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NOA_1/NOA111
Anna de NOAILLES
Les Vivants et les Morts
1913
III
LES ÉLÉVATIONS
LES MÂNES DE NAPOLÉON
On voit un blanc jardin et des pelouses vertes. 6+6 a
Le jour d'été nous suit par les portes ouvertes, 6+6 a
Et visite avec nous le dôme nébuleux. 6+6 b
Le vitrage répand des flots de rayons bleus 6+6 b
5 Pareils à la lueur des campagnes d'Égypte. 6+6 a
Des étrangers, autour de la muette crypte, 6+6 a
Contemplent, le visage appuyé sur leurs mains, 6+6 b
Cette cendre d'un dieu resté chez les humains. 6+6 b
Lourd comme un noir canon d'où s'envole la poudre 6+6 a
10 On voit luire l'autel, couleur d'encre et de foudre, 6+6 a
Où l'on peut méditer, toucher, goûter l'honneur, 6+6 b
Vif comme l'onde, et chaud comme sous l'Équateur ! 6+6 b
Pour un esprit qui songe un tel lieu doit suffire. 6+6 a
— O héros endormi dans le bloc de porphyre, 6+6 a
15 En vain, dans l'univers, nous recherchions vos pas : 6+6 b
Vous embrassez le monde, il ne vous contient pas. 6+6 b
Sous les palmiers du Nil, sur l'or mouillé des sables, 6+6 a
Vos pas victorieux restaient insaisissables. 6+6 a
Dans les bleuâtres soirs du parc de Malmaison, 6+6 b
20 Votre ombre erre toujours par delà l'horizon. 6+6 b
Mais la mort déférente, assoupie et sans borne 6+6 a
Est assez vaste, enfin, pour votre face morne. 6+6 a
On contemple, effrayé : ce lit pourpre et puissant 6+6 b
Enferme ce qui fut votre âme et votre sang. 6+6 b
25 Et vous êtes là, vous à qui l'on ne peut croire 6+6 a
Tant vous êtes encore au-dessus de la gloire ! 6+6 a
De quel esprit serein, de quel orgueil content, 6+6 b
Je songe qu'à jamais vous emplissez le temps, 6+6 b
Et que l'orgueil sacré peut laisser choir à terre, 6+6 a
30 Dans ce temple français de la Victoire Aptère, 6+6 a
Ces ailes que l'on vit sur toutes les cités, 6+6 b
Épandre leur tempête et leur témérité ! 6+6 b
Je pense à votre grand retour de l'île d'Elbe ; 6+6 a
Les blancs oiseaux des mers, les alcyons, les grèbes, 6+6 a
35 Chauds de soleils, pareils à des aigles d'argent 6+6 b
Vous suivaient sur la mer où vous alliez, songeant. 6+6 b
Quand vous êtes venu, seul, et jetant vos armes, 6+6 a
Les faces des soldats se couvrirent de larmes. 6+6 a
Ainsi vit-on, un jour, jaillir et s'épancher 6+6 b
40 L'eau vive que Moïse arrachait du rocher ! 6+6 b
Avançant lentement par Cannes, par Grenoble, 6+6 a
Vous marchiez tout le jour ; prévoyant, calme, noble ; 6+6 a
Invincible, isolé, sûr comme le destin, 6+6 b
Vous reposant le soir, repartant le matin, 6+6 b
45 Distribuant déjà vos faveurs et vos ordres, 6+6 a
Recevant les baisers de ceux qui voulaient mordre 6+6 a
Et trouvant, ô miracle éclatant en un jour, 6+6 b
Une immense contrée avec un seul amour ! 6+6 b
Et Paris enivré autour de vous se presse. 6+6 a
50 Vous êtes soulevé par sa sainte caresse : 6+6 a
Vous avancez debout, porté de main en main, 6+6 b
Blanche idole, pesant sur tout l'amour humain. 6+6 b
Vous passiez, entr'ouvrant la foule opaque et lisse, 6+6 a
Comme un vaisseau bombé sur une mer propice ; 6+6 a
55 Vous alliez, les deux bras étendus, les yeux clos, 6+6 b
Statue au front doré qu'on soulève des flots ; 6+6 b
Héros dont on célèbre un vivant centenaire ! 6+6 a
Votre nom sous l'azur roulait comme un tonnerre 6+6 a
Qui tranche les sommets et remplit les vallons. 6+6 b
60 Un de vos maréchaux, marchant à reculons 6+6 b
Devant les Tuileries flambantes comme une arche, 6+6 a
Gravissant l'escalier devant vous, marche à marche, 6+6 a
Joyeux, vague, extatique, éperdu, sombre et doux, 6+6 b
Répétait tendrement : «C'est vous ! c'est vous ! c'est vous !» 6+6 b
65 Mais vous, seul, au-dessus du flot qui vous assaille, 6+6 a
N'ayant pas de témoin qui fût à votre taille, 6+6 a
Contemplant l'horizon d'où les dieux sont absents, 6+6 b
De quel aride cœur goûtiez-vous cet encens ? 6+6 b
Le temps passa, lugubre. Un soir on vint descendre, 6+6 a
70 Dans cette arène vaste et basse, votre cendre. 6+6 a
On mit un grand soleil autour de ce repos. 6+6 b
Comme un bouquet de lis déchirés, les drapeaux 6+6 b
Chez les rois arrachés, dans vos rudes conquêtes, 6+6 a
Fleurirent saintement le silence où vous êtes. 6+6 a
75 Et depuis, chaque jour, courbés, baissant le front, 6+6 b
Les hommes étonnés, muets, errent en rond, 6+6 b
Ainsi qu'une pensive et vague sentinelle, 6+6 a
Autour du puits où dort votre cendre éternelle. 6+6 a
— Quand meurent des héros, la piété des humains 6+6 b
80 Leur élève au sommet fascinant des chemins 6+6 b
Un tombeau clair, altier, imposant, qui s'érige, 6+6 a
Et marque hautement la gloire du prodige ; 6+6 a
Et le passant alors, surpris, levant les yeux, 6+6 b
Honore le front haut cet esprit radieux. 6+6 b
85 Mais vous, plus grand qu'eux tous dans la sublime histoire, 6+6 a
Vous avez cette étrange et solennelle gloire 6+6 a
Par qui tous les orgueils sont brisés tout à coup, 6+6 b
Qu'il faille se pencher pour regarder sur vous… 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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