Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
NOA_1/NOA89
Anna de NOAILLES
Les Vivants et les Morts
1913
II
LES CLIMATS
LE PRINTEMPS DU RHIN
(STRASBOURG)
Le vent file ce soir, sous un mol ciel d'airain, 6+6 a
Comme un voilier sur l'Atlantique. 8 b
On entend s'éveiller le Printemps souverain, 6+6 a
A la fois plaintif et bachique : 8 b
5 Un abondant parfum, puissant, trnant et las 6+6 a
Triomphe et pourtant se lamente. 8 b
Le saule a de soyeux bourgeons de chinchilla 6+6 a
Épars sur la plaine dormante. 8 b
Un bouleversement hardi, calme et serein 6+6 a
10 A rompu et soumis l'espace ; 8 b
Les messages des bois et l'effluve marin 6+6 a
S'accostent dans le vent qui passe ! 8 b
Comment s'est-il si vite engouffré dans les bois, 6+6 a
Ce dieu des sèves véhémentes ? 8 b
15 Tout encore est si sec, si nu, si mort de froid ! 6+6 a
— C'est l'invisible qui fermente ! 8 b
Là-bas, comme un orage aigu, accumulé, 6+6 a
La flèche de la cathédrale 8 b
Ajoute le fardeau de son sapin ai 6+6 a
20 A ce ciel qui défaille et râle. 8 b
— Et moi qui, d'un amour si grave et si puissant, 6+6 a
Contenais la rive et le fleuve, 8 b
Je sens qu'un mal divin veut détourner mon sang 6+6 a
De la tristesse où je m'abreuve ; 8 b
25 Je sens qu'une fureur rôde aux franges des cieux, 6+6 a
Se suspend, pèse et se balance. 8 b
Le printemps vient ravir nos rêves anxieux ; 6+6 a
C'est la fougueuse insouciance ! 8 b
C'est un désordre ardent, téméraire, et si sûr 6+6 a
30 De sa tâche auguste et joyeuse, 8 b
Que, comme une ivre armée en fuite vers l'azur, 6+6 a
Nous courons vers la nue heureuse. 8 b
Nous sommes entrnés par toutes les vapeurs 6+6 a
Qui tressaillent et qui consentent, 8 b
35 Par les sonorités, les secrets, les torpeurs, 6+6 a
Par les odeurs réjouissantes ! 8 b
— Mais non, vous n'êtes pas l'universel Printemps, 6+6 a
O saison humide et ployée 8 b
Que j'aspire ce soir, que je touche et j'entends, 6+6 a
40 Qui m'avez brisée et noyée ! 8 b
Vous êtes le parfum que j'ai toujours connu, 6+6 a
Depuis ma stupeur enfantine ; 8 b
La présence aux beaux pieds, le regard ingénu 6+6 a
De ma chaude Vénus latine ! 8 b
45 Vous êtes ce subit joueur de tambourin 6+6 a
A qui les montagnes répondent, 8 b
Et dont le chant nombreux anime sur le Rhin 6+6 a
La vive effusion de l'onde ! 8 b
Vous êtes le pollen des hêtres et des lis, 6+6 a
50 L'amoureuse et vaste espérance, 8 b
Et les brûlants soupirs que les nuits d'Éleusis 6+6 a
Ont légués à l'Ile-de-France ! 8 b
C'est à moi que ce soir vous livrez le secret 6+6 a
De votre grâce turbulente ; 8 b
55 Les autres ne verront que l'essor calme et frais 6+6 a
De votre croissance si lente. 8 b
Les autres ne verront,-Alsace aux molles eaux 6+6 a
Qu'un zéphyr moite endort et creuse, 8 b
Que vos étangs gisants, qui frappent de roseaux 6+6 a
60 Votre dignité langoureuse ! 8 b
Les autres ne verront que vos remparts brisés, 6+6 a
Que vos portes toujours ouvertes, 8 b
Où passe sans répit, sous un masque apaisé, 6+6 a
Le tumulte des brises vertes ! 8 b
65 Les autres ne verront, ô ma belle cité, 6+6 a
Que la grave et sombre paupière 8 b
De tes toits inclinés, qui font à ta fierté 6+6 a
Un voile d'ombre et de prière. 8 b
Ils ne verront, ceux-là, de ton songe éternel, 6+6 a
70 Que ta plaine qui rêve et fume, 8 b
Que tes châteaux du soir, endormis dans le ciel. 6+6 a
— J'ai vu ton frein couvert d'écume ! 8 b
Ceux-là ne sauront voir, à ton balcon fameux, 6+6 a
Que la Marseillaise endormie ; 8 b
75 — Moi j'ai vu le soleil, de son égide en feu, 6+6 a
Empourprer ta feinte accalmie. 8 b
Les autres ne verront que ce grand champ des morts, 6+6 a
Où le Destin s'assied, hésite, 8 b
Et contemple le temps assoupi sur les corps… 6+6 a
80 — Moi j'ai vu ce qui ressuscite ! 8 b
mètre profils métriques : 8, 6+6
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