Métrique en Ligne
NOU_1/NOU12
Germain NOUVEAU
Poésies d'Humilis
et Vers Inédits
1872-1881
POÉSIES D'HUMILIS
Les Cathédrales
Mais gloire aux cathédrales ! 6 a
Pleines d'ombre et de feux, de silence et de râles, 6+6 a
Avec leur forêt d'énormes piliers 5+5 a
Et leur peuple de saints, moines et chevaliers, 6+6 a
5 Ce sont des cités au-dessus des villes, 5+5 b
Que gardent seulement les sons irréguliers 6+6 a
De l'aumône, au fond des sébiles, 8 b
Sous leurs porches hospitaliers. 8 a
Humblement agenouillées 7 a
10 Comme leurs sœurs des champs dans les herbes mouillées, 6+6 a
Sous le clocher d'ardoise ou le dôme d'étain, 6+6 a
Où les angélus clairs tintent dans le matin, 6+6 a
Les églises et les chapelles 8 a
Des couvents, 3 b
15 Tout au loin vers elles, 5 a
Mêlent un rire allègre au rire amer des vents, 6+6 b
En joyeuses vassales ; 6 a
Mais elles, dans les cieux traversés des vautours, 6+6 b
Comme au cœur d'une ruche, aux cages de leurs tours, 6+6 b
20 C'est un bourdonnement de guêpes colossales. 6+6 a
Voyez dans le nuage blanc 8 a
Qui traverse là-haut des solitudes bleues, 6+6 b
Par-dessus les balcons d'où l'on voit les banlieues, 6+6 b
Voyez monter la flèche au coq étincelant, 6+6 a
25 Qui, toute frémissante et toujours plus fluette, 6+6 c
Défiant parfois les regards trop lents, 5+5 a
Va droit au ciel se perdre, ainsi que l'alouette. 6+6 c
Ceux-là qui dressèrent la tour 8 a
Avec ses quatre rangs d'ouïes 8 b
30 Qui versent la rumeur des cloches éblouies, 6+6 b
Ceux qui firent la porte avec les saints autour, 6+6 a
Ceux qui bâtirent la muraille, 8 a
Ceux qui surent ployer les bras des arcs-boutants, 6+6 b
Dont la solidité se raille 8 a
35 Des gifles de l'éclair et des griffes du temps ; 6+6 b
Tous ceux dont les doigts ciselèrent 8 a
Les grands portails du temple, et ceux qui révélèrent 6+6 a
Les traits mystérieux du Christ et des Élus, 6+6 a
Que le siècle va voir et qu'il ne comprend plus ; 6+6 a
40 Ceux qui semèrent de fleurs vives 8 a
Le vitrail tout en flamme au cadre des ogives 6+6 a
Ces royaux ouvriers et ces divins sculpteurs 6+6 a
Qui suspendaient au ciel l'abside solennelle, 6+6 b
Dont les ciseaux pieux criaient dans les hauteurs, 6+6 a
45 N'ont point gravé leur nom sur la pierre éternelle ; 6+6 b
Vous les avez couverts, poudre des parchemins ! 6+6 a
Vous seules les savez, vierges aux longues mains ! 6+6 a
Vous, dont les Jésus rient dans leurs barcelonnettes, 6+6 a
Artistes d'autrefois, où vous reposez-vous ? 6+6 b
50 Sous quelle tombe où l'on prie à genoux ? 5+5 b
Et vous, mains qui tendiez les nerfs des colonnettes, 6+6 a
Et vous, doigts qui semiez 6 a
De saintes le portail où nichent les ramiers, 6+6 a
Et qui, dans les rayons dont le soleil l'arrose, 6+6 a
55 Chaque jour encor faites s'éveiller 5+5 b
La rosace, immortelle rose 8 a
Que nul vent ne vient effeuiller ! 8 b
Ô cathédrales d'or, demeures des miracles 6+6 a
Et des soleils de gloire échevelés autour 6+6 b
60 Des tabernacles 4 a
De l'amour ! 3 b
Vous qui retentissez toujours de ses oracles, 6+6 a
Vaisseaux délicieux qui voguez vers le jour ! 6+6 b
Vous qui sacrez les rois, grandes et nobles dames, 6+6 a
65 Qui réchauffez les cœurs et recueillez les âmes 6+6 a
Sous votre vêtement fait en forme de croix ! 6+6 a
Vous qui voyez, ô souveraines, 8 b
La ville à vos genoux courber ses toits ! 10 a
Vous dont les cloches sont, fières de leurs marraines, 6+6 b
70 Comme un bijou sonore à l'oreille des reines ! 6+6 b
