Métrique en Ligne
NOU_1/NOU24
Germain NOUVEAU
Poésies d'Humilis
et Vers Inédits
1872-1881
VERS INÉDITS
La Maison
A ma sœur Laurence.
J’ai suivi dans la nuit le rayon d’une étoile 6+6 a
Et mes yeux ont vu luire, humble et jouant la voile, 6+6 a
Aux champs lointains si bleus qu’ils font croire à la mer 6+6 b
La maison comme un point, et, répandu dans l’air 6+6 b
5 Doré, tout le village aux pieds du clocher mince 6+6 a
Gai, certes, car j'avais découvert la province ! 6+6 a
La province, bien oui, voyageur, qu’en dis-tu ? 6+6 b
T’y voilà ; ton Paris, où tu t’es débattu 6+6 b
Dans la nuit faite avec leur ombre épaisse aux hommes, 6+6 a
10 Vaut-il, sois franc, le clair paysage où nous sommes ? 6+6 a
Comme tu vas dormir, comme tu vas veiller 6+6 b
Sagement, et qui sait ? peut-être aussi prier : 6+6 b
Car la province est la conseillère et la sainte, 6−6 a
Car elle garde aux champs où ton enfance est peinte 6+6 a
15 La tombe de ta mère et la voix de ta sœur, 6+6 b
Pour éveiller un peu ton cœur, ton cœur, ton cœur. 6+6 b
La pastorale anime encore desde ses flûtes 6+6 a
Le bois, et le petit clair de lune, aux minutes 6+6 a
son fauteuil attend ses bras abandonnés, 6+6 b
20 Jonche d’histoire ancienne et de rayons fanés 6+6 b
La terrasse aux baisers de la maison mangée 6+6 a
Par la seule longueur de ses cils ombragée. 6+6 a
Qu’il m’est bon chaque nuit blanchissante, où les yeux 6+6 b
Prennent les maisons pour un semis précieux 6−6 b
25 De pierres, au lointain tel qu’un amas de voiles ; 6+6 a
Et lorsque sa voix semble attirer les étoiles, 6+6 a
Qu’il m’est bon, de trouver après l’essor banal, 6+6 b
Ce coin frais loin des yeux qui me firent du mal. 6+6 b
Et ses yeux mariant l’éclair des mers fleuries 6+6 a
30 A la teinte des prés, enclos de métairies, 6+6 a
Je vois le vieux décor d’avant hier reculé. 6+6
N’entends-je pas en moi mourir une musique ? 6+6 b
Ah ! pour tout ce bonheur paresseux et physique 6+6 b
Je ne veux, bel été, que ta nuit de bluet, 6+6 a
35 Vers qui, les avrils froids, mon âme refluait. 6+6 a
Je veux taire un jardin de mes bonnes pensées. 6+6 b
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Ce matin, nous irons te cueillir des pensées 6+6 b
Veux-tu ?
Promenons-nous.
Vers le passé fiévreux 6+6 a
Revoles-tu ? vois-tu la sainte et ses yeux creux 6+6 a
40 Couvant l’amour en pleurs et la mort sous leurs franges 6+6 b
Cela se paie, avoir sa mère avec les anges ! 6+6 b
Ce fut vite une morte entre quatre cyprès, 6+6 a
Misère ! et nous vivons absents d’elle et tout près : 6+6 a
Où qu’on soit, est-on loin jamais de ce qu’on aime ? 6+6 b
45 Y penser me la rend vivante à ton baptême, 6+6 b
Et je perçois, la nuit, dans des songes de lait, 6+6 a
Distinctement la voix dont elle m’appelait. 6+6 a
Et Marie ? Un matin j’allai, triste, à sa chambre : 6+6 b
Son corps semblait vêtu des neiges de Novembre, 6+6 b
50 Elle tremblait, c’était aux fond du jeune lit 6+6 a
Un soupir enfantin, qui vibre et qui pâlit 6+6 a
(Sept ans, une angélique et très vieille sagesse, 6+6 b
Cœur où les cieux s’étaient versés avec largesse, 6+6 b
Des mains qui palpitaient et des pieds qui battaient : 6+6 a
55 Toute aile, voilà l’ange, et les saints écoutaient) 6+6 a
Ses yeux avaient quitté ses deux mains, hélas ointes 6+6 b
De l’huile de la mort, et qu’elle tenait jointes ; 6+6 b
Elle me dit : la mer est sous mon lit ; la nuit 6+6 a
Elle appelait la mort : le bateau comme il fuit ! 6+6 a
60 Elle semblait quelqu’un dont la science est faite. 6+6 b
Ses yeux où s’allumait une sévère fête 6+6 b
S’agrandirent, ce fut effrayant de douceur, 6+6 a
Ces éclairs, cette voix de la petite sœur, 6+6 a
Cependant l’été bleu traversait les croisées 6+6 b
65 D’effluves qui grisaient les vitres irisées ; 6+6 b
Des oiseaux alentour voletaient bruyamment, 6+6 a
