Métrique en Ligne
NOA_1/NOA47
Anna de NOAILLES
Les Vivants et les Morts
1913
II
LES CLIMATS
SYRACUSE
Excite maintenant tes compagnons du chœur
à célébrer l'illustre Syracuse !…
PINDARE.
Je me souviens d'un chant du coq, à Syracuse ! 6+6 a
Le matin s'éveillait, tempétueux et chaud ; 6+6 b
La mer, que parcourait un vent large et dispos, 6+6 b
Dansait, ivre de force et de lumière infuse ! 6+6 a
5 Sur le port, assailli par les flots aveuglants, 6+6 a
Des matelots clouaient des tonneaux et des caisses, 6+6 b
Et le bruit des marteaux montait dans la fournaise 6+6 b
Du jour, de tous ces jours glorieux, vains et lents ; 6+6 a
J'étais triste. La ville illustre et misérable 6+6 a
10 Semblait un Prométhée sur le roc attaché ; 6+6 b
Dans le grésillement marmoréen du sable 6+6 a
Piétinaient les troupeaux qui sortaient des étables ; 6+6 a
Et, comme un crissement de métal ébréché, 6+6 b
Des cigales mordaient un blé blanc et séché. 6+6 b
15 Les persiennes semblaient à jamais retombées 6+6 a
Sur le large vitrail des palais somnolents ; 6+6 b
Les balcons espagnols accrochaient aux murs blancs 6+6 b
Broyés par le soleil, leurs ferrures bombées : 6+6 a
Noirs cadenas scellés au granit pantelant 6+6 b
20 Dans le musée, mordu ainsi qu'un coquillage 6+6 a
Par la ruse marine et la clarté de l'air, 6+6 b
Des bustes sommeillaient,-dolents, calmes visages, 6+6 a
Qui s'imprègnent encor, par l'éclatant vitrage, 6+6 a
De la vigueur saline et du limpide éther. 6+6 b
25 Une craie enflammée enveloppait les arbres ; 6+6 a
Les torrents secs n'étaient que des ravins épars, 6+6 b
De vifs géraniums, déchirant le regard, 6+6 b
Roulaient leurs pourpres flots dans ces blancheurs de marbre 6+6 a
— Je sentais s'insérer et brûler dans mes yeux 6+6 a
30 Cet éclat forcené, inhumain et pierreux. 6+6 a
Une suture en feu joignait l'onde au rivage. 6+6 a
J'étais triste, le jour passait. La jaune fleur 6+6 b
Des grenadiers flambait, lampe dans le feuillage. 6+6 a
Une source, fuyant l'étreignante chaleur, 6+6 b
35 Désertait en chantant l'aride paysage. 6+6 a
Parfois sur les gazons brûlés, le pourpre épi 6+6 a
Des trèfles incarnats, le lin, les scabieuses, 6+6 b
Jonchaient par écheveaux la plaine soleilleuse, 6+6 b
Et l'herbage luisait comme un vivant tapis 6+6 a
40 Que n'ont pas achevé les frivoles tisseuses. 6+6 b
Le théâtre des Grecs, cirque torride et blond, 6+6 a
Gisait. Sous un mûrier, une auberge voisine 6+6 b
Vendait de l'eau : je vis, dans l'étroite cuisine, 6+6 b
Les olives s'ouvrir sous les coups du pilon 6+6 a
45 Tandis qu'on recueillait l'huile odorante et fine. 6+6 b
Et puis vint le doux soir. Les feuilles des figuiers 6+6 a
Caressaient, doigts légers, les murailles bleuâtres. 6+6 b
D'humbles, graves passants s'interpellaient ; les pieds 6+6 a
Des chevreaux au poil blanc, serrés autour du pâtre, 6+6 b
50 Faisaient monter du sol une poudre d'albâtre. 6+6 b
Un calme inattendu, comme un plus pur climat, 6+6 a
Ne laissait percevoir que le chant des colombes. 6+6 b
Au port, de verts fanaux s'allumaient sur les mâts. 6+6 a
Et l'instant semblait fier, comme après les combats 6+6 c
55 Un nom chargé d'honneur sur une jeune tombe. 6+6 b
C'était l'heure où tout luit et murmure plus bas 6+6 c
La fontaine Aréthuse, enclose d'un grillage, 6+6 a
Et portant sans orgueil un renom fabuleux, 6+6 b
Faisait un bruit léger de pleurs et de feuillage 6+6 a
60 Dans les frais papyrus, élancés et moelleux 6+6 b
Enfin ce fut la nuit, nuit qui toujours étonne 6+6 a
Par l'insistante angoisse et la muette ardeur. 6+6 b
La lune plongeait, telle une blanche colonne, 6+6 a
Dans la rade aux flots noirs, sa brillante liqueur. 6+6 b
65 Un solitaire ennui aux astres se raconte ; 6+6 a
Je contemplais le globe au front mystérieux, 6+6 b
Et qui, ruine auguste et calme dans les cieux, 6+6 b
Semble un fragment divin, retiré, radieux, 6+6 b
De vos temples, Géla, Ségeste, Sélinonte ! 6+6 a
70 — O nuit de Syracuse : Urne aux flancs arrondis ! 6+6 a
Logique de Platon ! Âme de Pythagore ! 6+6 b
Ancien Testament des Hellènes ; amphore 6+6 b
Qui verses dans les cœurs un vin sombre et hardi, 6+6 a
Je sais bien les secrets que ton ombre m'a dits. 6+6 a
75 Je sais que tout l'espace est empli du courage 6+6 a
Qu'exhalèrent les Grecs aux genoux bondissants ; 6+6 b
Les chauds rayons des nuits, la vapeur des nuages 6+6 a
Sont faits avec leur voix, leurs regards et leur sang. 6+6 b
Je sais que des soldats, du haut des promontoires, 6+6 a
80 Chantant des vers sacrés et saluant le sort, 6+6 b
Se jetaient en riant aux gouffres de la mort 6+6 b
Pour retomber vivants dans la sublime Histoire ! 6+6 a
Ainsi ma nuit passait. L'ache, l'anet crépu 6+6 a
Répandaient leurs senteurs. Je regardais la rade ; 6+6 b
85 La paix régnait partout où courut Alcibiade, 6+6 b
Mais, — noble obsession des âges révolus,— 6+6 a
L'éther semblait empli de ce qui n'était plus 6+6 a
J'entendis sonner l'heure au noir couvent des Carmes. 6+6 a
L'espace regorgeait d'un parfum d'orangers, 6+6 b
90 J'écoutais dans les airs un vague appel aux armes 6+6 a
— Et le pouvoir des nuits se mit à propager 6+6 b
L'amoureuse espérance et ses divins dangers : 6+6 b
O désir du désir, du hasard et des larmes ! 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de strophes
logo du CRISCO logo de l'université