Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
NOA_1/NOA93
Anna de NOAILLES
Les Vivants et les Morts
1913
III
LES ÉLÉVATIONS
LA PRIÈRE
Comment vous aborder, redoutable prière ? 6+6 a
Ce qu'il faudrait, mon Dieu, c'est ne rien demander 6+6 b
Qui n'ait votre impalpable et pensive lumière, 6+6 a
Et qui ne nous combatte au lieu de nous aider. 6+6 b
5 Qu'est-ce qui prie en moi, qu'est-ce qui vous implore, 6+6 a
N'est-ce pas ce désir qui ne s'est jamais tu, 6+6 b
Et qui, ayant lassé tous les échos sonores, 6+6 a
Vient à vous, plus secret, plus vaste et plus têtu ? 6+6 b
J'ai peur qu'on vous offense au fond des calmes sphères 6+6 a
10 Par le besoin que l'homme a d'être contenté, 6+6 b
Par cette pesanteur vers ce que l'on préfère, 6+6 a
Par l'exaltation de toute faculté ! 6+6 b
Il faudrait le formel et morne sacrifice, 6+6 a
Le désert refusant la rosée et le vent, 6+6 b
15 L'extase aux yeux noyés, renonçant au délice 6+6 a
De toucher à la mort avec un cœur vivant. 6+6 b
Aussi je n'ose rien demander à l'espace, 6+6 a
Je sais que la prière est un pressant amour 6+6 b
Qui, comme l'épervier sur le troupeau qui passe, 6+6 a
20 Tombe du haut du ciel, plus rapide et plus lourd ! 6+6 b
Rien n'est pur, rien n'est bon dans le souhait des êtres, 6+6 a
Puisque tout est besoin de calme ou de sanglot, 6+6 b
Ivresse d'absorber, de croître et de connaître, 6+6 a
Inguérissable attrait de la soif et de l'eau ! 6+6 b
25 Les puissants animaux, désolés et sublimes, 6+6 a
Qui dardent dans mon cœur leurs vœux déchus, divins, 6+6 b
Ne me laisseront pas monter jusqu'à vos cimes 6+6 a
Sans que mon être entier ait apaisé leur faim ! 6+6 b
Et puis, avec quels yeux et quelles mains humaines 6+6 a
30 Concevoir votre esprit, vos aspects, vos séjours ? 6+6 b
Parfois, en suffoquant, je pressens vos domaines 6+6 a
Quand il faut plus de place à mon extrême amour ; 6+6 b
Mais je n'offre jamais qu'une âme inassouvie 6+6 a
Qui vous exige ainsi qu'un plus vaste pouvoir, 6+6 b
35 Et qui, dépassant l'air, les formes et la vie, 6+6 a
Poursuit jusqu'en vous-même un éclatant savoir. 6+6 b
Pourtant, regardez-nous, sur les routes réelles 6+6 a
Où nous luttons, mêlés de constance et d'exil, 6+6 b
Accoutumés au sol et tentés par les ailes, 6+6 a
40 Absents de nous déjà, et vers vous en péril… 6+6 b
— Être toujours vaincu et ne pouvoir l'admettre, 6+6 a
Ne pas donner au sort notre consentement, 6+6 b
Et, quand de toute part la mort monte et pénètre, 6+6 a
Rire comme la mer en son blanc flamboiement ! 6+6 b
45 Persévérer en soi malgré l'ardeur nouvelle, 6+6 a
Malgré l'arrachement et la mobilité, 6+6 b
Et sentir je ne sais quelle vie éternelle 6+6 a
Jaillir du seul effort humain d'avoir été. 6+6 b
Avoir toujours cherché, pressenti l'impossible 6+6 a
50 Comme un sûr continent épandu et dissous ; 6+6 b
Et partout exi un amour réversible, 6+6 a
Qui fait que l'onde aussi aurait eu soif de nous ; 6+6 b
Errer dans les matins soulevés et bachiques 6+6 a
Qui semblent pleins de temps, d'espoir, de chauds conseils 6+6 b
55 Et ne plus leur livrer son âme nostalgique 6+6 a
Puisqu'aucun cœur ne bat derrière le soleil ; 6+6 b
Avoir vu peu à peu s'assombrir la nature 6+6 a
Sans pouvoir discerner, au long des frais matins, 6+6 b
Si c'est dans le regard ou les vastes verdures 6+6 a
60 Que le flambeau vivace et prudent s'est éteint ; 6+6 b
N'avoir jamais voulu mettre aucune défense 6+6 a
Entre sa libre vie et votre volonté, 6+6 b
Afin que votre active et confuse présence 6+6 a
Y jette son tumulte et son infinité ; 6+6 b
65 Avoir vraiment connu, dans des lieux héroïques, 6+6 a
L'appétit matinal et joyeux de la mort, 6+6 b
Et senti que la vie allégée et mystique 6+6 a
Fuyait vers quelque appel venu d'un autre bord, 6+6 b
Enfin, avoir porté la douleur exemplaire, 6+6 a
70 L'amour par qui l'on voit, l'on comprend et l'on sait, 6+6 b
Et vivre désormais dans le regret austère 6+6 a
De n'avoir pu mourir quand on se surpassait, 6+6 b
Voyez si ce n'est pas la plus pesante image 6+6 a
De l'âme se trnant jusqu'à votre inconnu, 6+6 b
75 Et, soulevant dé l'éboulement des âges, 6+6 a
Vous présentant l'esprit comme un diamant nu. 6+6 b
— Être un tigre blessé, qui s'allonge et qui saigne 6+6 a
Dans vos forêts, mon Dieu, peu sûr d'être sauvé… 6+6 b
J'ai vu trop de repos chez ceux qui vous atteignent : 6+6 a
80 La sainteté n'est pas de vous avoir trouvé !… 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
logo du CRISCO logo de l'université