Métrique en Ligne
NOA_1/NOA74
Anna de NOAILLES
Les Vivants et les Morts
1913
II
LES CLIMATS
LES RIVES ROMANESQUES
Soir paresseux des lacs, douceur lente des rames, 6+6 a
Qui, sur l'eau susceptible, élancez des frissons, 6+6 b
Romanesque blancheur des terrasses, chansons 6+6 b
Que des nomades font retentir, où se pâme 6+6 a
5 Le vocable éternel du triste amour, quelle âme 6+6 a
Tromperez-vous ce soir par votre déraison ? 6+6 b
L'absorbante chaleur voile les monts d'albâtre, 6+6 a
Un généreux feuillage abrite les chemins, 6+6 b
Les hameaux ont l'odeur du laitage et de l'âtre ; 6+6 a
10 Et les montagnes sont, dans l'espace bleuâtre, 6+6 a
Hautes et torturées comme un courage humain. 6+6 b
Au loin les voiliers las ont l'air de tourterelles, 6+6 a
Qui, dans ce paradis liquide et sommeillant, 6+6 b
Renonçant à l'éther, laissent flotter leurs ailes 6+6 a
15 Et gisent, transpercés par le flot scintillant. 6+6 b
Et la nuit vient, serrant ses mailles d'argent sombre 6+6 a
Sur l'Alpe bondissante où le jour ruisselait, 6+6 b
Et c'est comme un subit, sournois coup de filet, 6+6 b
Capturant l'horizon, qui palpite dans l'ombre 6+6 a
20 Comme un peuple d'oiseaux aux voûtes d'un palais 6+6 b
Un vert fanal au port tremble dans l'eau tranquille ; 6+6 a
Tout a la calme paix des astres arrêtés ; 6+6 b
Il semble qu'on soit loin des champs comme des villes ; 6+6 a
L'air est ample et profond dans l'immobilité ; 6+6 b
25 Et l'on croit voir jaillir de sensibles idylles 6+6 a
De toute la douceur de cette nuit d'été ! 6+6 b
— Pourquoi nous trompez-vous, beauté des paysages, 6+6 a
Aspect fidèle et pur des romanesques nuits, 6+6 b
Engageante splendeur, vent courant comme un page, 6+6 a
30 Secrète expansion des odeurs, calme bruit, 6+6 b
Silencieux désirs montant du fond des âges ? 6+6 a
Pourquoi nous faites-vous espérer le bonheur 6+6 a
Quand, par delà les lois, l'esprit, la conscience, 6+6 b
Vous ressemblez au but qu'entrevoit le coureur ? 6+6 a
35 Dans un séjour où rien n'est péché ni douleur, 6+6 a
Sous l'arbre désormais béni de la science, 6+6 b
Vous convoquez les corps et les cœurs pleins d'ardeur ! 6+6 a
Mais, hélas ! les humains et la grande Nature 6+6 a
N'échangent plus leur sombre et différente humeur ; 6+6 b
40 Entre eux tout est mensonge, épouvante, imposture ; 6+6 a
Les souhaits infinis, les peines, les blessures 6+6 a
Ne trouvent pas en elle un remède à leurs pleurs. 6+6 b
La terre indifférente, exhalant ses senteurs, 6+6 c
N'a d'accueil maternel que pour celui qui meurt. 6+6 c
45 — Terre, prenez les morts, soyez douce à leur rêve ; 6+6 a
Serrez-les contre vous, rendez-les éternels, 6+6 b
Donnez-leur des matins de rosée et de sève, 6+6 a
Mêlez-les à vos fruits, vos métaux et vos sels. 6+6 b
Qu'ils soient participants à vos soins innombrables, 6+6 a
50 Que, depuis le sol noir jusqu'au divin éther, 6+6 b
Plus légers, plus nombreux que les vents du désert, 6+6 b
Ils aillent, légion furtive, impondérable ! 6+6 a
Mais nous, nous ne pouvons qu'être des cœurs humains : 6+6 a
Nous habitons l'esprit, les passions, la foule ; 6+6 b
55 Nous sommes la moisson, et nous sommes la houle ; 6+6 b
Nous bâtissons un monde avec nos tristes mains ; 6+6 a
Et tandis que le jour insouciant se lève 6+6 c
Sans jamais secourir ou protéger nos rêves, 6+6 c
La force de nos cœurs construit les lendemains 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite périodique
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