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Évariste de PARNY
Œuvres complètes
tome I
1775-1806
JAMSEL
ANECDOTE HISTORIQUE
Jeune, sensible, et né pour les vertus, 4+6 a
Jamsel aimait comme onl'on n'aime plus, 4+6 a
Et d'Euphrosine il fixa la tendresse. 4+6 a
D'un prompt hymen ils nourrissaient l'espoir, 4+6 b
5 Et chaque jour ils pouvaient se revoir. 4+6 b
Seuls une fois, dans un instant d'ivresse, 4+6 a
Troublés tous deux, éperdus, entraînés, 4+6 a
Par le bonheur ils se sont enchaînés. 4+6 a
Ton souvenir fera couler des larmes, 4+6 a
10 Premier baiser, délice d'un moment, 4+6 b
Et dans leur cœur où pénètrent tes charmes 4+6 a
Tu laisseras un long embrasement ! 4+6 b
Souvent leur bouche implora l'hyménée : 4+6 a
Mais sans pitié l'on repoussa leurs vœux 4+6 b
15 Belle Euphrosine, une mère obstinée, 4+6 a
Pour enrichir un fils ambitieux, 4+6 b
T'avait d'avance au cloître condamnée. 4+6 a
Les lois voyaient et n'osaient prévenir 4+6 a
Ces attentats ; il fallut obéir. 4+6 a
20 De son amant à jamais séparée, 4+6 a
Dans ces tombeaux creusés au nom du ciel 4+6 b
Vivante encore elle fut enterrée, 4+6 a
Tomba sans force aux marches de l'autel, 4+6 b
Et prononça son malheur éternel. 4+6 b
25 A son ami plongé dans la tristesse 4+6 a
Le monde en vain offrait tous les secours, 4+6 b
Tous les plaisirs que cherche la jeunesse, 4+6 a
Les jeux, les arts, de nouvelles amours : 4+6 b
Rien ne distrait sa montre inquiétude ; 4+6 a
30 Pour lui le monde est une solitude. 4+6 a
Moins misérable on peint le voyageur 4+6 a
Sur des rochers poussé par le naufrage : 4+6 b
Privé des siens, seul dans ce lieu sauvage, 4+6 b
Il s'épouvante et pâlit de frayeur ; 4+6 a
35 Des pas de l'homme il cherche et craint la trace, 4+6 a
Et sur le roc il monte avec effort ; 4+6 b
Il ne voit rien, n'entend rien ; tout est mort ; 4+6 b
Silence affreux ! d'effroi son cœur se glace ; 4+6 a
Vers le rivage il revient promptement ; 4+6 c
40 Son œil encor parcourt avidement 4+6 c
Des flots calmés la lointaine surface ; 4+6 a
Mais le rivage et les flots sont déserts, 4+6 a
Et ses longs cris se perdent clans les airs. 4+6 a
Jamsel enfin en pleurant se rappelle 4+6 a
45 Qu'un tendre père et qu'un ami fidèle, 4+6 a
Sacrifiés jusqu'alors à l'amour, 4+6 a
Depuis long-temps demandent son retour ; 4+6 a
« J'irai, dit-il ; peut-être que leur vue 4+6 a
Adoucira le poison qui me tue ; 4+6 a
50 De ma faiblesse ils seront le soutien, 4+6 a
Et dans leur cœur j'épancherai le mien, 4+6 a
Comme un torrent au lugubre murmure, 4+6 a
Qui, tout-à-coup enflé par l'aquilon, 4+6 b
Dans le bassin où dort une onde pure 4+6 a
55 Va de ses flots verser le noir limon. » 4+6 b
Jamsel retourne aux lieux qui l'ont vu naître. 4+6 a
Il croit en vain dans ce séjour champêtre 4+6 a
Calmer son âme, et respirer la paix. 4+6 a
La solitude augmente ses regrets. 4+6 a
60 Ni le printemps, ni les parfums de Flore, 4+6 a
Ni la douceur du baiser paternel, 4+6 b
Ni l'amitié plus consolante encore, 4+6 a
