Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
PAR_1/PAR109
Évariste de PARNY
Œuvres complètes
tome I
1775-1806
LE VOYAGE DE CÉLINE
« La nuit s'écoule, et vainement 8 a
J'attends l'ingrat qui me délaisse. 8 b
Quelle froideur dans un amant ! 8 a
Quel outrage pour ma tendresse ! 8 b
5 Hélas ! l'hymen fait mon malheur ; 8 c
Libre enfin, jeune encore et belle, 8 d
J'aimai, je connus le bonheur ; 8 c
Et voilà Dorval infidèle ! 8 d
Chez un peuple sensible et bon, 8 e
10 Si noble et si galant, dit-on, 8 e
Combien les femmes sont à plaindre ! 8 f
L'hymen, l'amour, l'opinion, 8 e
Les lois même, il leur faut tout craindre 8 f
Trop heureux ce monde lointain, 8 g
15 Fidèle encore à la nature, 8 h
Où l'amour est sans imposture, 8 h
Sans froideur, sans trouble et sans fin ! » 8 g
Pendant cette plainte chagrine, 8 i
Du jour tombe le vêtement, 8 a
20 Et sur le duvet tristement 8 a
Se penche la jeune Céline. 8 i
Un propice habitant du ciel, 8 j
Connu de la Grèce païenne, 8 k
Une substance aérienne 8 k
25 Que là-haut on nomma Morphel, 8 j
Descend, l'emporte, et la dépose 8 l
Dans ce désert si bien chanté, 8 m
Sur ces joncs si fameux qu'arrose 8 l
Le Mississipi tant vanté. 8 m
30 Des vrais amours c'est le théâtre. 8 n
Heureuse Céline ! en marchant, 8 a
La ronce et le caillou tranchant 8 a
Ensanglantent tes pieds d'albâtre ; 8 n
Mais ils sont vierges ces cailloux, 8 o
35 Vierges ces ronces ; quel délice ! 8 p
Vierge encore est ce précipice : 8 p
Pourquoi fuir un danger si doux ? 8 o
Dans ce moment vers notre belle 8 d
Un homme accourt ; noir, sale et nu, 8 q
40 Debout il reste devant elle, 8 d
Et regarde : cet inconnu 8 q
Est un sauvage véritable, 8 r
Étranger aux grands sentimens, 8 s
Bien indigène, et peu semblable 8 r
45 Aux sauvages de nos romans. 8 s
Je t'épouse, mais rien ne presse ; 8 b
En attendant, prends sur ton dos 8 t
Ces outils, ces pieux et ces paux ; 8 t
Double ta force et ton adresse. 8 b
50 Au pied de ce coteau lointain 8 g
Cours vite, choisis bien la place, 8 v
Et bâtis ma hute ; demain 8 g
Je te rejoins, et de ma chasse 8 v
Pour moi tu feras un festin : 8 g
55 Je pourrai t'en livrer les restes 8 w
Bonsoir ; bannis cet air chagrin, 8 g
Et relève ces yeux modestes : 8 w
Tu le vois, ton maître est humain. » 8 g
Qu'en dites-vous, jeune Céline ? 8 i
60 Rien ; elle pleure, et de Morphel 8 j
Fort à propos l'aile divine 8 i
L'emporte sous un autre ciel. 8 j
La voilà planant sur les îles 8 x
De ce pacifique océan, 8 y
65 Qui ne l'est plus, quand l'ouragan 8 y
Vient fondre sur les flots tranquilles, 8 x
Ce qu'il fait souvent, comme ailleurs. 8 z
De vingt peuplades solitaires 8 a
Elle observe les lois, les mœurs, 8 z
70 Et surtout les galans mystères ; 8 a
Mystères ? non pas ; leur amour 8 b
A la nuit préfère le jour. 8 b
Céline, en détournant la vue : « 8 c
L'innocence est aussi trop nue, 8 c
