la fièvre. 6+6 b
Le soir, le mot patrie expira sur sa lèvre ; 6+6 b
Puis il me dit tout bas : « Prends le calendrier… 6+6 a
150 Je meurs !… C’est aujourd’hui le vingt-huit février… » 6+6 a
Le lendemain, grand deuil partout, jusqu’aux croisées : 6+6 b
Les prussiens pénétraient dans les Champs-Élysées… 6+6 b
Jeune peintre d’un grand mérite, tué le 19 janvier devant le parc de Buzenval. Henri Regnault était le fils du directeur de la manufacture de Sèvres.
mètre profil métrique : 6+6
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