Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
NOA_1/NOA72
Anna de NOAILLES
Les Vivants et les Morts
1913
II
LES CLIMATS
LE RETOUR AU LAC LEMAN
Je retrouve le calme | et vaste paysage : 6+6 a
C'est toujours sur les monts, | les routes, les rivages, 6+6 a
Vos gais bondissements, | chaleur aux pieds d'argent ! 6+6 a
Le monde luit au sein | de l'azur submergeant 6+6 a
5 Comme une pêcherie | aux mailles d'une nasse ; 6+6 a
Je vois, comme autrefois, | sur le bord des terrasses, 6+6 a
Des jeunes gens ; l'un rêve, | un autre fume et lit ; 6+6 a
Un balcon, languissant | comme un soir au Chili, 6+6 a
Couve d'épais parfums | à l'ombre de ses stores. 6+6 a
10 Le lac, tout embué | d'avoir noyé l'aurore, 6+6 a
Encense de vapeurs | le paresseux été ; 6+6 a
Et le jour traîne ainsi | sa parfaite beauté 6+6 a
Dans une griserie | indolente et muette. 6+6 a
Soudain l'azur fraîchit, | le soir vient ; des mouettes 6+6 a
15 S'abattent sur les flots ; | leur vol compact et lourd 6+6 a
Qui semble harceler | la faiblesse du jour 6+6 a
Donne l'effroi subit | des mauvaises nouvelles… 6+6 a
Il semble, tant l'éther | est comblé par des ailes, 6+6 a
Que quelque arbre géant, | par le vent agité, 6+6 a
20 Laisse choir ce feuillage | agile et duveté. 6+6 a
Et le soleil s'abaisse, | et comme un doux désastre, 6+6 a
Frappé par les rayons | du soleil vertical 6+6 b
Tout s'attriste, languit ; | le lac oriental 6+6 b
A le liquide éclat | des métaux dans les astres ; 6+6 a
25 Et le cœur est soudain | par le soir attaqué… 6+6 a
Et tous deux nous marchons | sur les dalles du quai. 6+6 a
Nous sommes un instant | des vivants sur la terre ; 6+6 a
Ces montagnes, ces prés, | ces rives solitaires 6+6 a
Sont à nous ; et pourtant | je ne regarde plus 6+6 a
30 Avec la même ardeur | un monde qui m'a plu. 6+6 a
Je laisse s'écouler | aux deux bords de mon âme 6+6 a
Les ailes, les aspects, | les effluves, les flammes ; 6+6 a
Je ne répondrai pas | à leur frivole appel : 6+6 a
Mon esprit tient captifs | des oiseaux éternels. 6+6 a
35 Je ne regarde plus | que la cime croissante 6+6 a
Des arbres, qui toujours | s'efforçant vers le ciel, 6+6 b
Détachant leur regard | des plaines nourrissantes, 6+6 a
Écoutent la douceur | du soir confidentiel 6+6 b
Et montent lentement | vers la lune ancienne… 6+6 a
40 Je songe au noble éclat | des nuits platoniciennes, 6+6 a
A la flotte détruite | un soir syracusain, 6+6 a
A Eschyle, inhumé | à l'ombre des raisins, 6+6 a
Dans Géla, sous la terre | heureuse de Sicile. 6+6 a
Je songe à ces déserts | où florissaient des villes ; 6+6 a
45 A cet entassement | de siècles et d'ardeur 6+6 a
Que le soleil toujours, | comme un divin voleur, 6+6 a
Va puiser dans la tombe | et redonne à la nue. 6+6 a
Je songe à la vie ample, | antique, continue ; 6+6 a
Et à vous, qui marchez | près de moi, et portez 6+6 a
50 Avec moi la moitié | du rêve et de l'été ; 6+6 a
A vous, qui comme moi, | témoin de tous les âges, 6+6 a
Tenez l'engagement, | plein d'un grave courage, 6+6 a
De bien vous souvenir, | en tout temps, en tout lieu, 6+6 a
Que l'homme en insistant | réalise son Dieu, 6+6 a
55 Et qu'il a pour devoir, | dans la Nature obscure, 6+6 a
De la doter d'une âme | intelligible et pure, 6+6 a
De guider l'Univers | avec un cœur si fort 6+6 a
Que toujours soit plus beau | chaque instant qui se lève ; 6+6 b
Et d'écouter avec | un mystique transport 6+6 a
60 Les sublimes leçons | que donnent à nos rêves 6+6 b
L'infatigable voix | de l'amour et des morts… 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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