Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
NOR_1/NOR7
corpus Pamela Puntel
Jacques NORMAND
TABLETTES D’UN MOBILE
1870-1871
1871
UN COUP DE PISTOLET
RÉCIT
A notre feu brillant,qui flambait dans la nuit. 6+6 a
Il alluma sa pipe,et parla comme il suit : 6+6 a
« Je suis un vieux soldat,et j’ai la peau très-dure, — 6+6 b
L’âme aussi ; cependant,vrai Dieu ! je vous assure 6+6 b
5 N‘avoir jamais souffertautant que ce soir-là. 6+6 a
Mais je vais en deux motsvous raconter cela. 6+6 a
« C’était à Reischhoffen,la bataille maudite. 6+6 b
J’étais aux cuirassiers.Tout le jour à la suite 6+6 b
De Mac-Mahon, le soiron nous dit de charger. 6+6 a
10 L’escadron s’ébranlapour courir au danger, 6+6 a
Ou plutôt à la mort,— car vous savez sans doute 6+6 b
Qu’autrement la retraiteétait une déroute, 6+6 b
Que pour sauver l’arméeon nous faisait mourir. 6+6 a
On partit. Combien peuj’en ai vu revenir 6+6 a
15 De ces hommes si beauxet si remplis de vie ! 6+6 b
Car, voyez-vous, ce futcomme une boucherie ; 6+6 b
Quand j’y pense, je sensmon cœur se soulever, 6+6 a
Et la nuit, je ne puisdormir sans en rêver. 6+6 a
Les Prussiens, qui couvraientles coteaux jusqu'aux crêtes, 6+6 b
20 Nous laissèrent venir,prompts comme des tempêtes, 6+6 b
A trois cents pas. Soudain,de leurs rangs et des bois, 6+6 a
Dix mille coups de feupartirent à la fois. 6+6 a
Aux premiers pelotons,beaucoup d'hommes tombèrent. 6+6 b
Arrêtés par leurs corps,les autres retournèrent 6+6 b
25 Se reformer plus loin,pour charger de nouveau. 6+6 a
Oh ! le hideux massacreet le noble tableau ! 6+6 a
Sept fois, comme des fous,ivres, tête baissée, 6+6 b
Courant, courant toujours,sans espoir, sans pensée, 6+6 b
Nous venons nous brisercontre ce mur de feux ; 6+6 a
30 Et sept fois, décimés,de moins en moins nombreux, 6+6 a
Nous tentons vainementune charge nouvelle, 6+6 b
Par nos genoux meurtrisnous rivant à la selle, 6+6 b
Labourant nos chevauxà grands coups d’éperons. 6+6 a
Il reste à peine encorle quart des escadrons ; 6+6 a
35 Le mien, s’il m’en souvient,ne comptait que vingt hommes 6+6 b
Le colonel nous dit :« Allons, enfants, nous sommes 6+6 b
Là pour mourir : sachonsfaire notre devoir. 6+6 a
En avant ! » C’est alorsque vous auriez pu voir 6+6 a
L'ardent entrnementde la fougue française. 6+6 b
40 Nous nous lançons encoreau sein de la fournaise, 6+6 b
Sûrs d’y trouver la morten y cherchant l’honneur ! 6+6 a
Jusqu’alors, je ne saispar quel rare bonheur 6+6 a
Je n’étais pas blessé ;cette lutte infernale 6+6 b
Devait bientôt finir,quand voici qu’une balle 6+6 b
45 Me traverse la gorge,une autre le genou. 6+6 a
Je tombe évanoui,sanglant, je ne sais , 6+6 a
Et mon cheval s’abaten m’écrasant la cuisse. 6+6 b
Je veux me dégager,mais deux fois ma main glisse, 6+6 b
Cherchant à s'appuyersur le terrain boueux ; 6+6 a
50 Puis un voile de sangs’étend devant mes yeux, 6+6 a
Le ciel tourne et bientôtdispart à ma vue. 6+6 b
Quand je me réveillai,la nuit était venue, 6+6 b
Couvrant de son linceulles morts et les mourants. 6+6 a
Ils sont là, sur le solfoulé, couchés par rangs, 6+6 a
55 L’œil éteint, déjà froids,les mains roides, crispées. 6+6 b
Serrant à les briserles tronçons des épées. 6+6 b
Les hommes expirantset les chevaux boiteux 6+6 a
Se trnent, et déjàje vois, — spectacle affreux ! — 6+6 a
Les corbeaux — ces hideuxcroque-morts des armées — 6+6 b
60 S’abattre autour de moipar bandes affamées. 6+6 b
Les canons sans affûts,les caissons éventrés, 6+6 a
Les sabres, les fusils,gisent enchevêtrés, 6+6 a
Scintillant sur ces flotsde boue épaisse et rouge ; 6+6 b
Parfois, dans ce chaos,quelque chose se bouge, 6+6 b
65 Se soulève et retombeen poussant un soupir, 6+6 a
Puis rien : c’est un blesséqui meurt ou va mourir. 6+6 a
La lune, déjà haute,illumine par places, 6+6 b
D'un rayon pâle et douxdes monceaux de cuirasses ; 6+6 b
