Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
NER_3/NER31
Gérard de NERVAL
ÉLÉGIES NATIONALES ET SATIRES POLITIQUES
1826
SATIRES
Épître à M. de Villèle
Ministre financier, | que la France révère, 6+6 a
Que les heureux aînés | ont appelé leur père, 6+6 a
Et qui, sachant que l’or | pourrait nous pervertir, 6+6 b
Cherche de tous côtés | des gens à convertir ; 6+6 b
5 Permets qu’émerveillé | de tes talens sublimes, 6+6 a
Un enfant d’Apollon | t’adresse quelques rimes. 6+6 a
Des Muses, il est vrai, | tu ne fais pas grand cas, 6+6 b
Et la double colline | a pour toi peu d’appas ; 6+6 b
On sait que tu n’as point, | expert en beau langage 6+6 a
10 Rimé l’ Indifférence | ou le Bois du Village ; 6+6 a
Mais apprends que les vers | peuvent avoir leur prix, 6+6 b
C’est par-là qu’on est grand | dans de petits écrits, 6+6 b
Qu’on vit dans l’avenir, | et qu’un sage ministre 6+6 a
N’est pas, après sa mort, | oublié comme un cuistre. 6+6 a
15 L’homme s’illustre en vain, | si la postérité 6+6 b
Ne lit en de beaux vers | son immortalité ; 6+6 b
Sans Homère, a-t-on dit, | qui connaîtrait Achille ? 6+6 a
Baour, depuis long-temps, | a bien changé de style, 6+6 a
Mais qui saurait sans lui, | dans des siècles nouveaux, 6+6 b
20 Que Bonaparte fut, | et qu’il fut un héros ? 6+6 b
Ta splendeur, je l’avoue, | est plus durable encore, 6+6 a
O toi dont le déclin | tarde à suivre l’aurore, 6+6 a
Où pourras-tu trouver | un Baour pour chanter 6+6 b
Le succès des grands coups | que tu sais méditer, 6+6 b
25 Qui t’ait vu, te connaisse, | et dise qu’il t’admire, 6+6 a
Ou sans rire soi-même, | ou sans prêter à rire ? 6+6 a
Sauf ces deux clauses-là, | tu pourras à Paris 6+6 b
Trouver des vers flatteurs | cotés à très-bas prix ; 6+6 b
Dans ce vaste comptoir | de toute renommée, 6+6 a
30 On peut, au poids de l’or, | trouver delà fumée ; 6+6 a
Au lieu d’un vil métal, | que d’honneur t’est offert ! 6+6 b
Si lu veux qu’on t’appelle | un Turgot, un Colbert, 6+6 b
Ne te consume point | en bienfaits inutiles ; 6+6 a
Ces titres à gagner | te seront très-faciles, 6+6 a
35 Pour cinq cents francs au plus | on peut les accorder, 6+6 b
Et même pour trois cents, | si tu sais marchander. 6+6 b
Mais l’honneur, le pouvoir, | l’éclat qui t’environne 6+6 a
Me donnent le désir | de chanter ta personne. 6+6 a
Ne me dédaigne pas, | malgré tout ce qu’on dit, 6+6 b
40 Mes vers sauront encor | te remettre en crédit. 6+6 b
C’est en vain qu’un poëte | avait de ta cuisine 6+6 a
Et de ton ministère | annoncé la ruine ; 6+6 a
Ne t’en effraye point, | l’avenir incertain 6+6 b
Ne peut plus dévoiler | les arrêts du destin : 6+6 b
45 Cependant si ton âme | en eut quelque tristesse, 6+6 a
Je veux la ramener | aux jours de ta jeunesse, 6+6 a
Et ranimant ton cœur, | qu’un présage a glacé, 6+6 b
Rajeunir son espoir | de l’éclat du passé. 6+6 b
Oui, je veux raconter | ton héroïque histoire, 6+6 a
50 Je veux chanter les jours | si chers à ta mémoire, 6+6 a
Où ton aspect saisit | d’un désir amoureux 6+6 b
Le cœur novice encor | d’une vierge aux doux yeux, 6+6 b
Ton démon familier | y sera mis en scène, 6+6 a
Je dirai tes succès | sur les bords de la Seine, 6+6 a
