Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
NOA_1/NOA8
Anna de NOAILLES
Les Vivants et les Morts
1913
I
LES PASSIONS
ON NE PEUT RIEN VOULOIR…
On ne peut rien vouloir, mais toute chose arrive, 6+6 a
Je ne vous aime pas aujourd'hui tant qu'hier, 6+6 b
Mon cœur n'est plus une eau courant vers votre rive, 6+6 a
Mes pensers sont en moi moins divins, mais plus fiers. 6+6 b
5 Je sais que l'air est beau, que c'est le temps qui brille, 6+6 a
Que la clarté du jour ne me vient pas de vous, 6+6 b
Et j'entends mon orgueil qui me dit : «Chère fille, 6+6 a
Je suis votre refuge éternel et jaloux. 6+6 b
«Quoi, vous vouliez trahir le désir et l'attente ? 6+6 a
10 Vous vouliez étancher votre soif d'infini ? 6+6 b
Vous, reine du désert, qui dormez sous la tente, 6+6 a
Et dont le cœur vorace est toujours impuni ? 6+6 b
«Vous qui rêviez la nuit comme un palmier d'Afrique 6+6 a
A qui le vaste ciel arrache des parfums, 6+6 b
15 Vous avez souhai cet humble amour unique 6+6 a
Où les pleurs consolés tarissent un à un ! 6+6 b
«Vous avez souhai la tendresse peureuse, 6+6 a
L'élan et la stupeur de l'antique animal ; 6+6 b
On n'est pas à la fois enivrée et heureuse, 6+6 a
20 L'univers dans vos bras n'aura pas de rival ; 6+6 b
«Comme le Sahara suffoqué par le sable 6+6 a
Vous brûlerez en vain, sans qu'un limpide amour 6+6 b
Verse à votre chaleur son torrent respirable, 6+6 a
Et vous donne la paix que vous fuiriez toujours…» 6+6 b
25 — Et, tandis que j'entends cette voix forte et brève, 6+6 a
Je regarde vos mains, en qui j'ai fait tenir 6+6 b
Le flambeau, la moisson, l'évangile et le glaive, 6+6 a
Tout ce qui peut tuer, tout ce qui peut bénir. 6+6 b
Je regarde votre humble et délicat visage 6+6 a
30 Par qui j'ai voyagé, vogué, chanté, souffert, 6+6 b
Car tous les continents et tous les paysages 6+6 a
Faisaient de votre front mon sensible univers. 6+6 b
— Vous n'êtes plus pour moi ces jardins de Vérone 6+6 a
Où le verdâtre ciel, gisant dans les cyprès, 6+6 b
35 Semble un pan du manteau que la Vierge abandonne 6+6 a
A quelque ange éperdu qui le baise en secret. 6+6 b
Vous n'êtes plus la France et le doux soir d'Hendaye, 6+6 a
La cloche, les passants, le vent salé, le sol, 6+6 b
Toute cette vigueur d'un rocher qui tressaille 6+6 a
40 Au son du fifre basque et du luth espagnol ; 6+6 b
Vous n'êtes plus l'Espagne, où, comme un couteau courbe 6+6 a
Le croissant de la lune est planté dans le ciel, 6+6 b
Où tout a la fureur prompte, funèbre et fourbe 6+6 a
Du désir satanique et providentiel. 6+6 b
45 Vous n'êtes plus ces bois sacrés des bords de l'Oise, 6+6 a
Ce silence épuré, studieux, musical, 6+6 b
Ce sublime préau monastique, où l'on croise 6+6 a
Le songe d'Héloïse et les yeux de Pascal. 6+6 b
Vous n'êtes plus pour moi les faubourgs du Bosphore 6+6 a
50 Où le veilleur de nuit, compagnon des voleurs, 6+6 b
Annonce que le temps coule de son amphore 6+6 a
Pesant comme le sang et chaud comme les pleurs. 6+6 b
— Ces soleils exaltés, ces œillets, ces cantiques, 6+6 a
Ces accablants bonheurs, ces éclairs dans la nuit, 6+6 b
55 Désormais dormiront dans mon cœur léthargique 6+6 a
Qui veut se repentir autant qu'il vous a nui ; 6+6 b
Allez vers votre simple et calme destie ; 6+6 a
Et comme la lueur d'un phare diligent 6+6 b
Suit longtemps sur la mer les barques étonnées, 6+6 a
60 Je verserai sur vous ma lumière d'argent… 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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