Métrique en Ligne
NOA_1/NOA36
Anna de NOAILLES
Les Vivants et les Morts
1913
I
LES PASSIONS
LE MONDE INTÉRIEUR
«Car l'exceptionnel, voilà ta tâche…»
NIETZSCHE.
Il est des jours encor, où, malgré la sagesse, 6+6 a
Malgré le vœu prudent de rétrécir mon cœur, 6+6 b
Je m'élance, l'esprit gonflé de hardiesse, 6+6 a
Dans l'attirant espace inondé de bonheur ! 6+6 b
5 Je regarde au lointain les arbres, les verdures 6+6 a
Retenir le soleil ou le laisser couler, 6+6 b
Et former ces aspects de calme ou d'aventures 6+6 a
Qui bercent le désir sur un branchage ailé ! 6+6 b
Mais quand je tente encor ces célestes conquêtes, 6+6 a
10 Cette ivre invasion dans le divin azur, 6+6 b
J'entends de toutes parts la nature inquiète, 6+6 a
Me dire : «Tu n'as plus ton vol puissant et sûr. 6+6 b
«Tu es sans foi ; va-t'en vers les corps, vers les âmes, 6+6 a
Rien de nous ne peut plus se mêler à ton cœur. 6+6 b
15 Tu n'es plus cette enfant, libre comme la flamme, 6+6 a
Qui montait comme un jet de bourgeons et d'odeurs ! 6+6 b
«Nous fûmes ta maison, ta paix et ton refuge, 6+6 a
Tu n'avais pas, alors, connu le mal humain, 6+6 b
Mais tes pleurs effrénés, plus forts que le déluge, 6+6 a
20 Ont détruit nos moissons et troublé nos chemins. 6+6 b
«Nous ne serions pour toi qu'un décor taciturne 6+6 a
Qui te fut sans secours dans d'insignes douleurs ; 6+6 b
Fuis l'aube vaporeuse et l'étoile nocturne, 6+6 a
Ton désir s'est voué au monde intérieur ! 6+6 b
25 «L'aurore, les matins, les brises, les feuillages, 6+6 a
Les cieux, frais et bombés comme un cloître vivant, 6+6 b
Les cieux qui, même alors que l'été les ravage, 6+6 a
Contiennent la splendeur immobile des vents, 6+6 b
«Tu les verras au bord des visages qui rêvent, 6+6 a
30 Où la pâleur ressemble à des soleils couchants, 6+6 b
Au fond des yeux, tremblants comme un lac où se lève 6+6 a
L'orchestre des flots bleus, des rames et des chants ! 6+6 b
«Tu les recueilleras au creux des mains ouvertes 6+6 a
Où coule en fusion l'or de la volupté, 6+6 b
35 Il n'est pas d'autre azur, ni d'autres forêts vertes 6+6 a
Que ces embrasements plus fauves que l'été ! 6+6 b
«L'amour qui me ressemble et qui n'a pas de rives 6+6 a
Te rendra ces transports, ces transes, ces clartés, 6+6 b
Ces changeantes saisons, riantes ou plaintives, 6+6 a
40 Qui t'avaient attachée à notre immensité 6+6 b
— Et je me sens alors hors du monde, infidèle, 6+6 a
Étrangère aux splendeurs des prés délicieux, 6+6 b
Où le feuillage uni et nuancé rappelle 6+6 a
La multiplicité du regard dans les yeux. 6+6 b
45 Et je reviens à vous, ardente et monastique, 6+6 a
O Méditation, Archange audacieux, 6+6 b
Ville haute et sans borne, éparse et sans portique, 6+6 a
Où mon cœur violent a le pouvoir de Dieu !… 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite périodique
schéma : 12(abab)
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