Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
NOA_1/NOA5
Anna de NOAILLES
Les Vivants et les Morts
1913
I
LES PASSIONS
J'ESPÈRE DE MOURIR…
J'espère de mourir d'une mort lente et forte, 6+6 a
Que mon esprit verra doucement approcher 6+6 b
Comme on voit une sœur entrebâiller la porte, 6+6 a
Qui sourit simplement et qui vient vous chercher. 6+6 b
5 Je lui dirai : Venez, chère mort, je vous aime, 6+6 a
Après mes longs travaux, voici vos nobles jeux. 6+6 b
J'ai longtemps refu votre secours suprême, 6+6 a
Car si le corps est las, l'esprit est courageux. 6+6 b
Mais venez, délivrez un courage qui s'use, 6+6 a
10 Abrégez le combat, rendez à l'univers 6+6 b
L'immense poésie embuée et confuse 6+6 a
Dont mon âme et mon corps ont si longtemps souffert ! 6+6 b
Les torrents des rochers, le sable blond des rives, 6+6 a
Les vaisseaux balancés, l'Automne dans les bois, 6+6 b
15 Les bêtes des forêts, surprises et captives, 6+6 a
Méditaient dans mon cœur et gémissaient en moi ! 6+6 b
O mort, laissez-les fuir vers la forêt puissante, 6+6 a
Ces fauves compagnons de mon silence ardent ! 6+6 b
Que leur native ardeur, féroce et caressante, 6+6 a
20 Peuple la chaude nuit d'un murmure obsédant. 6+6 b
Ce n'était pas mon droit de garder dans mon être 6+6 a
Un aspect plus divin de la création ; 6+6 b
De savoir tout aimer, de pouvoir tout connaître 6+6 a
Par les secrets chemins de l'inspiration ! 6+6 b
25 Ce n'était pas mon droit, aussi la destie, 6+6 a
Comme un guerrier sournois, chaque jour, chaque nuit, 6+6 b
Attaquait de sa main habile et forcee 6+6 a
Le sublime butin qui me comble et me nuit. 6+6 b
Mais venez, chère mort ; mon âme vous appelle, 6+6 a
30 Asseyez-vous ici et donnez-moi la main. 6+6 b
Que votre bras soutienne un front longtemps rebelle, 6+6 a
Et recueille la voix du plus las des humains : 6+6 b
— Prenez ces yeux, emplis de vastes paysages, 6+6 a
Qui n'ont jamais bien vu l'exact et le réel, 6+6 b
35 Et qui, toujours troublés par de changeants visages, 6+6 a
Ont versé plus de pleurs que la mer n'a de sel. 6+6 b
Prenez ce cœur puissant qu'un faible corps opprime, 6+6 a
Et qui, heurtant sans fin ses étroites parois, 6+6 b
Eut l'attrait du divin et le pouvoir des cimes, 6+6 a
40 Et s'élevait aux cieux comme la pierre choit. 6+6 b
Ah ! vraiment le tombeau qui dévore et qui ronge, 6+6 a
Le sol, tout compo d'étranges corrosifs, 6+6 b
L'ombre fade et mouillée où les racines plongent, 6+6 a
Le nid de la corneille au noir sommet des ifs, 6+6 b
45 Pourront-ils m'accorder cette paix sans seconde, 6+6 a
Sommeil que mon labeur tenace a mérité, 6+6 b
Et saurai-je, en mourant, restituer au monde 6+6 a
Ce grand abus d'amour, de rêve et de clarté ? 6+6 b
Hélas ! je voudrais bien ne plus être orgueilleuse, 6+6 a
50 Mais ce que j'ai souffert m'arrache un cri vainqueur. 6+6 b
Pour élancer encor ma voix tempétueuse 6+6 a
Il faudrait une foule, et qui n'aurait qu'un cœur ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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