Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
NOA_1/NOA128
Anna de NOAILLES
Les Vivants et les Morts
1913
IV
LES TOMBEAUX
JE VIVAIS. MON REGARD, COMME UN PEUPLE…
Je vivais. Mon regard, | comme un peuple d'abeilles, 6+6 a
Amenait à mon cœur | le miel de l'univers. 6+6 b
Anxieuse, la nuit, | quand toute âme sommeille, 6+6 a
Je dormais, l'esprit entr'ouvert ! 8 b
5 La joie et le tourment, | l'effort et l'agonie, 6+6 a
De leur même tumulte | étourdissaient mes jours. 6+6 b
J'abordais sans vertige | aux choses infinies, 6+6 a
Franchissant la mort par l'amour ! 8 b
Vivante, et toujours plus | vivante au sein des larmes, 6+6 a
10 Faisant de tous mes maux | un exaltant emploi, 6+6 b
J'étais comme un guerrier | transpercé par des armes, 6+6 a
Qui s'enivre du sang qu'il voit ! 8 b
La justice, la paix, | les moissons, les batailles, 6+6 a
Toute l'activité | fougueuse des humains, 6+6 b
15 Contractait avec moi | d'augustes fiançailles, 6+6 a
Et mettait son feu dans ma main. 8 b
Comme le prêtre en proie | à de sublimes transes, 6+6 a
J'apercevais le monde | à travers des flambeaux ; 6+6 b
Je possédais l'ardente | et féconde ignorance, 6+6 a
20 Parfois, je parlais des tombeaux. 8 b
Je parlais des tombeaux, | et ma voix abusée 6+6 a
Chantait le sol fécond, | l'arbuste renaissant, 6+6 b
La nature immortelle, | et sa force puisée 6+6 a
Au fond des gouffres languissants ! 8 b
25 J'ignorais, je niais | les robustes attaques 6+6 a
Que livrent aux humains | le destin et le temps ; 6+6 b
Et quand le ciel du soir | a la douceur opaque 6+6 a
Et triste des étangs, 6 b
Je cherchais à poursuivre | à travers les espaces 6+6 a
30 Ces routes de l'esprit | que prennent les regards, 6+6 b
Et, dans cet infini, | mon âme, jamais lasse, 6+6 a
Traçait son sillon comme un char. 8 b
Tout m'était turbulence | ou tristesse attentive ; 6+6 a
La mort faisait partie | heureuse des vivants, 6+6 b
35 Dans ces sphères du rêve | où mon âme inventive 6+6 a
S'enivrait d'azur et de vent ! 8 b
Ainsi, sans rien connaître, | ainsi, sans rien comprendre, 6+6 a
Maintenant l'univers | comme sur un brasier, 6+6 b
Je contemplais la flamme | et j'ignorais les cendres, 6+6 a
40 O nature ! que vous faisiez. 8 b
Je vivais, je disais | les choses éphémères ; 6+6 a
Les siècles renaissaient | dans mon verbe assuré, 6+6 b
Et, vaillante, en dépit | d'un cœur désespéré, 6+6 b
Je marchais, en dansant, | au bord des eaux amères. 6+6 a
45 A présent, sans détour, | s'est présentée à moi 6+6 a
La vérité certaine, | achevée, immobile ; 6+6 b
J'ai vu tes yeux fermés | et tes lèvres stériles. 6+6 b
Ce jour est arrivé, | je n'ai rien dit, je vois. 6+6 a
Je m'emplis d'une vaste | et rude connaissance, 6+6 a
50 Que j'acquiers d'heure en heure, | ainsi qu'un noir trésor 6+6 b
Qui me dispense une âpre | et totale science : 6+6 a
Je sais que tu es mort… 6 b
mètre profils métriques : 8, 6, 6+6
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