Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
PAI_1/PAI1
corpus Pamela Puntel
Édouard PAILLERON
PRIÈRE POUR LA FRANCE
1871
PRIÈRE POUR LA FRANCE
POËME
dit par Mlle FAVART, sur la scène du Théâtre-Français le 16 juillet 1871
C’est pour la France encor | vivante que je prie. 6+6 a
Mon Dieu, je viens à vous, | car notre âme meurtrie 6+6 a
Est lasse de combattre | et de désespérer” 6+6 b
Regardez-nous, Seigneur, | daignez considérer 6+6 b
5 Que nous sommes à bout | de sang et de souffrance, 6+6 a
Et de hontes, et que | ce pays — c’est la France ! 6+6 a
Hier, ce peuple en deuil | était son peuple, hier, 6+6 b
Heureux, rien qu’à la voir | si grande il était fier. 6+6 b
Elle avait dans l'histoire | une page étoilée. 6+6 a
10 Sous le ciel où planait | une Victoire ailée. 6+6 a
Elle marchait : ses pas | sonnaient superbement. 6+6 b
Le plateau du destin | s’abattait lourdement s 6+6 b
Lorsque sa volonté | tombait dans la balance. 6+6 a
La paix du monde était | faite de son silence, 6+6 a
15 Et les rois sur son front | épiaient l‘avenir. 6+6 b
Ceux qui vivent d’espoir | ou bien de souvenir, 6+6 b
Les faibles et les forts. | avaient les yeux sur elle ; 6+6 a
Elle était le soldat | de l’idée immortelle, 6+6 a
Et quand on la voyait, | on disait : La voilà ! 6+6 b
20 Et son âme sur nous | rayonnait !… Et cela 6+6 b
C’était hier. — Seigneur, | votre droite est terrible ! 6+6 a
Et ces temps ont passé | comme l’eau dans un crible. 6+6 a
Splendeurs ! ô vanités ! | tout s’est évanoui, 6+6 b
Et sa force, et sa gloire, | édifice inouï 6+6 b
25 Des siècles ! Un seul jour | a vu tous ces désastres… 6+6 a
Et la France a tombé | comme tombent les astres, 6+6 a
En laissant échapper | le monde ‘de ses mains. 6+6 b
Jour de colère ! jour | aux sombres lendemains ! 6+6 b
L'ennemi débordant | comme une vague immense, 6+6 a
30 Et l'éternel combat |-qui toujours recommence ; 6−6 a
Toujours les affûts lourds | sautant sur le pavé, 6+6 b
Et l'espoir fou, toujours | déçu, toujours rêvé. 6+6 b
Puis l’angoisse, les noirs | convois, la ville en armes. 6+6 a
Et les mères comptant | les heures par leurs larmes, 6+6 a
35 Et les efforts géants, | hélas ! et superflus… 6+6 b
La défaite ! Le flot | emportant dans son flux . 6+6 b
Le camp après le camp, | la ville après la ville, 6+6 a
Et la victoire aisée | au point d’en être vile. 6+6 a
La défaite ! Et sans frein | comme un cheval sans mors. 6+6 b
40 Partout, partout, la guerre ! | Et les morts ! et les morts ! 6+6 b
Plus d'armée, un troupeau ! | plus de combats, des crimes ! 6+6 a
D’un côté des bourreaux, | de l’autre des victimes ! 6+6 a
Plus que l’égorgement | d'un grand peuple effaré, 6+6 b
Et toujours la défaite ! | Et sur le sol sacré, 6+6 b
45 S’élargissant toujours | irrésistible et lente, 6+6 a
Toujours l’invasion, | cette lèpre sanglante !… 6+6 a
Et nous, tournés vers vous, | Seigneur, nous, terrassés, 6+6 b
Vaincus enfin !… Vaincus ! |
Ce n’était pas assez. 6+6 b
Comme de notre orgueil | notre néant se joue ! 6+6 a
50 Il fallait tendre après | la poitrine — la joue. 6+6 a
Après notre agonie | et leur triomphe épais, 6+6 b
Le cérémonial | funèbre de la paix. 6+6 b
Donc, France, il t’a fallu, | sous le pied des armées, 6+6 a
Céder, abandonnant | tes deux filles aimées, 6+6 a
55 O mère douloureuse, | au bras de ton vainqueur… 6+6 b
Mais, va l changer de nom | n’est pas changer de cœur. 6+6 b
O guerre âpre ! Paix sans | merci ! Hontes jumelles ! 6−6 a
Ceux qui boivent la haine | à vos maigres mamelles 6+6 a
N’auront jamais d'oubli | pour un tel souvenir, 6+6 b
60 Et vous avez rougi | l’aube de l’avenir ! 6+6 b
Eh bien, la chute affreuse | et les défaites sûres, 6+6 a
Et le pays râlant | par toutes ses blessures, 6+6 a
Et cette guerre enfin, | et cette paix… eh bien, 6+6 b
Tout cela, tout cela, | Seigneur, ce n’était rien. 6+6 b
65 Non rien ! le monde a vu | dans une lutte impie, 6+6 a