55 Et comment ton grand nom, | d’un beau titre anobli, 6+6 b
Fut proclamé vainqueur | au Château-Rivoli. 6+6 b
Mais aussi ta faveur | doit être mon salaire ; 6+6 a
Mets-moi de ton écot ; | je puis au ministère, 6+6 a
Comme ce Martignac | qu’on a déjà vanté, 6+6 b
60 Entonner l’hymne auguste | à ta prospérité… 6+6 b
Voudrais-tu, dès l’abord, | connaître ma personne ? — 6+6 a
Je me nomme Beuglant : | à ce nom qui t’étonne ? 6+6 a
Peut-être il te souvient | que l’un de mes écrits 6+6 b
Fit rire à tes dépens | les cadets de Paris ; 6+6 b
65 C’était, à ce qu’on trouve, | une pièce assez drôle, 6+6 a
Et ta noble excellence | y jouait un beau rôle… 6+6 a
Oh ! tu l’as fort bien pris ; | un autre aurait, dit-on, 6+6 b
Mis l’ouvrage à l’index, | et l’auteur en prison ; 6+6 b
Mais toi, quand un mouchard, | croyant faire œuvre pie, 6+6 a
70 Du livre à peine éclos | te porta la copie, 6+6 a
Tu ne dépêchas point | un mandat à l’auteur ; 6+6 b
Mais tu ris en ta barbe | et dis : C’est un farceur ! 6+6 b
C’était fort bien agir, | et ma reconnaissance 6+6 a
D’un poème déjà | t’a donné l’espérance ; 6+6 a
75 En attendant le jour | désigné par le sort, 6+6 b
Pour voir ou sa naissance, | ou peut-être sa mort, 6+6 b
Je voudrais avec toi | jaser pour me distraire ; 6+6 a
Histoire de parler, | car c’est peu nécessaire. 6+6 a
Dans ce superbe hôtel, | où règne ton pouvoir, 6+6 b
80 Qui t’étonne le plus ? | — Sans doute de t’y voir. 6+6 b
En effet, quand bien loin | des bords de la Garonne, 6+6 a
Le pays de Parny | vit ton humble personne, 6+6 a
Quand, d’un maigre colon | aussi maigre employé, 6+6 b
Tu vivais d’un travail | qui t’était mal payé, 6+6 b
85 Pouvais tu, dans ton cœur, | d’une telle puissance 6+6 a
Accueillir la pensée | et gonfler l’espérance ? 6+6 a
Peut-être ! — Le génie | encore à son matin, 6+6 b
Sait souvent pressentir | un sublime destin : 6+6 b
On dit, que loin des jeux, | écolier solitaire, 6+6 a
90 Bonaparte rêvait | l’empire de la terre, 6+6 a
Et que de ses grandeurs | l’espoir audacieux, 6+6 b
Comme un vaste tableau, | passait devant ses yeux. 6+6 b
Sauf la comparaison, | peut-être que toi-même 6+6 a
Tu rêvas le pouvoir, | sinon le diadème ; 6+6 a
95 Las d’exercer ton bras | sur des noirs révoltés, 6+6 b
Souvent, tournant les yeux | vers nos bords regrettés, 6+6 b
Tu pensas aux grandeurs, | et peut-être… à la gloire : 6+6 a
La gloire !… Oh non, ce mot | n’a rien que d’illusoire, 6+6 a
C’est un mot bien ronflant, | mais qui sonne le creux ; 6+6 b
100 L’argent est plus solide, | et tinte beaucoup mieux. 6+6 b
C’est ce que tu compris, | quand riche d’une épouse 6+6 a
Des bords lointains du Cap, | tu revins à Toulouse ; 6+6 a
Un si noble génie | en France replanté 6+6 b
Ne pouvait demeurer | en son obscurité. 6+6 b
105 Élu maire, bientôt | l’amour de la patrie 6+6 a
S’éveilla, comme un songe, | en ton âme attendrie, 6+6 a
Et ce beau sentiment | l’échauffant par degrés, 6+6 b
Tu rêvas le bonheur | de tes administrés ; 6+6 b
Leur bourse cependant | étant fort aplatie, 6+6 a
110 Tu pelotas d’abord, | en attendant partie, 6+6 a
Comme l’on fait toujours ; | et de leur bien jaloux. 6+6 b