75 Trop cynique ; ces bonnes gens, 8 s
Moins naturels, seraient plus sages. 8 d
A l'Amour quels tristes hommages ! 8 d
Les malheureux n'ont que des sens. 8 s
Quoi ! jamais de jalouses craintes ? 8 e
80 Jamais de refus ni de plaintes ? 8 e
Point d'obstacles, point d'importuns ? 8 f
La rose est ici sans piqûre, 8 h
Mais sans couleur et sans parfums. 8 f
Un peu d'art sied à la nature ; 8 h
85 Oui, sur l'étoffe de l'amour 8 b
Elle permet la broderie. 8 g
Adieu donc, adieu sans retour 8 b
A toute la sauvagerie, 8 g
Bonne dans les romans du jour. » 8 b
90 Hélas ! elle n'en est pas quitte,' 8 h
Et se trouve, non sans regrets, 8 i
Parmi les nouveaux Zélandais. 8 i
La peuplade qu'elle visite 8 h
D'une zagaie arme sa main, 8 g
95 Y joint une hache pesante, 8 j
Et marche fière et menaçante 8 j
Contre le repaire voisin. 8 g
Femmes, enfans, et leurs chiens même, 8 k
Tout combat, l'ardeur est extrême, 8 k
100 Chez Céline extrême la peur. 8 c
Les siens sont battus ; le vainqueur 8 c
Saisit sa belle et douce proie ; 8 l
Il touche, en grimaçant de joie, 8 l
La jambe, les mains et les bras ; 8 m
105 Il touche aussi la gorge nue, 8 c
Et dit : « Elle est jeune et dodue ; 8 c
Pour nous quel bonheur, quel repas ! » 8 m
Elle frémit, et sur sa tête, 8 n
Ses cheveux se dressent ; Morphel 8 j
110 Dérange ce festin cruel ; 8 j
En Chine elle fuit et s'arrête. 8 n
Près d'elle passe un Mandarin, 8 g
Qui la voit, l'emmène et l'épouse. 8 o
Il n'aimait pas ; mais à Pékin 8 g
115 L'indifférence est très jalouse. 8 o
Céline d'un brillant palais 8 i
Devient la reine ; hélas ! que faire, 8 p
Dans un grand palais solitaire, 8 p
D'une royauté sans sujets ? 8 i
120 D'honneurs lointains on l'environne, 8 q
A ses beaux yeux à peine on donne 8 q
Du jour quelques faibles rayons, 8 r
Et dans le fer on emprisonne 8 q
La blancheur de ses pieds mignons. 8 r
125 L'époux du moins est-il fidèle ? 8 d
Touche-t-il à ce doux trésor, 8 s
Et sait-il que sa femme, est belle ? 8 d
Point ; il achète au poids de l'or 8 s
Une guenon et pis encor. 8 s
130 Bon Morphel, hâtez-vous ; Céline 8 i
Jamais n'habitera la Chine. 8 i
Il est sans doute moins-jaloux, 8 o
Et plus brave il sera plus doux, 8 o
Le fier et vagabond Tartare, 8 t
135 Vainqueur des Chinois si rusés, 8 u
Si nombreux, et nommé barbare 8 t
Par ces fripons civilisés. 8 u
D'une cabane solitaire 8 p
S'approche la belle étrangère ; 8 p
140 Elle entre ; quoi ! point d'habitans ? 8 s
Vient un jeune homme, en trois instans 8 s
Elle est amante, épouse, mère : 8 p
En voyage on abrége tout. 8 v
Plaignons cette mère nouvelle. » 8 d
145 Du ménage le soin t'appelle, 8 d
Dit son Tartare ; allons, debout ! » 8 v
Elle se lève, il prend sa place, 8 v
Hume le julep efficace, 8 v
Avale un bouillon succulent, 8 a
150 Puis un autre, craint la froidure, 8 h
Dans les replis d'une fourrure 8 h
S'enfonce, parle d'un ton lent 8 a
Tient sur sa poitrine velue, 8 c