Derrière moi, bien loin,gronde encor le canon : 6+6 a
70 Ce sont les ennemispoursuivant Mac-Mahon. 6+6 a
Maintenant que j’en suisà conter mon histoire, 6+6 b
J’ai ce triste tableauprésent à la mémoire ; 6+6 b
J’en revois les détailsun par un ; mais, morbleu ! 6+6 a
Lorsque j’étais là-basje m’en occupais peu. 6+6 a
75 J'étais anéanti :mon cheval, pauvre bête ! 6+6 b
Frappé mortellementd’une balle à la tête, 6+6 b
Sur mon genou brisépesait de tout son poids. 6+6 a
Je n’avais plus d’espoir :sans mouvement, sans voix. 6+6 a
— Car le sang s’échappaitde ma gorge entr’ouverte,— 6+6 b
80 Je compris que j’étaisà deux doigts de ma perte. 6+6 b
Que n’aurais-je donnépour une goutte d’eau ! 6+6 a
Le combat, voyez-vous,c’est grand, c’est fier, c’est beau ! 6+6 a
Quand on est en plein jour,au sein d’une bataille, 6+6 b
On se rit du canon,on nargue la mitraille, 6+6 b
85 On voit la mort en faceet l’on n’en a pas peur ; 6+6 a
Mais être là, sanglant,affolé de douleur, 6+6 a
Sans pouvoir bouger, seul,au milieu des ténèbres ; 6+6 b
Sentir un froid aiguvous mordre les vertèbres, 6+6 b
Le cœur sauter moins fortà chaque battement, 6+6 a
90 Et la mort dans le corpsse glisser lentement, 6+6 a
Croyez-moi, c'est passerpar un affreux martyre. 6+6 b
Combien cela dura,je ne saurais le dire ; 6+6 b
Mais je pensai bientôtque pour ce corps transi 6+6 a
Il valait mieux mourirque de souffrir ainsi. 6+6 a
95 Mais comment ? Eh ! parbleu !me brûler la cervelle ! 6+6 b
Je prends avec effort,dans l’aon de ma selle, 6+6 b
Un pistolet chargé ;je l’arme vivement ; 6+6 a
Je le mets sur mon front…Soudain, distinctement, 6+6 a
Sur ma droite, j’entendscomme une voix humaine. 6+6 b
100 Est-ce un rêve ? Non, non !Je les vois, dans la plaine, 6+6 b
A deux cents pas de moi,précédés d’un falot, 6+6 a
Des frères, des sauveurs !J’appelleun court sanglot, 6+6 a
Faible comme un soupir,s’échappe de ma bouche ; 6+6 b
Je veux me soulever ;mais la douleur farouche 6+6 b
105 Me cloue au sol. Pourtanton peut me secourir… 6+6 a
Ils sont là, près de moi :je ne veux pas mourir ! 6+6 a
Jusqu’au dernier moment,avec quelle énergie 6+6 b
L’homme presque perduse raccroche à la vie 6+6 b
Je les voyais marcher,s’arrêter, se baisser 6+6 a
110 Viendront-ils ?… Tout à coup,— je ne puis y penser 6+6 a
Sans en frémir encore,aux rayons de la lune, 6+6 b
J’apeois, l’œil hagard,à travers la nuit brune, 6+6 b
Mes sauveurs attendusqui s’éloignent de moi, 6+6 a
Emportant avec euxma vieOh ! quel effroi ! 6+6 a
115 Je deviens fou : ma main,fiévreuse, inconsciente, 6+6 b
Serre le pistolet ;mon doigt sur la détente 6+6 b
S’appuie, et le coup part.En entendant ce bruit 6+6 a
Qui vibre, sec et dur,au milieu de la nuit, 6+6 a
Ils s’arrêtent : l’un d’euxse détache, s’avance ; 6+6 b
120 Je reconnais la croixrouge de l’ambulance 6+6 b
Il marche, regardantchaque corps étendu ; 6+6 a
Il vient, il vient encore,il approcheil m’a vu ! 6+6 a
Une immense fatigueenvahit tout mon être, 6+6 b
Et je m’évanouisentre les bras d’un prêtre. 6+6 b
125 Maintenant je vais bien,et, si je boite encor, 6+6 a
Ce sera bientôt fait,m’assure le major. 6+6 a
Mais, — je ne sais commentvous dire cette chose, — 6+6 b
Depuis ces quelques moisune métamorphose, 6+6 b
Un complet changement,se sont produits en moi. 6+6 a
130 Jadis, j'étais un vieuxsoudard, sans foi ni loi, 6+6 a
Narguant Dieu, jurant sec,hérétique incurable, 6+6 b
Et fuyant un curécomme l’on fuit le diable. 6+6 b
Eh bien ! — est-ce l’effetde ce vilain moment 6+6 a
Que j’ai passé là-bas,de cet isolement, 6+6 a
135 De cette mort que j’aidu doigt presque touchée 6+6 b
Et mon âme en est-elleencore effarouchée, 6+6 b
Je ne sais, — mais depuisce jour je jure peu, 6+6 a
Je respecte le prêtreet je crois au bon Dieu ! 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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