Rien n'effaçait un souvenir cruel. 4+6 b
Un noir chagrin lentement le dévore. 4+6 a
65 De temps en temps son orgueil abattu 4+6 a
Se relevait honteux de sa faiblesse, 4+6 b
Dans les écrits où parle la sagesse 4+6 b
Il veut puiser la force et la vertu. 4+6 a
Hélas ! son œil en parcourait les pages ; 4+6 a
70 Mais son esprit inattentif, errant, 4+6 b
Volait ailleurs, et de tendres images 4+6 a
Le replongeaient dans un trouble plus grand. 4+6 b
Si quelquefois un ami lui rappelle 4+6 a
De ses aïeux le rang et la valeur, 4+6 b
75 Aux mots sacrés de patrie et d'honneur 4+6 b
Il se réveille ; une fierté nouvelle 4+6 a
Dans ses regards remplace la langueur, 4+6 b
Et peint son front d'une heureuse rougeur. 4+6 b
D'un joug honteux ce moment le délivre, 4+6 a
80 Il a vaincu sans doute, et va revivre 4+6 a
Pour l'honneur seul ? Non, ce noble transport 4+6 a
De sa faiblesse est le dernier effort ; 4+6 a
Et l'amitié, qui ne peut se résoudre 4+6 a
A délaisser l'insensé qui la fuit 4+6 b
85 Voit succéder le silence et la nuit 4+6 b
A cet éclair qui p. omettait la foudre. 4+6 a
Se trouve-t-il dans un cercle nombreux ? 4+6 a
Seul il conserve un air morne et farouche ; 4+6 b
Des mots sans suite échappent de sa bouche, 4+6 b
90 Entrecoupés de soupirs douloureux. 4+6 a
Les entretiens l'obsèdent ; rien ne frappe 4+6 a
Ses yeux distraits ; sans voix, et sans couleur, 4+6 b
Long-temps il garde un silence rêveur ; 4+6 b
Puis tout-à-coup il frissonne, il s'échappe, 4+6 a
95 Et va des bois chercher la profondeur. 4+6 b
Infortuné ! si l'amour t'abandonne, 4+6 a
D'autres plaisirs peuvent te consoler. 4+6 b
Vois-tu les fleurs dont l'arbre se couronne ? 4+6 a
Sur ces prés verts vois-tu l'onde couler ? 4+6 b
100 Des vastes champs observe la culture, 4+6 a
Du jeune pâtre écoute les chansons, 4+6 b
Suis la vendange et les riches moissons ; 4+6 b
Homme égaré, reviens à la nature. 4+6 a
Mais la nature est muette à ses yeux. 4+6 a
105 Aux prés fleuris sa tristesse préfère 4+6 b
Un sol aride, un rocher solitaire, 4+6 b
Et des cyprès le deuil silencieux. 4+6 a
L'ombre survient ; la lune renaissante 4+6 a
Lui prête en vain sa lueur bienfaisante 4+6 a
110 Pour retourner au toit accoutumé ; 4+6 a
Sur le rocher pensif il se promène ; 4+6 b
Puis sur la pierre il s'étend avec peine, 4+6 b
Pâle, sans force, et d'amour consumé. 4+6 a
Si du sommeil la douceur étrangère 4+6 a
115 Vient un moment assoupir ses douleurs, 4+6 b
Un songe affreux le saisit, et des pleurs, 4+6 b
Des pleurs brûlans entr'ouvrent sa paupière. 4+6 a
Le jour paraît, il déteste le jour ; 4+6 a
La nuit revient, il maudit son retour. « 4+6 a
120 J'ai tout perdu, tout, jusqu'à l'espérance, 4+6 a
Dit-il enfin ; pleurer, voilà mon sort. 4+6 b
Oh, malheureux ! à ma longue souffrance 4+6 a
Je ne vois plus de terme que la mort. 4+6 b
Pourquoi l'attendre ? y courir, est-ce un crime ? 4+6 a
125 Non, sur mes jours, mon droit est légitime. 4+6 a
Faible sophiste, insensé discoureur, 4+6 a