Et berce dans sa large main, 8 g
155 L'enfant que sa mère éperdue 8 c
Abandonne et reprend soudain ; 8 g
Reçoit la bruyante visite 8 h
De l'ami qui le félicite, 8 h
Des parens et des alentours ; 8 w
160 Et pendant tous ces longs discours, 8 w
La jeune épouse qu'on délaisse 8 b
S'occupe, malgré sa faiblesse, 8 b
De l'accouché qui boit toujours. « 8 w
A ce sot usage, dit-elle ; 8 d
165 Il faudra bien s'accoutumer. 8 m
Mon époux du reste est fidèle, 8 d
Point négligent ; on peut l'aimer. » 8 m
Tout en aimant, dans leur chaumière. 8 p
Leur bienveillance hospitalière 8 p
170 Admet un soir deux voyageurs, 8 z
L'un vieux, l'autre jeune : on devine 8 i
Qu'avec grâce et gaîté Céline 8 i
Du souper leur fait les honneurs. 8 z
Sa curiosité naïve 8 x
175 Les écoute et devient plus vive. 8 x
Mais pendant les récits divers, 8 y
Sur leurs yeux les pavots descendent, 8 z
Et séparément ils s'étendent 8 z
Sur des joncs de peaux recouverts. 8 y
180 La Tartarie est peu jalouse. 8 o
« Va, dit-elle à la jeune épouse, 8 o
Offre tes attraits au plus vieux : 8 a
— Y pensez-vous ? — Un rien t'étonne. 8 q
Va, l'hospitalité l'ordonne. 8 q
185 — Vous y consentez ? — Je fais mieux, 8 a
Je l'exige. — Mais il faut plaire, 8 p
Pour être aimé ; sans le désir, 8 b
Comment peut naître le plaisir ? 8 b
Je n'en ai point. — Tant pis, ma chère ; 8 p
190 Il en aura, lui, je l'espère. 8 p
S'il n'en avait pas ! sur mon front 8 c
Quel injuste et cruel affront ! » 8 c
Elle obéit, non sans scrupule, 8 d
Et revient un moment après. 8 i
195 « Déjà ? dit l'époux ; tes attraits… 8 i
— Votre coutume est ridicule, 8 d
Et vous en êtes pour vos frais. 8 i
— L'insolent ! s'il paraît coupable, 8 r
Son âge est une excuse. — Non. 8 e
200 La fatigue… — Belle raison ! 8 e
— Cependant le sommeil l'accable. 8 r
— J'y mettrai bon ordre ; un bâton !» 8 e
A grands coups il frappe, réveille, 8 e
Chasse, poursuit le voyageur, 8 c
205 Et venge son étrange honneur. 8 c
Puis il dit : « L'autre aussi sommeille ; 8 e
Mais avant tout il voudra bien 8 g
Faire son devoir et le mien. 8 g
Va. — Peux-tu… ?— Point de remontrance. 8 f
210 J'ai cru qu'on savait vivre en France. » 8 f
Tout s'apprend ; à vivre elle apprit. 8 g
L'étranger poursuit son voyage ; 8 h
A sa femme docile et sage 8 h
Le mari satisfait sourit, 8 g
215 Et dit d'une voix amicale : 8 i
« Écoute : la foi conjugale 8 i
A l'usage doit obéir ; 8 b
Mais à présent il faut, ma chère, 8 p
Expier ta nuit, et subir 8 b
220 Une pénitence légère. » 8 p
Le houx piquant arme sa main ; 8 g
Son épouse répand des larmes, 8 j
Et les larmes coulaient en vain ; 8 g
Aux fouets Morphel soustrait ses charmes. 8 j
225 Voici l'Inde ; spectacle affreux ! 8 a
Que veulent ces coquins de Brames, 8 k
D'un bâcher excitant les flammes, 8 k
Et ce peuple abruti par eux ? « 8 a
La victime est jeune et jolie, 8 g
230 Répète Céline attendrie : 8 g