(Ciel juste ! qu’est-ce donc | que cette ville expie ?) 6+6 a
Pris des stupidités | tragiques de Babel, 6+6 b
Des frères — si Caïn | est le frère d’Abel, 6+6 b
Des hommes — si le fauve | est l’enfant de la femme, 6+6 a
70 Des Français, des Français — | si le nom vaut sans l’âme, 6+6 a
Ivres et se ruant | sur la grande cité, 6+6 b
Refaire à notre honte | une virginité. 6+6 b
Ils ont pris la mourante | et traîné sur leurs claies 6+6 a
Son corps, des mêmes coups | trouant ses mêmes plaies, 6+6 a
75 Dans un acharnement | tranquille, sans remord, 6+6 b
Ruinant sa ruine, | O Dieu ! tuant sa mort ! 6+6 b
Et, du poids de leur crime | alourdissant ses chaînes, 6+6 a
Étonné notre horreur | et déplacé nos haines ! 6+6 a
Oui ! devant l'ennemi | joyeux et stupéfait, 6+6 b
80 Ce que lui n’avait pas | osé faire, — eux l’ont fait ! 6+6 b
Et ceux-là se disaient | les fils de tes entrailles, 6+6 a
Mère, qui te faisaient | ces rouges funérailles ! 6+6 a
Et ceux-là se nommaient | tes soldats, Liberté ! 6+6 b
Tes soldats, ce sont ceux | qui, pour l’humanité, 6+6 b
85 Sauvaient, avec leur sang, | de l’aventure immonde, 6+6 a
La France, et, dédaigneux | de son dédain, — le monde. 6+6 a
Pour eux, les évadés | farouches du Devoir, 6+6 b
Ils ont pillé le Droit | et saccagé l’Espoir, 6+6 b
Si bien qu’elles aussi, | comme nos palais sombres, 6+6 a
90 Nos âmes à présent | sont pleines de décombres ! 6+6 a
Et c‘est pourquoi je viens | et je dis : Dieu clément, 6+6 b
Sommes-nous châtiés, | si c’est un châtiment ? 6+6 b
Nous avons descendu | les marches de l’abîme : 6+6 a
La faute, le malheur, | et la honte et le crime ; 6+6 a
95 Puissants hier, vaincus | aujourd’hui… Mais demain 6+6 b
Que serons-nous ? Seigneur, | où mène le chemin 6+6 b
Que gravit en pleurant, | depuis plus d'une année. 6+6 a
Celle que votre Église | avait pour fille aînée ? 6+6 a
Et que fait-elle, errante, | et sans un défenseur, 6+6 b
100 Au bord de l’ombre où dort | la Pologne sa sœur, 6+6 b
Et comme elle guerrière | et comme elle martyre ? 6+6 a
Est-ce que d’elle aussi | l’Éternel se retire ? 6+6 a
Est-ce que son courroux | mystérieux la suit ? 6+6 b
Va-t-elle encor longtemps | errer dans cette nuit 6+6 b
105 Effrayante, n’ayant | pour guide et pour boussoles 6+6 a
Que les éclairs sanglants | des convoitises folles ? 6+6 a
Est-ce que l’Immuable | a déjà prononcé ? 6+6 b
Est-ce que cette nuit | c’est déjà le Passé ? 6+6 b
Est-ce vrai que tu vas | mourir, ô ma Patrie ? 6+6 a
110 De l’abîme, Seigneur, | Seigneur, vers vous je crie ; 6+6 a
Je sais que devant vous | nul n’est pur, mais vraiment 6+6 b
Vous nous avez frappés | aussi trop rudement, 6+6 b
Grâce ! Épargnez enfin | ce peuple qui vous aime. 6+6 a
Maintenant qu’il n’a plus | d’ennemi que lui-même, 6+6 a
115 Liez sa main ! de peur | qu'il ne dépense encor 6+6 b
Contre lui sa colère | ardente, — ce trésor ! 6+6 b
Des partis affolés | calmez le rut cynique ! 6+6 a
Pour seule ambition | et pour pâture unique, 6+6 a
Et pour tourment fécond | et des nuits et des jours, 6+6 b
120 Donnez-nous cet amour | fait de tous les amours, 6+6 b
Le tien, Patrie ! Et que | ton image voilée 6+6 a
Soit debout dans nos cœurs, | ô grande inconsolée ! 6+6 a
Obsède-nous sans trêve, | à toute heure, en tout lieu, 6+6 b
Amour fait d’un mystère | et d'un nom — comme Dieu ! 6+6 b
125 Que son feu, nous unisse | et sa foi nous enivre… 6+6 a
Sachons mieux que mourir | pour elle, — sachons vivre. 6+6 a
O mon Père ! ô mon Dieu ! | je vous prie à genoux, 6+6 b
Laissez-nous notre orgueil | suprême, laissez-nous 6+6 b
Cette vertu dernière | et qui nous est restée, 6+6 a
130 La seule qui chez nous | n’ait jamais eu d’athée, 6+6 a
L‘Honneur ! cette pudeur | des peuples, oui, l’Honneur ! 6+6 b
Et nous vous bénirons | dans les siècles, Seigneur ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6−6
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