Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
NOA_1/NOA6
Anna de NOAILLES
Les Vivants et les Morts
1913
I
LES PASSIONS
QUE M'IMPORTE AUJOURD'HUI…
Que m'importe aujourd'hui | qu'un monde disparaisse ! 6+6 a
Puisque tu vis, le temps | peut glacer les étés, 6+6 b
Rien ne peut me frustrer | de la sainte allégresse 6+6 a
Que ton corps ait été ! 6 b
5 Même lorsque la mort | finira mon extase, 6+6 a
Quand toi-même seras | dans l'ombre disparu, 6+6 b
Je bénirai le sol | qui fut le flanc du vase 6+6 a
Où tes pieds ont couru ! 6 b
— Tu viens, l'air retentit, | ta main ouvre la porte, 6+6 a
10 Je vois que tout l'espace | est orné de tes yeux, 6+6 b
Tu te tais avec moi, | que veux-tu qu'on m'apporte, 6+6 a
A moi qui suis le feu ? 6 b
La nuit, je me réveille, | et comme une blessure, 6+6 a
Mon rêve déchiré | te cherche aux alentours, 6+6 b
15 Et je suis cet avare | éperdu, qui s'assure 6+6 a
Que son or luit toujours. 6 b
Je constate ta vie | en respirant, mon souffle 6+6 a
N'est que la certitude | et le reflet du tien, 6+6 b
Déjà je m'enfuyais | de ce monde où je souffre, 6+6 a
20 C'est toi qui me retiens. 6 b
Parfois je t'aime avec | un silence de tombe, 6+6 a
Avec un vaste esprit, | calme, tiède, terni, 6+6 b
Et mon cœur pend sur toi | comme une pierre tombe 6+6 a
Dans le vide infini ! 6 b
25 J'habite un lieu secret, | ardent, mystique et vague 6+6 a
Où tout agit pour toi, | où mon être est néant ; 6+6 b
Mais le vaisseau alerte | est porté par la vague, 6+6 a
Je suis ton Océan ! 6 b
Autrefois, étendue | au bord joyeux des mondes, 6+6 a
30 Déployée et chantant | ainsi que les forêts, 6+6 b
J'écoutais la Nature, | insondable et féconde, 6+6 a
Me livrer des secrets. 6 b
Je me sentais le cœur | qu'un Dieu puissant préfère, 6+6 a
L'anneau toujours intact | et toujours traversé 6+6 b
35 Qui joint le cri terrestre | aux musiques des sphères, 6+6 a
L'avenir au passé. 6 b
A présent je ne vois, | ne sens que ta venue, 6+6 a
Je suis le matelot | par l'orage assailli 6+6 b
Qui ne regarde plus | que le point de la nue 6+6 a
40 Où la foudre a jailli ! 6 b
— Je te donne un amour | qu'aucun amour n'imite, 6+6 a
Des jardins pleins du vent | et des oiseaux des bois, 6+6 b
Et tout l'azur qui luit | dans mon cœur sans limites, 6+6 a
Mais resserré sur toi. 6 b
45 Je compte l'âge immense | et pesant de la terre 6+6 a
Par l'escalier des nuits | qui monte à tes aïeux, 6+6 b
Et par le temps sans fin | où ton corps solitaire 6+6 a
Dormira sous les cieux. 6 b
C'est toi l'ordre, la loi, | la clarté, le symbole, 6+6 a
50 Le signe exact et bref | par qui tout est certain, 6+6 b
Qui dans mon triste esprit | tinte comme une obole, 6+6 a
Au retour du matin. 6 b
— J'ai longtemps repoussé | l'approche de l'ivresse, 6+6 a
L'encens, la myrrhe et l'or | que portaient les trois rois ; 6+6 b
55 Je disais : «Ce bonheur, | s'il se peut, ô Sagesse, 6+6 a
Qu'il passe loin de moi ! 6 b
Qu'il passe loin de moi | cet odorant calice ; 6+6 a
Même en mourant de soif, | je peux le refuser, 6+6 b
Si la consomption, | les orgueils, le cilice 6+6 a
60 Protègent du baiser.» 6 b
— Mais le Destin, pensif, | alourdi, plein de songes, 6+6 a
M'indiquait en riant | mon martyre ébloui. 6+6 b
L'avenir aimanté | déjà vers nous s'allonge, 6+6 a
Tout ce qui vit dit oui. 6 b
65 Tout ce qui vit dit : Prends, | goûte, possède, espère, 6+6 a
Ta conscience aussi | trouvera bien son lot, 6+6 b
Car l'amour, radieux | comme un verger prospère, 6+6 a
Est gonflé de sanglots : 6 b
De sanglots, de soupirs, | de regrets et de rage 6+6 a
70 Dont il faut tout subir. | Quelque chose se meurt 6+6 b
Dans l'empire implacable | et sacré du courage, 6+6 a
Quand on fuit le bonheur ! 6 b
Et je disais : «Seigneur, | ce bien, ce mal suprême, 6+6 a
Ma chaste volonté | ne veut pas le saisir, 6+6 b
75 Mais mon être infini | est autour de moi-même 6+6 a
Un cercle de désir ; 6 b
Des générations, | des siècles, des mémoires 6+6 a
Ont mis leur espérance | et leur attente en moi ; 6+6 b
Je suis le lieu choisi | où leur mystique histoire 6+6 a
80 Veut périr sur la croix.» 6 b
Une âpre, une divine, | une ineffable étreinte, 6+6 a
Un baiser que le temps | n'a pas encor donné 6+6 b
Attendait, pour jaillir | hors de la vaste enceinte, 6+6 a
Que mon désir fût né. 6 b
85 Dans les puissants matins | des émeutes d'Athènes 6+6 a
Ainsi courait un peuple | ivre, agile, enflammé, 6+6 b
Que la Minerve d'or, | debout sur les fontaines, 6+6 a
Ne pouvait pas calmer… 6 b
— J'accepte le bonheur | comme une austère joie, 6+6 a
90 Comme un danger robuste, | actif et surhumain ; 6+6 b
J'obéis en soldat | que la Victoire emploie 6+6 a
A mourir en chemin : 6 b
Le bonheur, si criblé | de balles et d'entailles, 6+6 a
Que ceux qui l'ont connu | dans leur chair et leurs os 6+6 b
95 Viennent rêver le soir | sur les champs de bataille 6+6 a
Où gisent les héros… 6 b
mètre profils métriques : 6, 6+6
logo du CRISCO logo de l'université