Tu voulus commencer | par leur tâter le pouls . 6+6 b
Tu n’en eus pas le temps, | car l’aveugle fortune 6+6 a
Te porta d’un seul coup | au pied de la tribune, 6+6 a
115 Et fixant à la fois | tes vœux irrésolus, 6+6 b
Te saisit au collet, | pour ne te quitter plus. 6+6 b
Alors de mieux en mieux : | bientôt le ministère 6+6 a
Ennoblit pour toujours | ta race roturière ; 6+6 a
Avant toi sur ce siège | un autre était assis, 6+6 b
120 Il partit, tu pris place ; | — Allons, saute marquis ! 6+6 b
C’est un grand pas de fait ; | ministre ! quel beau titre ! 6+6 a
Du bonheur des Français | te voilà donc l’arbitre ; 6+6 a
Tu peux, jetant partout | de bienfaisans regards, 6+6 b
Secourir le malheur, | et protéger les arts ; 6+6 b
125 De la bonté royale, | auguste et digne organe, 6+6 a
Le bien du malheureux | de ton pouvoir émane, 6+6 a
Et le peuple en ses maux | t’invoquant nuit et jour, 6+6 b
Entre le prince et toi | partage son amour. 6+6 b
Cependant quelques sots | viennent se plaindre encore, 6+6 a
130 Ils osent avancer | que ta dent nous dévore, 6+6 a
Qu’un système nouveau, | fatal à nos rentiers, 6+6 b
Alimenta la Seine | et garnit les greniers. 6+6 b
Va, va, laisse crier | les badauds au scandale ; 6+6 a
Tu peux dîner en paix, | c’est John Bull qui régale ; 6+6 a
135 John Bull est un peu sot, | il fait beaucoup de bruit, 6+6 b
Prend des airs mécontens, | qu’aucun effet ne suit. 6+6 b
Parfois assez rétif, | il se laisse, à vrai dire, 6+6 a
Par le premier faquin | trop durement conduire. 6+6 a
Jadis il a montré | qu’il était maître aussi, 6+6 b
140 Mais les temps sont changés ; | vieux, il s’est adouci ; 6+6 b
Oui, je l’ai dit souvent, | tout s’efface avec l’âge, 6+6 a
Tout jusqu’à la vertu, | l’amour et le courage, 6+6 a
Tout change et tout renaît ; | c’est un bien fait des cieux ; 6+6 b
Jeune, l’homme triomphe, | il dort quand il est vieux. 6+6 b
145 Mais, grand homme, à quoi tend | ce discours inutile ? 6+6 a
Qu’importe que ton nom | soit blâmé par la ville, 6+6 a
Qu’importe au denier trois | que tes effets soient bas, 6+6 b
Et que John Bull se plaigne | ou ne se plaigne pas : 6+6 b
Les empoigneurssont là, | si John Bull n’est pas sage, 6+6 a
150 S’il siffle un peu trop fort, | on referme sa cage ; 6+6 a
À présent, l’on craint peu | qu’ennemi du repos, 6+6 b
Il aille renverser | tes tranquilles bureaux, 6+6 b
Et brisant à la fois | des pouvoirs arbitraires, 6+6 a
Crier : Chassez les huit ! | dans tous les ministères : 6+6 a
155 Le bon temps d’autrefois | est là qui le poursuit, 6+6 b
Et son Croquemitaine | est arrivé sans bruit ; 6+6 b
Le bon père Escobar, | revenu de sa fuite, 6+6 a
Ami des rois français, | va régler leur conduite : 6+6 a
Il est vrai que parfois, | passant un peu le but, 6+6 b
160 Sa tendresse pour eux | a hâté leur salut ; 6+6 b
Mais il revient enfin : | sa main qui te protège 6+6 a
Contre les accidens | raffermira ton siège, 6+6 a
Avec lui sans danger | tu régneras bientôt, 6+6 b
Il ne faut pour cela | que baiser son ergot. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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