Je la plains, et l'usage a tort. 8 l
On doit pleurer un mari mort, 8 l
Et sans lui, détester la vie ; 8 g
Mais le suivre ! c'est par trop fort. » 8 l
235 Vers Ceylan l'orage la pousse. 8 o
La loi dans cette île est très douce, 8 o
Et deux maris y sont permis. 8 m
Céline plaît à deux amis. 8 m
Entre eux ils disent : « Femme entière 8 p
240 Pour chacun de nous est trop chère ; 8 p
Partageons ; à son entretien 8 g
Alors suffira notre bien. 8 g
Si l'épouse est active et sage, 8 h
Les seins, les comptes du ménage, 8 h
245 Par elle seront mieux réglés : 8 u
Les garçons toujours sont volés. » 8 u
Que fait Céline ? Une folie. 8 g
Mais l'amour jamais en Asie 8 g
Ne se file ; point de délais ; 8 i
250 Et voilà nos deux Chingulais 8 i
Mariés par économie. 8 g
La beauté partout a des droits : 8 n
Pour Céline le premier mois 8 n
Fut neuf et vraiment admirable, 8 r
255 Le second seulement passable, 8 r
Le troisième assez misérable, 8 r
Le quatrième insupportable. « 8 r
J'aurais dû prévenirprévoir ces dégoûts, 8 o
Dit-elle ; quel sot mariage ! 8 h
260 L'homme qui consent au partage 8 h
N'est point amant, pas même époux. 8 o
Au public je parais heureuse : 8 p
J'ai de beaux schals, un bel écrin, 8 g
Et dans mon léger palanquin 8 g
265 Je sors brillante et radieuse ; 8 p
Je suis maîtresse à la maison, 8 e
Mais toujours seule : ma raison 8 e
Sait juger les lois politiques, 8 q
Et les abus enracinés ; 8 u
270 Dans les états bien gouvernés, 8 u
Il n'est point de filles publiques, » 8 q
Passons-lui cet arrêt léger, 8 m
Ne fut-ce que pour abréger. 8 m
Jeune femme que l'on offense 8 f
275 Trouve aisément à se venger ; 8 m
Mais, quoique juste, la vengeance 8 f
Pour elle n'est pas sans danger. 8 m
Chez leur épouse avec mystère 8 p
Les deux amis entrent un soir. 8 r
280 Que veulent-ils ? le froid devoir 8 r
A la beauté pourrait il plaire ? 8 p
Au devoir ils ne pensent guère. 8 p
A quoi donc ? Vous l'allez savoir : 8 r
L'un d'opium tient un plein verre, 8 p
285 L'autre un lacet ; il faut choisir. 8 b
Non, répond-elle, il faut partir. 8 b
Elle part, vole, voit l'Afrique, 8 s
Passe le brûlant équateur, 8 c
Et, chez un peuple pacifique, 8 s
290 Trouve l'amour et le bonheur. 8 c
Est-il de bonheur sans nuage ? 8 h
Son amant l'observe de près, 8 i
Il craint ; et, fidèle à l'usage, 8 h
Il s'adresse à l'aréopage, 8 h
295 Composé de vieillards discrets. 8 i
En pompe on vient prendre Céline, 8 i
Et dans le temple on la conduit. 8 g
Blanche et triste y sera sa nuit : 8 g
De l'inconstance féminine 8 i
300 L'ange correcteur descendra, 8 t
Et Céline s'en souviendra. 8 t
En effet, il vient ; notre belle, 8 d
Tombant sous sa robuste main, 8 g
Frissonne, et la verge cruelle 8 d
305 Va punir un crime incertain : 8 g
Du pays c'est l'usage étrange. 8 u
Mais, par un miracle imprévu, 8 q
Un éclat soudain répandu 8 q
Remplit le temple ; voilà l'ange 8 u