Vous dont les beaux pieds sont de marbre pur ! 5+5 a
Vous dont les voiles 4 b
Sont d'azur ! 3 a
Vous dont la couronne est d'étoiles ! 8 b
75 Sous vos habits de fête ou vos robes de deuil, 6+6 a
Vous êtes belles sans orgueil ! 8 a
Vous montez sans orgueil vos marches en spirales 6+6 a
Qui conduisent au bord du ciel, 8 b
Ô magnifiques cathédrales, 8 a
80 Chaumières de Jésus, Bethléem éternel ! 6+6 b
Si longues, qu'un brouillard léger toujours les voile ; 6+6 a
Si douces, que la lampe y ressemble à l'étoile, 6+6 a
Les nefs aux silences amis, 8 a
Dans l'air sombre des soirs, dans les bancs endormis, 6+6 a
85 Comptent les longs soupirs dont tremble un écho chaste 6+6 a
Et voient les larmes d'or où l'âme se répand, 6+6 b
Sous l'œil d'un Christ qui semble, en son calvaire vaste, 6+6 a
Un grand oiseau blessé dont l'aile lasse pend. 6+6 b
Ah ! bienheureux le cœur qui, dans les sanctuaires, 6+6 a
90 Près des cierges fleuris qu'allument les prières, 6+6 a
Souvent, dans l'encens bleu, vers le Seigneur monta, 6+6 b
Et qui, dans les parfums mystiques, écouta 6+6 b
Ce que disent les croix, les clous et les suaires, 6+6 a
Et ce que dit la paix du confessionnal, 6+6 a
95 Oreille de l'amour que l'homme connaît mal !… 6+6 a
Avec sa grille étroite et son ombre sévère, 6+6 a
Ô sages, qui parliez autour du Parthénon, 6+6 b
Le confessionnal, c'est la maison de verre 6+6 a
À qui Socrate rêve et qui manque à Zénon ! 6+6 b
100 Grandes ombres du Styx, me répondrez-vous : non ?… 6+6 b
Ce que disent les cathédrales, 8 a
Soit qu'un baptême y jase au bord des eaux lustrales, 6+6 a
Soit qu'au peuple, autour d'un cercueil, 8 b
Un orgue aux ondes sépulcrales 8 a
105 Y verse un vin funèbre et l'ivresse du deuil, 6+6 b
Soit que la foule autour des tables 8 a
S'y presse aux repas délectables, 8 a
Soit qu'un prêtre vêtu de blanc 8 a
Y rayonne au fond de sa chaise, 8 b
110 Soit que la chaire y tonne ou soit qu'elle se taise, 6+6 b
Heureux le cœur qui l'écoute en tremblant ! 5+5 a
Heureux celui qui vous écoute, 8 a
Vagues frémissements des ailes sous la voûte ! 6+6 a
Comme une clé qui luit dans un trousseau vermeil 6+6 a
115 Quand un rayon plus rouge aux doigts d'or du soleil 6+6 a
A clos la porte obscure au seuil de chaque église, 6+6 a
Quand le vitrail palpite au vol de l'heure grise, 6+6 a
Quand le parvis plein d'ombre éteint toutes ses voix, 6+6 a
Ô cathédrales, je vous vois 8 a
120 Semblables au navire émergeant de l'eau brune, 6+6 a
Et vos clochetons fins sont des mâts sous la lune ; 6+6 a
D'invisibles ris sont largués, 8 b
Une vigie est sur la hune, 8 a
Car immobiles, vous voguez, 8 b
125 Car c'est en vous que je vois l'arche 8 a
Qui, sur l'ordre de Dieu, vers Dieu s'est mise en marche ; 6+6 a
La race de Noé gronde encoreencor dans vos flancs ; 6+6 a
Vous êtes le vaisseau des immortels élans, 6+6 a
Et vous bravez tous les désastres. 8 a
130 Car le maître est Celui qui gouverne les astres, 6+6 a
Le pilote, Celui qui marche sur les eaux 6+6 a
Laissez, autour de vous, pousser aux noirs oiseaux 6+6 a
Leur croassement de sinistre augure ; 5+5 a
Allez, vous êtes la figure 8 a
135 Vivante de l'humanité ; 8 b
Et la voile du Christ à l'immense envergure 6+6 a
Mène au port de l'éternité. 8 b
mètre profils métriques : 6, 8, 3, 4, 6+6, 5÷5, (7), (5)
forme globale type : suite de strophes
schéma : 22[aa] 1[aababa] 7[abab] 4[abba] 1[abbacac] 1[ababab] 2[ababb] 1[aabba] 3[aabab]
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