Peux-tu défendre au triste voyageur, 4+6 a
Qu'un ciel brûlant désséche dans la plaine, 4+6 a
De chercher l'ombre et la forêt prochaine ? 4+6 a
130 Qu'un soldat reste au poste désigné ; 4+6 a
Sa main tranquille a signé l'esclavage 4+6 b
Et de ses droits il a vendu l'usage ; 4+6 b
Moi, je suis libre, et je n'ai rien signé ; 4+6 a
Mourons. » Il dit, et sa main intrépide, 4+6 a
135 Sans hésiter, prend le tube homicide ; 4+6 a
Le plomb s'échappe et finit ses tourmens. 4+6 a
Son ami vient ; ô douloureux momens ! 4+6 a
Mais de son cœur étouffant le murmure, 4+6 a
D'un blanc mouchoir il couvre la blessure. 4+6 a
140 Soin superflu ! Jamsel, en soupirant, 4+6 a
Sur cet ami soulève un œil mourant 4+6 a
Qui se referme, et d'une voix éteinte : 4+6 a
« Je meurs, dit-il, sans remords et sans crainte. 4+6 a
Assez long-temps j'ai supporté le jour. 4+6 a
145 Pardonne-moi ; je ne pouvais plus vivre. 4+6 b
Donne à l'objet de mon funeste amour 4+6 a
Ce voile teint d'un sang… » Il veut poursuivre ; 4+6 b
Sa bouche à peine exhale un son confus : 4+6 a
Chère Euphrosine ! il soupire, et n'est plus. 4+6 a
150 Loin de ces lieux, sa malheureuse amie, 4+6 a
Que fatiguait le fardeau de la vie, 4+6 a
Au ciel en vain se plaignait de son sort, 4+6 a
Et demandait le repos ou la mort. 4+6 a
De ses chagrins son air trahit la cause. 4+6 a
155 Ce n'était plus la beauté dans sa fleur. 4+6 b
Les longs ennuis, l'amour, et la langueur, 4+6 b
Sur son visage avaient pâli la rose : 4+6 a
En la peignant, on eût peint la douleur. 4+6 b
De sa tristesse on ose faire un crime. 4+6 a
160 Loin de la plaindre, on hâte le moment 4+6 b
Où du malheur cette faible victime 4+6 a
Dans le trépas rejoindra son amant. 4+6 b
Entre ses mains un messager fidèle. 4+6 a
Vient déposer le voile ensanglanté. 4+6 b
165 Elle frissonne, et recule, et chancelle. » 4+6 a
Il ne vit plus, mon arrêt est porté, » 4+6 b
Dit-elle ensuite ; et sa plainte touchante, 4+6 a
Et ses regards se tournent vers le ciel ; 4+6 b
Et tout-à-coup sa bouche impatiente 4+6 a
170 De cent baisers couvre ce don cruel. 4+6 b
Tous ses malheurs vivement se retracent 4+6 a
A son esprit ; des pleurs chargent ses yeux ; 4+6 b
Mais elle craint que ses larmes n'effacent 4+6 a
D'un sang chéri le reste précieux. « 4+6 b
175 Sans moi, Jamsel, pourquoi quitter la vie ? 4+6 a
Dit-elle enfin d'une voix affaiblie. 4+6 a
Mais attends-moi, je ne tarderai pas : 4+6 a
On aime encore au-delà du trépas. » 4+6 a
Ce dernier coup, et de si longues peines, 4+6 a
180 Ont épuisé ses forces ; par degrés 4+6 b
Le froid mortel se glisse dans ses veines ; 4+6 a
La clarté fuit de ses yeux égarés. 4+6 b
« Dieu de bonté, fais grâce à ma faiblesse ! » 4+6 a
Après ces mots, sur sa bouche elle presse 4+6 a
185 Le lin sanglant, nomme encore Jamsel, 4+6 a
Tombe, et s'endort du sommeil éternel. 4+6 a
mètre profil métrique : 4+6
forme globale type : suite de strophes
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