310 Qui s'échappe sans dire un mot ; 8 v
Et Céline crie aussitôt : 8 v
« Quoi ! c'est mon amant ? Quel outrage ! 8 h
Quelle ruse ! quoique sauvage, 8 h
Ma foi, ce peuple n'est point sot. » 8 v
315 Fuyez, le danger peut renaître. 8 w
On parle d'un peuple voisin ; 8 g
Chez ce peuple la loi peut-être 8 w
Vous accorde un plus doux destin 8 g
Il faut tout voir et tout connaître. 8 w
320 Elle arrive, et sourit d'abord. 8 l
Point de princes, mais des princesses 8 y
Dont les refus ou les caresses 8 y
De leurs époux règlent le sort, 8 l
L'époux n'a qu'un mince partage. 8 h
325 De sa femme empruntant l'éclat, 8 z
Prince sans cour et sans éclat, 8 z
Il plaît, c'est son seul apanage ; 8 h
Amour éternel et soumis, 8 m
C'est sa dette ; de par l'usage, 8 h
330 A l'épouse tout est permis, 8 m
A l'époux rien ; veillé par elle, 8 d
S'il s'avise d'être infidèle, 8 d
Le voilà déprincipisé, 8 m
Battu, proscrit et méprisé. 8 m
335 Vous soupirez, belle Céline ! 8 i
Qu'avez-vous donc, Je le devine. 8 i
Il faut un trône à la beauté ; 8 m
Qu'elle règne c'est son partage ; 8 h
Mais ce principe clair et sage, 8 h
340 Par les poètes adopté, 8 m
Et dans les chansons répété, 8 m
N'a point encor changé l'usage ; 8 h
L'usage est un vieil entêté. « 8 m
Ce pays, si j'étais princesse, 8 b
345 Dit Céline, me plairait fort ; 8 l
Mais des autres femmes le sort, 8 l
Comme ailleurs m'afflige et me blesse. 8 b
Que je hais la loi du plus fort ! » 8 l
Si la force, frondeuse aimable, 8 r
350 Est parfois injuste pour vous, 8 o
La loi du plus faible, entre nous, 8 o
Serait-elle bien équitable ? 8 r
Sar ce point on disputera, 8 t
Et jamais on ne s'entendra. 8 t
355 Femme jolie est difficile. 8 a
Morphel, toujours preste et docile, 8 a
La transporte plus loin, plus près, 8 i
Je ne sais où : dans cet asile 8 a
Ses vœux seront-ils satisfaits ? 8 i
360 Un peuple immense l'environne ; 8 q
D'or et de myrte on la couronne ; 8 q
Avec pompe sur un autel 8 j
Un groupe amoureux la dépose ; 8 l
A ses pieds qui foulent la rose 8 l
365 On brûle un encens solennel ; 8 j
Les hymnes montent jusqu'au ciel : « 8 j
Jadis dans ses plus beaux ouvrages 8 d
L'homme adora le Créateur, 8 c
Mais du jour l'astre bienfaiteur 8 c
370 Avait-il droit à tant d'hommages ? 8 d
Femmes, nos vœux reconnaissans 8 s
Réparent cette longue injure : 8 h
Doux chef-d'œuvre de la nature, 8 h
Reçois notre éternel encens. » « 8 s
375 Messieurs, dit-elle, quel prodige ; 8 b
Chez les plus forts tant de raison, 8 e
Tant de justice ! Mais où suis-je ? 8 b
De ce pays quel est le nom ? » 8 e
Une voix lui répond : « Princesse, 8 b
380 Reine, impératrice, déesse, 8 b
Régnez sur un peuple d'amans. 8 s
Pour les hommes sont la tristesse, 8 b
L'espoir timide, les tourmens, 8 s
La folle et jalouse tendresse, 8 b
385 Et l'esclavage des sermens ; 8 s
Pour vous toujours nouvelle ivresse, 8 b