Et j’entendais frémir parmi l’appartement, 6+6 a
Murmure d’or berçant son paisible délire, 6+6 b
Les cordes de soleil d’une impalpable lyre. 6+6 b
70 Elle mourut. Et comme au bon Dieu triomphant 6+6 a
Il suffit de la main du plus petit enfant, 6+6 a
Sa main morte tira le père sous les marbres. 6+6 b
Mais toi, pâle du deuil promené sous les arbres, 6+6 b
Belle d’avoir grandi dans un pan du ciel noir, 6+6 a
75 Tu souris d’être leur délicieux miroir. 6−6 a
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
J’ai vu mourir l’été d’une mort qui parfume, 6+6 b
Déjà voici l’hiver et son aube qui fume, 6+6 b
Beaux jours que le soleil tout de jaune habilla, 6+6 a
Quoi ! le temps d’un baiser et vous n’êtes plus là ! 6+6 a
80 Qu’il fait bon sous vos pans, manteaux des cheminées ! 6+6 b
Que vous les ornez bien, ô Mères, Sœurs aimées, 6+6 b
De vos traits que la flamme illumine en dessous ! 6+6 a
Que votre chasteté, qui neige autour de vous, 6+6 a
Est un hiver céleste et tiède, ô mes colombes, 6+6 b
85 Vous qu’on rêve toujours en blanc comme des tombes ! 6+6 b
Et les berceaux, toujours en blanc du mois de Mai ? 6+6 a
Pour mériter les fleurs de cet hiver charmé, 6+6 a
Ah ! nous n’aurons jamais assez de voix pieuses, 6+6 b
Ni de tous vos refrains, Nocturnes et Dormeuses ! 6+6 b
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
90 Fais la croix sur la cendre, et je vais me coucher, 6+6 a
Tenez, c’est un secret qu’on ne peut vous cacher ; 6+6 a
C’est vrai qu’elle est charmante et qu’elle se marie, 6+6
Et ce n’est déjà plus à moi seul, cette main ; 6+6 b
La brise apporte un bruit d’essieux au grand chemin. 6+6 b
95 C’est qui ? Marthe, voyez ! — C’est lui Mademoiselle ; 6+6 a
Elle regrette alors de n’être pas plus belle, 6+6 a
Emploie un dernier temps à lisser ses cheveux 6+6 b
Au miroir que ses yeux brûlent de leurs aveux, 6+6 b
Et salue en baissant ses longs cils sur sa joue ; 6+6 a
100 Il ne faudrait pas croire à sa petite moue, 6+6 a
Dit la moue elle-même. On s’assied, son corset 6+6 b
Se soulève et trahit les choses que l’on sait ; 6+6 b
Elle risque un regard, et tous deux de sourire, 6+6 a
Heureux de s’écouter longtemps sans rien se dire. 6+6 a
105 Oui je l’adore ainsi sous le charme moqueur 6+6 b
De l’amour qui se lève, et quoique dans son cœur 6+6 b
Il faudra se pousser et faire de la place, 6+6 a
Je ne redoute pas de baiser qui me glace : 6+6 a
La part qu’elle m’en fit vaut son cœur tout entier. 6+6 b
110 Quand elle trempera ses doigts au bénitier, 6+6 b
Je verrai dans ses yeux rire une foule d’anges. 6+6 a
O jour ! telle jadis sa mère en longues franges ! 6+6 a
Dans l’Église, au minuit solitaire et charmant, 6+6 b
J’écouterai le prêtre avec recueillement, 6+6 b
115 Agenouillé, car c’est ainsi qu’il faut qu’on aime, 6+6 a
Et rêvant dans la paix à quelque cher poème 6+6 a
Où mettre ce que j’ai de meilleur et de bon. 6+6 b
Petite Sœur, tu fus l’ardent et pur charbon 6+6 b
Jeté dans le fragile encensoir de ma vie ; 6+6 a
120 Mais ton odeur au fond de l’église ravie 6+6 a
Est bien délicieuse et longue à respirer ! 6+6 b
C’est vers toi, sur la terre où l’on est las d’errer, 6+6 b
C’est vers ton ciel qu’il faut chercher la bonne étoile : 6+6 a
Elle luit à travers les candeurs de ton voile, 6+6 a
125 Plus forte, entre le monde et toi, qu’un mur d’airain ; 6+6 b
Et c’est vrai, quand du fond de ton songe serein, 6+6 b
Ton clair regard, celui de tous que je préfère, 6+6 a
Comme un peu sur un fils s’arrête sur le frère, 6+6 a
C’est presque un goût exquis des mystères des cieux, 6+6 b
130 C’est ma mère qui me regarde avec tes yeux. 6−6 b
mètre profil métrique : 6−6
forme globale type : suite de distiques
schéma : 64((aa))
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