Toujours nouveaux enchantemens, 8 s
Mêmes attraits, même jeunesse ; 8 b
Et les plaisirs pour votre altesse 8 b
390 Eu jours changeront leurs momens : 8 s
Elle est au pays des romans. » 8 s
Tout disparaît, et c'est dommage. 8 h
Cet épisode du voyage 8 h
Coûte à Céline quelques pleurs. 8 z
395 Pour la distraire, au loin son guide 8 c
La promène d'un vol rapide. 8 c
Dans un bois d'orangers en fleurs, 8 z
Qu'un vent doux rafraîchit sans cesse, 8 b
Elle entre, et dit : « Lieux enchanteurs ! 8 z
400 Où sont vos heureux possesseurs ? » 8 z
Passent un Caffre et sa maîtresse. 8 b
Quelle maîtresse ! Pour cheveux, 8 a
L'épaisseur d'une courte laine ; 8 k
Pour habit, des signes nombreux 8 a
405 Imprimés sur la peau d'ébène ; 8 k
Le front et le nez aplatis, 8 m
Des deux lèvres la boursouflure, 8 h
Bouche grande et les yeux petits, 8 m
Un sein flottant sur la ceinture ; 8 h
410 Bref, le fumet de la nature, 8 h
Et ses gestes trop ingénus ; 8 d
Chez les Caffres telle est Vénus. 8 d
L'orgueil est parfois raisonnable : 8 r
Céline donc de sa beauté 8 m
415 Prévoit l'effet inévitable, 8 r
Et craint un viol effronté. 8 m
Touchantes, mais vaines alarmes ! 8 j
A l'aspect de ces nouveaux charmes, 8 j
L'Africain recule surpris, 8 m
420 De la surprise passe aux ris, 8 m
Et dit : « O l'étrange figure ! 8 h
D'où vient cette caricature ? 8 h
Ils sont plaisans ces cheveux blonds, 8 r
Flottant presque jusqu'aux talons. 8 r
425 Quelle bouche ! on la voit à peine. 8 k
Jamais sein, chez l'espèce humaine, 8 k
D'une orange eut-il la rondeur ? 8 c
Vive une molle négligence ! 8 f
Des yeux bleus ! Quelle extravagance ! 8 f
430 Blanche et rose ! Quelle fadeur ! 8 c
Va, guenon, cache ta laideur. » 8 c
Céline, étouffant de colère, 8 p
S'enfuit, et ne pouvant mieux faire : « 8 p
Ce pays, malgré son beau ciel, 8 j
435 Malgré son printemps éternel, 8 j
De tous est le moins habitable. » 8 r
Elle dit : l'ange secourable 8 r
De ces mots devine le sens ; 8 s
Il l'enlève, et tandis qu'il vole, 8 e
440 Par quelques grains d'un doux encens 8 s
Sa bienveillance la console. 8 e
Céline, moins timide alors, 8 f
Regarde son guide, soupire, 8 g
Et son trouble en vain semble dire 8 g
445 Pourquoi n'avez-vous pas un corps ? 8 f
Dans les plaines de la Syrie 8 g
Enfin la dépose Morphel. 8 j
Partout on rencontre Israël ; 8 j
Israël la trouve jolie, 8 g
450 La mène au marché de Damas, 8 m
Et met en vente ses appas. 8 m
Auriez-vous donc un prix, Céline ? 8 i
Un gros Turc arrive en fumant, 8 a
De la tête aux pieds l'examine, 8 i
455 Toujours fume, et dit froidement, 8 a
« Est-elle vierge ? — Non, Française. 8 b
— Combien ?— Mille piastres. — Ah, juif ! 8 h
— Grâce et gentillesse. — Fadaise. 8 b
— Le regard doux et fin. — Trop vif. 8 h
460 J'aimerais mieux une maîtresse 8 b
D'esprit et de corps plus épaisse. 8 b
Mais passons sur ce dernier point ; 8 i
Du repos ; un mois d'épinettes, 8 j
Et de baume force boulettes, 8 j
465 Doubleront ce mince embonpoint. 8 i
Trois cents piastres. — Par le prophète, 8 n
Je suis des juifs le plus honnête, 8 n
Et je veux au fond des enfers 8 y
Tomber vivant… — Point de blasphème ; 8 k
470 Adieu.— Cinq cents ?— Trois cents, et même… 8 k
— Allons, prenez-la ; mais j'y perds. » 8 y
L'autre paie, à regret peut-être, 8 w
Et lentement s'éloigne ; en maître 8 w
A sa porte il frappe trois coups : 8 o
475 Aussitôt se meuvent et crient 8 k
Serrures, barres et verroux. 8 o
Pauvre Céline, où tombez-vous ! 8 o
Trois rivales ? elles sourient, 8 k
Mais de dépit, et le courroux 8 o
480 S'allume dans leurs yeux jaloux. 8 o
L'injure peut-être allait suivre ; 8 l
Le Mustapha, sans s'émouvoir, 8 r
D'un mot les rend à leur devoir : « 8 r
Paix et concorde, ou je vous livre 8 l
485 Aux fouets du vieil eunuque noir. » 8 r
En vain leur fierté mécontente 8 j
Fit valoir ses droits au mouchoir ; 8 r
Il fallut à la débutante 8 j
Céder le rôle et le boudoir. 8 r
490 Point de premier acte en Turquie ; 8 g
La Française y tenait un peu, 8 m
Le Musulman siffle son jeu, 8 m
Et se fâche ; la comédie 8 g
Devient drame, et puis tragédie. 8 g
495 Céline donc, par dénoûment, 8 a
Prend un stylet de diamant, 8 a
Le laisse échapper, le relève, 8 n
S'éveille avant le coup fatal, 8 o
Et s'écrie : « Ah ! c'est toi, Dorval ? 8 o
500 Après je te dirai mon rêve. » 8 n
Malgré quelques légers dégoûts, 8 o
Mesdames, demeurez en France. 8 f
Le pays de la tolérance 8 f
Est-il sans agrémens pour vous ? 8 o
505 Trop souvent un épais nuage 8 h
Obscurcit le ciel des amours, 8 w
Et sur l'hymen gronde l'orage ; 8 h
Mais si vous donnez les beaux jours, 8 w
Convenez-en, presque toujours 8 w
510 Les tempêtes sont votre ouvrage : 8 h
Quelle imprévoyance, et parfois 8 n
Quelle erreur dans vos premiers choix ! 8 n
L'ennui peut paraître incommode : 8 q
Le mot de mœurs est à la mode, 8 q
515 La moralité vous poursuit ; 8 g
En prose, en vers, même en musique, 8 s
Sans goût, sans cause, on vous critique, 8 s
Sans fin, sans trêve, on vous instruit ; 8 g
Maint vieux libertin émérite, 8 h
520 Maint petit rimeur hypocrite, 8 h
Maint abonné dans maint journal, 8 o
De vos plaisirs, de vos parures, 8 r
De vos talens, de vos lectures, 8 r
Se fait contrôleur général : 8 o
525 Eh bien ! a tout cela quel mal ? 8 o
De vous ces gens n'approchent guère, 8 p
Et vous ne lisez pas, j'espère, 8 p
Un sot qui croit être moral. 8 o
Cessez donc, vos plaintes, Mesdames, 8 k
530 L'infatigableinfaillible Église jadis 8 m
A vos corps si bien arrondis 8 m
Durement refusa des âmes ; 8 k
De ce concile injurieux 8 a
Subsiste encor l'arrêt suprême ; 8 k
535 Qu'importe ? Vous charmez les yeux, 8 a
Le cœur, les sens, et l'esprit même ; 8 k
Des âmes ne feraient pas mieux. 8 a
mètre profil métrique : 8
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